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« C’est le pistolet en question qui contient des balles en argent ? » articula-t-il lentement.

Je fis « oui » de la tête.

« Hmm… oui, j’ai lu quelque chose à ce sujet…, dit le patron. On utilise des balles en argent quand on se prépare à tirer sur des fantômes.

— C’est reparti pour les momies et les zombis, grommelai-je.

— Oui, c’est reparti. On ne pourrait pas tuer un vampire avec une balle ordinaire. Le loup-garou… la sorcière-renarde… la reine-grenouille… Je vous avais prévenu, Peter ! » il brandit vers le ciel son index massif. « Il y a longtemps que j’attends cela. Et maintenant, vous voyez, je ne suis plus le seul…»

Je finis de déglutir mon sandwich et bus mon café. Je ne pourrais prétendre que j’étais resté insensible aux paroles prononcées par Snevar. Pour des raisons obscures, l’hypothèse du patron de l’hôtel — hypothèse unique, déraisonnable — trouvait sans cesse de quoi s’étayer et se vérifier, tandis que mes hypothèse à moi — nombreuses, réalistes — ne trouvaient que le vide en face d’elles… Vampires, fantômes, apparitions… Désolé, mais dans ce cas je n’aurais plus eu de solution, sinon celle consistant à m’avouer vaincu : comme l’a si bien défini un écrivain, le monde de l’au-delà concerne le ministère de l’Église, et non le ministère de l’intérieur… 

« Vous avez réussi à établir à qui appartenait ce pistolet ? s’informa Snevar.

— Dans cet hôtel nous avons un de vos chasseurs de vampires, il répond au nom de Heenkus », lâchai-je, et je sortis.

Au centre du hall, vrillé d’une manière bizarre et non naturelle, se tenait un épouvantail loucheur qui, lui, répondait au nom de M. Luarwick L. Luarwick. Un de ses yeux était dirigé sur moi, l’autre surveillait franchement l’escalier. Son veston penchait selon une oblique particulière, assez inexplicable, son pantalon avait glissé vers le bas, sa manche vide vaguait, avec l’aspect d’un sac en plastique qui aurait été mâchouillé par une vache. Je lui fis un bref salut, dans l’intention de le laisser en plan, mais il claudiqua rapidement en ma direction et me barra le chemin. 

« Oui ? dis-je, en marquant un arrêt d’une seconde.

— Une petite, mais importante conversation, déclara-t-il.

— Je suis occupé. Dans une demi-heure, si vous voulez. »

Il m’attrapa par un coude.

« Je vous supplie de les dégager, s’il vous plaît. Tout de suite.

— Je ne comprends pas. De dégager quoi ?

— Dégager quelques minutes. C’est important pour moi.

— Ah ! c’est important pour vous…» répétai-je, en continuant à grimper l’escalier du premier étage. « Eh bien, si c’est important pour vous seulement, pour moi, cela n’a aucune importance. » 

Il se hissait derrière moi comme si je l’avais tenu en laisse, et je remarquai sa surprenante manière de placer les pieds — l’un pointant vers l’extérieur, l’autre pointant vers l’intérieur.

« Pour vous aussi, c’est important, dit-il. Vous serez content. Vous recevrez tout ce que vous désirez. »

Nous avions presque terminé l’ascension.

« Enfin, de quoi s’agit-il, exactement ? demandai-je.

— Il s’agit de la valise, exactement.

— Vous êtes prêt à répondre à mes questions ?

— Arrêtons-nous pour discuter, proposa-t-il. Mes pieds marchent mal. »

Ah ! ah ! Le lièvre se sent aux abois, pensai-je. Parfait. J’adore.

« Dans une demi-heure, dis-je. Et lâchez-moi, s’il vous plaît. Vous me gênez.

— Oui, admit-il. Je vous gêne. Je veux gêner. Ma conversation est urgente.

— Urgente ? Qu’est-ce que vous allez chercher ! Objectai-je. Nous avons tout le temps. Dans une demi-heure. Ou, d’ailleurs, dans une heure.

— Non, non ! Je vous supplie, tout de suite. Beaucoup dépend. Et cela va très vite. Entre nous. Un échange, c’est tout. Je donne, vous donnez. »

Nous étions déjà engagés dans le long corridor du premier étage, et j’eus pitié de lui.

« Bien, allons dans ma chambre. Mais dépêchons-nous.

— Oui, oui. Cela sera vite. »

Je le fis entrer chez moi et m’appuyai les fesses sur le rebord de la table.

« Allez, ordonnai-je. Déballez votre sac. »

Mais il ne s’exécuta pas immédiatement. Il commença par inspecter la chambre des yeux. Il espérait probablement que la valise serait quelque part dans la pièce, en évidence.

« La valise n’est pas ici, dis-je. Allez, dépêchons !

— Alors je m’assieds », dit-il, et il s’installa dans mon fauteuil. « J’ai très besoin de la valise. Qu’est-ce que vous voulez pour elle ?

— Je ne veux rien. Prouvez-moi que vous avez le droit de recevoir cet objet, et je vous le remets aussitôt. »

Luarwick L. Luarwick hocha la tête et dit : « Non. Je ne prouverai pas la valise n’est pas ma valise. D’abord je n’ai rien compris. Olaf a volé la valise. J’ai reçu l’ordre de retrouver Olaf et de lui dire : Rends ce que tu as pris. Commandant deux cent vingt-quatre. Je ne sais pas ce que cela signifie. Je ne savais pas quel objet il avait pris. Et ensuite, vous parlez tout le temps d’une valise. Cela m’a trompé. Une valise, non. Un étui, oui. À l’intérieur, un appareil. Avant, je ne savais pas. Quand j’ai vu Olaf, j’ai deviné. Maintenant je sais : Olaf n’a pas été assassiné. Olaf est mort. À cause de l’appareil. L’appareil est très dangereux. Une menace pour tous. Tous seront comme Olaf, ou il peut y avoir une explosion. Tous seront alors comme Olaf, mais pire. Vous comprenez pourquoi il faut faire très vite ? Olaf est un crétin, il est mort. Nous sommes intelligents, nous ne mourrons pas. Donnez la valise. Très vite. » 

Il avait dévidé tout ce discours d’une voix monotone, en me regardant alternativement de l’œil droit et de l’œil gauche, et en réduisant sans pitié sa manche vide en lanières. Son visage était resté impassible, à l’exception de ses sourcils clairsemés qu’il haussait et fronçait de temps en temps. Je me tenais en face de lui et je réfléchissais au fait que ses manières étaient restées inchangées, tandis que sa syntaxe et son vocabulaire s’étaient considérablement enrichis. Luarwick s’était mis à parler couramment, ou plutôt sa langue s’était déliée.

« Qui êtes-vous ? demandai-je.

— Je suis émigré, je suis un spécialiste étranger. Un exilé. Victime de la politique. »

Oui, Luarwick s’était mis à parler. Où avait-il puisé tout cela ?

« Émigré en provenance de quel pays ? demandai-je.

— Il ne faut pas des questions comme cette question. Je ne peux pas dire. L’honneur. Aucun mal pour votre nation.

— Mais vous m’avez déjà déclaré que vous étiez suédois.

— Suédois ? Je n’ai pas dit. Émigré, exilé politique.

— Je m’excuse beaucoup, dis-je. Il y a une heure, vous m’avez dit que vous étiez suédois. Et même que vous étiez suédois à l’extrême. Vous refusez de l’être, maintenant ?

— Je ne sais pas… je ne me rappelle plus…, bredouilla-t-il. Je me sens mal. J’ai peur. Il faut la valise, très vite. »

Il se trouve que plus il me bousculait, et moins j’avais tendance à me presser. Je voyais clairement qu’il mentait, et que ses mensonges étaient d’une maladresse incroyable.

« Où habitez-vous ? demandai-je.

— Je ne peux dire.

— Comment êtes-vous arrivé dans la vallée ?

— Véhicule.

— Quelle marque ?

— Marque… Un véhicule noir, grand.

— Vous ne connaissez pas la marque de votre voiture ?

— Je ne sais pas. Elle n’est pas à moi.