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Tous les autres acteurs de ces événements sont encore en vie aujourd’hui. Il y a peu de temps, j’ai lu un article relatant l’hommage solennel qui avait été rendu à du Barnstokr au cours d’un congrès de la Société internationale de magie et d’illusionnisme : ceci à l’occasion des quatre-vingt-dix ans du vieil homme. À la réunion de gala « participait la charmante nièce du grand illusionniste, Brunehilde Kahn, accompagnée de son époux, le célèbre cosmonaute Perry Kahn ». Heenkus a été condamné à la perpétuité ; il purge sa peine et écrit chaque année une demande d’amnistie. Peu après son incarcération, il a été victime de deux tentatives d’exécution, et il a reçu une grave blessure à la tête, mais il en a réchappé. Il paraît qu’il s’est pris de passion pour la sculpture sur bois et que ce qu’il produit est assez intéressant, du moins d’un point de vue pécuniaire. L’administration pénitentiaire ne se plaint pas de lui ; au contraire, même. Kaïssa s’est mariée, elle a quatre enfants. L’année dernière, au cours d’une visite à Alek, j’ai eu l’occasion de la rencontrer. Elle vit dans un faubourg de Mursbruck et elle a très peu changé : une petite grosse, bête comme ses pieds, et incapable d’entendre une phrase sans pouffer. Je suis persuadé que la tragédie est passée à côté de sa conscience sans l’égratigner si peu que ce soit, et sans y laisser la moindre trace, Alek et moi sommes grands amis. L’hôtel prospère sous un nouveau nom — Auberge du Zombi interplanétaire — et comporte à présent deux bâtiments. Le deuxième bâtiment de la vallée a été construit avec des matériaux modernes, il abonde en gadgets électroniques et me déplaît au plus haut point. Lorsque je viens rendre visite à Alek, je m’installe toujours dans la vieille chambre que j’occupais lors de mon premier séjour, et nous passons la soirée près de la cheminée, comme au bon vieux temps, en buvant du vin chaud aromatisé à la cannelle. Hélas, maintenant, un seul verre nous suffit pour toute une soirée… Alek a beaucoup maigri, il s’est desséché et s’est laissé pousser la barbe ; son nez est rouge bordeaux ; mais il aime toujours prendre soudain un ton de confidence, une voix assourdie, et ne dédaigne pas, à l’occasion, de mystifier tel ou tel de ses clients. Comme autrefois il poursuit ses recherches d’inventeur ; un nouveau type de moteur éolien a même été breveté à son nom. Le diplôme qu’il a reçu à cette occasion a été mis sous verre, encadré et suspendu au-dessus du vieux coffre-fort, dans le vieux bureau de réception. Les moteurs à mouvement perpétuel, qu’ils se rattachent à la première ou à la seconde génération, attendent toujours leur heure de gloire ; il ne leur manque plus que deux ou trois perfectionnements pour être vraiment au point. D’après les explications d’Alek, pour que ces fameux mouvements perpétuels puissent fonctionner sans interruption, il faut patienter jusqu’à ce que quelqu’un ait inventé une matière plastique inusable. Je me sens toujours très bien chez Alek. J’y suis au calme, entouré d’attention et de confort. Mais un jour il m’a avoué en chuchotant qu’il avait caché au fond de sa cave une mitrailleuse Bren — par mesure de précaution. 

J’ai complètement oublié de mentionner le saint-bernard, Lel. Lel est mort. De vieillesse, tout simplement. Alek se plaît à raconter que ce chien étonnant avait acquis de solides rudiments de lecture peu de temps avant de s’éteindre.

À présent, quelques mots sur moi. Au cours des interminables journées de service, des nuits de garde, pendant mes promenades solitaires ou tout bêtement pendant les heures d’insomnie, j’ai eu des milliers et des milliers de fois le loisir de réfléchir à ce qui s’était passé et de me poser la question, toujours cette même et unique question ; avais-je raison ou tort ? Formellement parlant, j’avais raison ; mes supérieurs hiérarchiques ont estimé que mes actes avaient été conformes à ce qu’avaient exigé les circonstances ; seul l’un d’eux, le directeur de mon département, m’a légèrement blâmé pour ne pas avoir rendu la valise aussitôt, car en la retenant j’avais exposé des témoins innocents à un risque superflu. Pour la capture de Heenkus et la récupération de plus d’un million de couronnes j’ai obtenu une prime, et lorsque je suis parti à la retraite, j’avais le grade d’inspecteur-chef, le maximum auquel je pouvais prétendre. J’ai eu un mal de chien à rédiger mon rapport sur toute cette étrange affaire. Je devais exclure de mon texte officiel toute allusion à une attitude subjective de ma part ; et finalement, je crois que j’y suis arrivé. En tout cas je ne suis pas devenu l’objet de la risée générale, et à mon nom n’a pas été accolée une étiquette de fantaisiste impénitent. Il est évident que le rapport comportait des lacunes. Comment aurait-il été possible de décrire dans un procès-verbal de la police quelque chose comme cette lugubre poursuite à skis sur la plaine enneigée ? Quand je suis malade et que je commence à avoir de la fièvre, je ne cesse de revoir ce spectacle grotesque, d’un grotesque qui ne se réfère pas à des images humaines ; et dans mon délire j’entends à nouveau ce sifflement qui me glace l’âme, et ce cri d’aigle à l’attaque… Non, d’un point de vue formel tout se termina comme il faut. Je ne nie pas que j’aie dû subir de temps en temps des plaisanteries de la part de mes camarades de travail, mais ces joyeuses remarques furent toujours amicales et dépourvues de causticité. À Zgoot, en revanche, je confiai plus de choses qu’aux autres. Il réfléchit pendant un long moment, se gratta les joues où pointait une barbe drue et piquante, laissa échapper des nuages de tabac de pipe qui empuantirent l’atmosphère, mais finalement se trouva incapable de prononcer une conclusion sensée ; et il me promit de ne rien divulguer des confidences que je lui avais faites. Plus d’une fois il m’est arrivé d’orienter sur ce thème mes conversations avec Alek. À chaque reprise, il a répondu par monosyllabes. Une fois seulement il s’est caché les yeux derrière la main et a reconnu que ce qui l’avait préoccupé avant tout avait été la vie de ses clients et l’intégrité de son bâtiment. Il me semble qu’ensuite il eut honte de cet aveu et qu’il regretta de l’avoir prononcé. Quant à Simonet, il ne m’adressa plus un mot jusqu’à sa mort. 

Oui, il s’agissait probablement d’extraterrestres, à la réflexion. Je ne me suis jamais exprimé nulle part sur cette question, je n’ai jamais donné mon point de vue personnel. Lorsque j’ai été appelé à témoigner devant les commissions d’enquête, je m’en suis toujours tenu, rigoureusement tenu à la sécheresse des faits et à l’exposé officiel que j’avais présenté à l’administration. Mais aujourd’hui je n’ai à peu près plus de doutes. L’homme a posé le pied sur Mars et sur Vénus, pourquoi l’inverse serait-il inconcevable, l’atterrissage sur notre planète de visiteurs venus d’ailleurs ? Et autre chose ; en dehors de celle-ci, il est impossible d’inventer une version capable d’éclairer les zones obscures de cette histoire. Alors, des extraterrestres ? J’ai tellement médité là-dessus que je ne crains plus de l’affirmer : oui, et rien d’autre. Ces pauvres extraterrestres s’étaient fait piéger et plumer comme des poulets, et mon comportement ajoutait à leurs malheurs une dureté qu’ils ne méritaient pas. Tout venait du fait qu’ils avaient débarqué sur Terre à un mauvais moment, trop tôt, et qu’ils y avaient rencontré des représentants de l’humanité qui n’étaient pas les bons, ceux avec qui ils auraient dû entrer en contact. Qui avaient-ils rencontré ? Des gangsters, puis la police. Pas de chance… Enfin… Et s’ils étaient tombés sur des services de contre-espionnage, ou sur des militaires ? Est-ce qu’ils auraient été en meilleure posture ? Je ne crois pas…