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Et malgré la peur naturelle que l’explosion lui avait causée, Haber remarqua que le patient ne paraissait pas effrayé. Ses réactions étaient tout à fait anormales. Vendredi dernier, il avait craqué à cause d’un problème d’éthique ; aujourd’hui, mercredi, au beau milieu de l’Armageddon, il restait calme, gardait son sang-froid. Il ne semblait pas avoir peur pour lui. Mais il aurait dû. Si Haber était effrayé, Orr aurait dû l’être bien plus. Il avait supprimé sa peur. Ou peut-être, se demanda soudain Haber, pensait-il que, comme il avait rêvé l’invasion, tout cela n’était qu’un rêve ?

Et si c’en était un ?

Le rêve de qui ?

— Nous ferions mieux de remonter, déclara le docteur en se levant.

Il se sentait de plus en plus impatient et irritable ; l’agitation devenait trop grande.

— Qui est la femme qui vous accompagne, au fait ?

— C’est Miss Lelache, répondit Orr en le regardant bizarrement. L’inspectrice. Elle était là vendredi.

— Pourquoi est-elle avec vous ?

— Elle me cherchait ; elle est venue jusqu’à mon chalet.

— Vous m’expliquerez tout cela plus tard, dit Haber.

Il n’y avait pas de temps à perdre avec des vétilles. Ils devaient s’en sortir, quitter ce monde qui explosait de tous côtés.

Au moment où ils entraient dans le bureau de Haber, la vitre de la large fenêtre éclata vers l’extérieur dans un énorme bruit de succion et de tintements. Les deux hommes furent attirés vers la fenêtre comme vers la bouche d’un aspirateur. Tout devint blanc ; tout ! Ils s’écroulèrent.

Aucun n’entendit le moindre bruit.

Quand il fut à nouveau capable de voir, Haber se releva avec peine en s’appuyant sur son bureau. Orr était déjà debout près du divan, essayant de rassurer la femme affolée. Il faisait froid dans le bureau : l’air du printemps qui entrait par la fenêtre sans vitre était frais et humide, et sentait la fumée, l’ozone, le soufre et la mort.

— Nous devrions descendre au sous-sol, vous ne croyez pas ? dit Miss Lelache d’une voix assez calme, bien qu’elle fût toute tremblante.

— Allez-y, répondit Haber. Nous devons rester ici un moment.

— Rester ici ?

— L’ampli est ici. On ne peut pas le trimballer comme une télé portative ! Descendez au sous-sol, nous vous y rejoindrons dès que nous le pourrons.

— Vous voulez le faire dormir maintenant ? demanda-t-elle au moment où les arbres s’enflammaient au bas de la colline.

L’éruption du mont Hood était cachée par des événements beaucoup plus proches ; le sol, de toute façon, s’était mis à trembler doucement depuis quelques minutes, une sorte d’engourdissement s’emparait des membres et des esprits.

— Vous pensez si je vais le faire ! Allez, descendez au sous-sol, j’ai besoin du divan ! Allongez-vous, George… Écoutez, vous, au sous-sol, juste après le bureau du portier, vous verrez une porte sur laquelle est écrit : Générateur de secours. Entrez-y, cherchez le bouton vert. Gardez un doigt dessus et si les lumières s’éteignent, appuyez. Allez !

Elle sortit. Elle tremblait encore, et elle souriait ; en passant, elle serra un instant la main de Orr.

— Fais de beaux rêves, George, dit-elle.

— Ne t’en fais pas, répondit-il. Tout ira bien.

— Taisez-vous ! aboya Haber.

Il avait mis en route la bande hypnotique qu’il avait enregistrée lui-même, mais Orr n’y prêtait pas la moindre attention, et le bruit des explosions et des incendies la rendait difficile à entendre.

— Fermez les yeux ! ordonna Haber, et il posa la main sur la gorge d’Orr et augmenta le volume du magnétophone. Vous détendre, dit sa propre voix. Vous êtes à l’aise et parfaitement détendu. Vous allez plonger…

Le bâtiment sauta comme un jeune agneau et retomba de travers. Quelque chose apparut à la fenêtre, dans le ciel rouge sombre : un gros objet ovoïde qui semblait se déplacer dans l’air par petits bonds. Il se dirigea directement vers la fenêtre.

— Nous devons partir ! cria Haber par-dessus sa propre voix, mais il s’aperçut qu’Orr était déjà hypnotisé. Il arrêta le magnétophone et se pencha vers le patient pour lui parler dans l’oreille. Arrêtez l’invasion ! hurla-t-il. La paix, rêvez que nous sommes en paix avec tous les êtres ! Dormez, maintenant ! Antwerp !

Et il mit l’ampli en marche.

Mais il n’eut pas le temps de regarder l’EEG d’Orr. La forme ovoïde se tenait juste devant la fenêtre. Son nez arrondi, reflétant la cité qui brûlait, était pointé vers Haber. Il s’accroupit près du divan, se sentant affreusement vulnérable et impuissant, essayant de protéger l’ampli en étendant les bras devant l’appareil. Il regarda le vaisseau étranger par-dessus son épaule. Il s’approchait encore. Le nez du vaisseau, qui semblait être en acier huilé, avec des reflets violets, remplissait toute la fenêtre. Il y eut une sorte de raclement lorsqu’il se coinça dans l’encadrement. Haber poussa un cri d’effroi, mais resta où il se trouvait, entre l’ampli et le vaisseau étranger.

Depuis le nez, hésitant, sortit un long et mince tentacule qui se mit à tâtonner dans l’air. Son extrémité, dressée comme un cobra, chercha au hasard, puis s’arrêta en direction de Haber. À trois mètres de lui environ. Il resta pointé vers le psychiatre pendant quelques secondes, puis se retira dans un sifflement suivi d’un petit claquement, et un gros bourdonnement se fit entendre. L’appui en métal de la fenêtre crissa et se tordit. Le nez de l’astronef tourna sur lui-même et tomba sur le sol. Quelque chose sortit de l’ouverture ainsi dégagée.

C’était, pensa Haber avec horreur, une tortue géante. Puis il se rendit compte que l’être était vêtu d’une sorte de scaphandre qui ressemblait à une lourde carapace verdâtre et lui donnait un air inexpressif, faisant penser à une tortue de mer géante se tenant sur ses pattes de derrière.

Il demeura immobile près du bureau de Haber. Puis il leva très lentement son bras gauche, braquant vers le docteur une sorte d’instrument métallique.

Haber s’apprêta à affronter la mort.

Une voix unie, sans nuances, sortit de la jointure du coude de l’Étranger.

— Ne faites pas à autrui ce que vous ne voulez pas qu’on vous fasse, dit-il.

Haber écarquilla les yeux, son cœur parut chanceler.

L’énorme bras métallique se remit à parler.

— Nous essayons de faire une arrivée pacifique, dit le coude, sur le même ton. Veuillez informer les autres que ceci est une arrivée pacifique. Nous n’avons pas d’armes. Une grande autodestruction suit une peur sans fondement. Veuillez cesser la destruction de vous-même et des autres. Nous n’avons pas d’armes. Nous sommes une espèce paisible, non belliqueuse.

— Je… Je… Je ne peux pas contrôler l’aviation, bafouilla Haber.

— Des personnes dans des véhicules volants sont contactées actuellement, dit le coude de la créature. Et ceci est une installation militaire ?

D’après l’ordre des mots, c’était une question.

— Non, rien de tel…

— Alors, veuillez excuser cette intrusion non désirée.

L’énorme être caparaçonné se mit à ronfler légèrement et sembla hésiter.

— Quel est cet appareil ? demanda-t-il, désignant de son coude droit la machine reliée à la tête du dormeur.

— Un électroencéphalographe, une machine qui enregistre l’activité électrique du cerveau…

— Intéressant, déclara l’Étranger, et il fit un petit pas en direction du divan, comme s’il désirait l’étudier de plus près. La personne individuelle est iahklu’. La machine enregistre ceci peut-être. Est toute votre espèce capable de iahklu’ ?