— Ou qu’elle le connaissait et lui a ouvert la porte.
— Et quand elle lui a ouvert, il lui a demandé gentiment de bien vouloir retourner dans son lit pour qu’il puisse exécuter sa besogne là-bas ?
— Ça ne colle pas, tu as raison.
— Non, ça ne colle pas. Si elle le connaissait et lui avait ouvert, il l’aurait tuée dans le hall d’entrée. Parions que le légiste attestera qu’elle a été tuée dans son sommeil.
— Il avait donc la clé.
Il me regarda, espérant que je suivrais la piste qui brillait dans ses yeux.
Je fis une tentative.
— Un ancien amant ?
— Pourquoi pas ? Vous pensez à quelqu’un ?
— Le premier nom qui me vient est celui de Roberto Zagatto, le footballeur. Il l’avait plus ou moins menacée de mort dans la presse.
— Oui, mais ses menaces de mort étaient purement médiatiques. Zagatto disputait un match amical à Lisbonne lundi soir. Il n’est rentré en Angleterre que mardi après-midi. Je me doutais que vous alliez m’appeler, j’ai vérifié.
— Qui avait donc cette clé ? Le concierge de l’immeuble ? Ses parents ? Un cambrioleur ?
— Un cambrioleur ? Quelque chose a disparu ?
— Tes ex-confrères ne m’ont rien laissé entendre qui allait en ce sens.
— Vous n’avez rien remarqué sur les photos ?
— Non, rien de particulier. Je ne pense pas qu’il y ait un coffre dans l’appartement. Elle n’y venait qu’à l’occasion.
— Elle ne vous a rien dit qui pourrait laisser penser qu’elle se sentait menacée ?
— Non, rien. Elle était furieuse, mais vivante et bien dans sa peau.
Il se pencha en avant et prit le ton de la confidence.
— Avez-vous pensé, ne fût-ce qu’un instant, que la cible pourrait être différente ?
— C’est-à-dire ?
— Que vous soyez la cible de ce montage. Que ce soit vous la personne visée. Que quelqu’un cherche à vous neutraliser.
Je restai stupéfait.
Il se leva.
— Bien, je prends l’affaire en charge, maître. Je vais voir ce qu’ils ont réellement. Je vais aussi analyser le pedigree de la donzelle. De votre côté, essayez de vous souvenir de tout ce qu’elle a dit, même un détail, quelque chose qui vous aurait marqué. Repassez chaque scène dans votre tête.
— Je ne fais que ça depuis deux jours.
— Continuez. Et regardez dans vos affaires en cours s’il n’y a pas un gros poisson à qui vous faites de l’ombre. Je vous téléphone dès que j’ai quelque chose.
Il était à peine sorti que Véronique fit son apparition.
Elle me fit l’inventaire du programme de la journée et des appels téléphoniques qu’elle avait reçus. Plusieurs journalistes avaient tenté de me joindre.
— Répondez-leur que je n’ai rien à déclarer.
Quelques clients souhaitaient que je les rappelle.
— Rappelez-les et dites-leur que j’ai pris quelques jours de congé. En cas de besoin, passez-les à Maxime.
Une nouvelle cliente souhaitait un rendez-vous urgent.
Je réfléchis un instant.
Plonger dans une nouvelle affaire me changerait les idées.
— Proposez-lui une entrevue d’une demi-heure maximum en fin d’après-midi.
Elle prit l’air embarrassé pour me communiquer la dernière information.
— Monsieur Buekenhoudt a appelé, il demande que vous le rappeliez au plus tôt.
— Merci, Véronique.
Je consultai ma montre.
Dix heures trente.
Je n’avais aucune envie de rappeler Buekenhoudt.
J’étais innocent, je n’avais rien à me reprocher. Quarante-huit heures auparavant, j’étais un avocat respecté. Je bénéficiais d’une bonne réputation, j’avais une compagne qui valait ce qu’elle valait, mais j’avais une compagne. Je vivais dans une belle maison, j’étais en bonne santé, j’avais des amis, des parents aimants, ma partie de bridge du jeudi.
En quelques heures, j’avais tout perdu. J’étais devenu un paria, la presse me traînait dans la boue, mes collaborateurs me niaient, mon téléphone restait muet et j’étais soupçonné de meurtre.
Je me levai et sortis du bureau.
— Véronique, rappelez monsieur Buekenhoudt, dites-lui que je lui téléphonerai en fin d’après-midi.
— Bien, monsieur.
Il fallait que je me change les idées.
— S’il y a quelque chose d’urgent, appelez-moi sur mon portable. Je repasserai en fin d’après-midi pour mon rendez-vous.
— Bien, monsieur.
Je jetai un coup d’œil à l’extérieur.
Le soleil avait chassé les nuages.
Le programme de ma journée m’apparut comme une évidence. Une promenade au bord de la mer me ferait le plus grand bien. Marcher au bord de l’eau, respirer l’air du large, déguster des croquettes aux crevettes sur une terrasse ensoleillée. Un moment de calme. Du silence. Des choses simples et essentielles pour me débarrasser des images qui me hantaient.
Je passai devant le bureau de Maxime et y jetai un coup d’œil. Le chaos régnait en maître. Sa table de travail était surchargée de dossiers, de papiers et d’enveloppes. Son écran était tapissé de Post-it de différentes couleurs.
Je lui interdisais de faire entrer un client dans son bureau et le sommais de fermer sa porte lorsque je recevais des visiteurs.
Il m’adressa un signe de la main.
Je m’arrêtai sur le pas de sa porte et balayai la pièce du regard.
Une lumière s’alluma dans mon cerveau.
L’âge aidant, ce genre de situation m’arrivait de plus en plus fréquemment.
Je me rendais quelque part pour dénicher quelque chose.
Quand j’arrivais là où je devais aller, je me demandais ce que j’étais venu y chercher. Je m’immobilisais, tel un chien de chasse à l’arrêt, le nez tendu, les oreilles dressées, une patte levée, en quête de l’indice qui me permettrait de retrouver la mémoire.
Cette fois, je venais de trouver.
Je savais ce qui avait disparu dans l’appartement de Nolwenn.
9
LA MORT AUX TROUSSES
J’évitai la sortie d’Aalter et poursuivis ma route vers Ostende. La perspective d’avoir à subir le regard caustique de mes confrères en vacances dans leur propriété de Knokke-le-Zoute ne m’enthousiasmait guère.
J’optai pour le Coq, station familiale pleine de charme et chargée de souvenirs. Elle avait vu mes années d’enfance, mes châteaux de sable et mon premier flirt. Un endroit moins snob et plus indiqué pour m’aider à retrouver le calme dont j’avais besoin.
Une question me poursuivait depuis mon départ du cabinet.
Qu’était devenu le quotidien qui se trouvait chez Nolwenn, sur la table du salon ? Une chose était sûre, il n’apparaissait pas sur les photos que Witmeur m’avait présentées.
Le souvenir que j’en avais errait dans ma conscience. J’en distinguais quelques fragments, éparpillés dans ma mémoire. Il était déplié et recouvrait une partie du courrier. Je l’avais identifié comme étant un quotidien allemand.
Le titre était court, composé de deux mots, mais je ne parvenais pas à le reconstituer, vraisemblablement un journal que je ne connaissais pas, sinon j’en aurais mémorisé l’intitulé.
Nolwenn l’avait-elle utilisé pendant mon amnésie ou après mon départ ?
Si oui, à quelle fin ?
Si ce n’était pas elle, les flics l’avaient-ils fait disparaître ?
Pourquoi ?
À moins que l’assassin ne s’en soit servi pour une raison quelconque ?
Je tentai de dresser un inventaire exhaustif des utilisations possibles d’un journal.