Dans je ne sais quel film, un tueur en repliait un sur son arme pour confectionner une sorte de silencieux. Autre option, l’un de mes confrères pénalistes m’avait confié qu’un journal roulé d’une main ferme pouvait servir de matraque.
D’une manière plus générale, tout le monde se servait de feuilles de journaux pour emballer quantité de choses.
Je garai ma voiture à l’arrière du minigolf.
Je sortis, pliai ma veste et ôtai ma cravate. Je chaussai ensuite mes lunettes de soleil et posai une casquette sur ma tête.
Je m’apprêtais à entamer ma promenade lorsque mon téléphone vibra.
Je consultai l’écran.
Numéro privé.
Peu de gens connaissent le numéro de mon portable. Les couples en instance de divorce ont tendance à harceler leur avocat à toute heure du jour ou de la nuit.
— Oui ?
— Henri Buekenhoudt. Je ne vous dérange pas ?
— Si, justement, vous me dérangez.
— Vous m’en voyez navré. J’ai tenté plusieurs fois de vous joindre à votre cabinet.
— Que se passe-t-il ?
— J’ai dans les mains un mandat de perquisition en bonne et due forme. Conformément à l’article 35 et suivants du Code d’instruction criminelle, je vous informe que nous procéderons ce jour à une perquisition à votre domicile. Votre présence ou celle de deux de vos parents ou alliés est requise, ou à défaut, la présence de deux témoins.
Il avait prononcé la litanie d’une traite, de sa voix monocorde.
— Qu’espérez-vous y trouver ?
— Je ne sais pas. Ce matin, l’un de mes collaborateurs est revenu de votre domicile avec un objet qui appartenait à la victime.
Je m’en doutais.
— J’ai des rendez-vous durant toute la journée. Pourrions-nous faire cela un autre jour ?
— Ne me forcez pas à vous présenter un mandat sans contrainte.
— Dans ce cas, fixons cela à vingt heures.
— Nous ne souhaitons pas vous importuner plus que nécessaire. Nous attendrons votre retour. Dix-neuf heures.
— Bien, dix-neuf heures.
Je raccrochai.
Une boule s’installa au creux de mon estomac. Cette annonce prouvait la détermination de Witmeur.
Par chance, ils ne trouveraient rien, du moins je l’espérais.
Les clients qui ont connu les affres d’un cambriolage m’ont parlé de la désagréable impression de viol qui en résulte. Sans compter que certains objets oubliés au fond d’un tiroir n’attendent qu’à révéler la part d’ombre peu avouable de leur possesseur.
Il y a peu, une femme était venue me consulter. En faisant du rangement, son mari avait trouvé une valise de belles dimensions cachée au fond d’une armoire. Celle-ci contenait une cargaison de sex-toys aussi colorés qu’innovants.
Pour se disculper, elle avait tenté de lui faire croire qu’elle avait accepté une représentation d’équipements récréatifs pour arrondir ses fins de mois, ce qui justifiait en outre certaines de ses absences.
Le déballage des pièces à conviction au tribunal constitua un mémorable morceau de bravoure.
Je poursuivis ma balade, mais le charme était rompu. Mes croquettes aux crevettes n’eurent pas la saveur escomptée et une contravention m’attendait sur le pare-brise de ma voiture.
Sur la route du retour, je ne pris pas garde aux limitations de vitesse et perçus l’éclair d’un flash dans mon rétroviseur.
J’appelai Patrick pour lui faire part des réjouissances qui me guettaient.
Une nouvelle fois, il se montra serein.
— Tu n’as rien à te reprocher, reste calme et assure-toi que les règles en la matière soient respectées.
— La montre ?
— Il a commis une erreur, il n’aurait pas dû l’emporter, les preuves découvertes lors de perquisitions illégales ne peuvent pas être utilisées contre le suspect.
— Je ne sais pas si on peut parler de perquisition illégale.
— Il avait un mandat ?
— Non.
— Voilà. Sache qu’une perquisition doit être effectuée en proportion de son objectif. En ce qui te concerne, ils ne peuvent pas débarquer chez toi avec des unités spéciales ou une meute de chiens renifleurs.
— Tu me rassures.
— Vérifie aussi le procès-verbal de la perquisition. Tout ce qui n’est pas consigné par écrit est considéré comme inexistant. Tant qu’on y est, surveille ce Witmeur, qu’il ne découvre pas des objets qui ne t’appartiennent pas.
J’avais eu l’occasion de voir Patrick à l’œuvre dans une affaire de fraude. Il avait interpellé l’avocat de la partie adverse et lui avait servi une formule dont il avait le secret.
« Maître Laloux est plus fort que David Copperfield. Si le célèbre illusionniste est capable de faire disparaître des choses qui existent, mon cher confrère est quant à lui capable de faire apparaître des choses qui n’existent pas. »
L’assistance s’était esclaffée, mais l’insinuation lui avait valu un rappel à l’ordre.
Je lui parlai du journal disparu et lui demandai son avis.
— Ils t’ont demandé si tu avais remarqué quelque chose de particulier sur les photos ?
— Non.
— Dans ce cas, ne leur en parle pas, on verra plus tard si on peut exploiter ça.
— Merci, Patrick.
Je raccrochai et éteignis mon portable.
La rentrée approchait, les embouteillages faisaient leur retour. Je n’arrivai au cabinet qu’à dix-sept heures trente.
Véronique m’accueillit avec un sourire crispé.
— Votre cliente vous attend.
Je l’avais oubliée.
— Vous auriez dû me prévenir.
— Vous m’aviez dit en fin d’après-midi. J’ai fixé le rendez-vous à dix-sept heures. Elle attend depuis dans la salle d’attente. J’ai tenté de vous joindre, sans succès. Je lui ai proposé de reporter le rendez-vous, mais elle a insisté pour vous voir aujourd’hui.
— Bien, je vais la recevoir. Comment s’appelle-t-elle ?
— Elle n’a pas voulu me le dire.
Je ne m’en formalisai pas, cette réaction arrivait couramment lorsque la femme était dans la phase de rumination exploratoire. Sa décision n’était pas prise, elle craignait d’être découverte et venait incognito.
J’étais satisfait d’avoir limité cette entrevue à une trentaine de minutes. La prise de contact consistait dans bien des cas à écouter les doléances du plaignant et à dresser l’inventaire des défauts du conjoint incriminé.
Dans ce registre, les femmes se révélaient les plus virulentes. Il leur arrivait de remonter vingt ans en arrière pour me dresser la liste des mots malheureux, des oublis impardonnables, des retours imbibés, des gestes déplacés et des comportements machistes auxquels elles avaient été confrontées durant le long calvaire qu’avait été leur vie d’épouse.
Lorsqu’elles en avaient terminé, l’envie me brûlait de leur demander pourquoi elles avaient épousé un pareil crétin ?
J’entrai dans mon bureau, choisis un dossier au hasard et fis mine de me plonger dans sa lecture.
Véronique frappa à la porte quelques instants plus tard et fit entrer la visiteuse.
La femme qui avançait avait une trentaine d’années.
Elle était aussi élancée que Nolwenn, avait des cheveux noirs mi-longs et affichait un sourire éclatant que son teint mat faisait ressortir.
Le plus troublant était la lueur d’amusement avec laquelle elle me dévisageait de ses yeux vairons. Je savais que cette particularité existait, mais je n’avais jamais eu l’occasion de l’apprécier de visu. Son œil droit était bleu, le gauche marron.
— Maître Tonnon ?
Je souris malgré moi, quelque peu mal à l’aise.
— Enchanté.
— Christelle Beauchamp, ravie de faire votre connaissance.
Mon expérience et ma longue pratique des relations humaines me permirent de percevoir le message évanescent qui ondoyait dans son sillage.
Danger !
J’aurais pu improviser, élaborer une excuse, fournir un prétexte, trouver une échappatoire pour ajourner le rendez-vous et me soustraire au piège que je pressentais.
Je lui indiquai un siège.
— Prenez place, je vous en prie.
J’étais abonné aux mauvaises décisions.