À l’exception d’un matelas, la maison avait été vidée de fond en comble. Avec un aplomb déconcertant, la femme soutint qu’ils avaient toujours vécu de cette manière et que c’était l’une des causes de son départ.
Ils avaient failli en venir aux mains.
À présent, il n’était plus nécessaire de réaliser un inventaire notarié, les époux pouvaient rédiger eux-mêmes la liste de leurs biens, ce qui donnait parfois lieu à des annotations vaudevillesques telles que : une statue de la Vénus de Milo (bras manquants) ou un exemplaire du Kamasutra (peu utilisé).
Je restai au salon en compagnie de Descamps et de Buekenhoudt. Après un temps, je les invitai à s’asseoir.
Nous restâmes trois bonnes minutes sans aucun échange de mots.
Pour ma part, le silence ne m’embarrassait pas.
Je le considérais comme l’un de mes alliés les plus précieux. Je pouvais rester silencieux de longues minutes, le visage impassible, le regard impénétrable, tout à l’observation de la gêne grandissante dans le chef de mes interlocuteurs.
En l’occurrence, le magistrat n’en menait pas large et il me tenait à cœur d’exploiter cette faille. Pour se soustraire au poids du silence, il s’était perdu dans la contemplation de l’Alechinsky qui ornait le mur latéral.
Buekenhoudt prit l’initiative de relâcher la tension.
— S’il y a des papiers, nous préférons emporter le tout et les examiner au bureau.
— Il n’y a aucun papier ici. Et n’essayez pas d’inclure dans votre protocole l’objet que monsieur Witmeur a emporté illégalement ce matin.
Il jeta un coup d’œil à Descamps, dans l’espoir qu’il vienne à sa rescousse.
Ce dernier prit la parole en veillant à ne pas croiser mon regard.
— Nous connaissons notre métier. Si nous estimons que cela s’avère nécessaire, nous perquisitionnerons le cabinet de monsieur l’avocat.
Il y avait bien longtemps qu’un juge ne m’avait interpellé en usant de cette formule désuète.
Je me levai d’un bond, le fixai dans les yeux et pris un ton offusqué.
— Je vous invite également à perquisitionner mon véhicule, ma cave à vin et mon appartement à Courchevel, j’aurais pu y faire un saut pour y dissimuler des preuves.
Buekenhoudt en avait vu d’autres, il me considéra d’un air las, comme s’il avait affaire à un ivrogne lancé dans une tirade grandiloquente.
En revanche, l’embarras du juge était palpable.
Il se leva à son tour.
— Monsieur Tonnon, ne rendez pas les choses plus difficiles qu’elles ne le sont.
— Plus difficiles qu’elles ne le sont ? Vous plaisantez ? Vous savez ce que j’endure depuis deux jours ? La presse, les interrogatoires, les appels téléphoniques, les visites matinales, les remarques acerbes, le mandat de perquisition. Je ne suis qu’un témoin, mais toutes ces démarches font de moi un coupable en puissance. Ma réputation est ternie à jamais. Ma compagne m’a quitté, mes amis sont muets, mes clients sont absents. Je m’attends à être radié du Barreau. Alors, je me permets de vous poser une question, Monsieur le juge, qui rend les choses difficiles à l’autre ?
Il en resta bouche bée.
Buekenhoudt se leva et s’interposa.
— Calmez-vous, monsieur.
Je tenais le bon bout et il ne fallait pas que je le lâche. Du coin de l’œil, je regardai par la fenêtre et vis que les journalistes s’étaient passé le mot. Une dizaine de photographes étaient agglutinés devant l’immeuble et attendaient ma sortie, encadré par les policiers, menotté de préférence.
Je les pointai d’un geste théâtral.
— Voilà ! Vos amis les photographes sont arrivés, le spectacle peut commencer. J’imagine sans peine les titres dans les journaux de demain. Perquisition chez l’avocat Hugues Tonnon, le dernier à avoir vu Nolwenn Blackwell vivante. Et la présomption d’innocence, qu’est-ce que vous en faites ? Était-il nécessaire d’ameuter la presse pour débarquer ici ?
Buekenhoudt se fit plus incisif.
— Maintenant, bouclez-la ou je vous embarque.
L’entrée inopinée de Witmeur mit fin à l’accrochage.
Il était accompagné de l’un de ses sbires. Les chaussures de ce dernier étaient crottées et répandaient des pelletées de terre grasse dans le salon. Ses mains étaient souillées comme s’il avait fouillé le sol. L’air triomphant, il tenait un objet métallique entre le pouce et l’index.
Witmeur interpella Buekenhoudt.
— Monsieur le commissaire, nous avons trouvé ceci dans l’un des parterres du jardinet situé devant l’immeuble. La terre a été retournée il y a peu, ce qui a attiré notre attention.
C’était une clé Yale, comme il en existe des millions dans le monde.
Buekenhoudt m’interpella.
— D’où vient cette clé, Monsieur Tonnon ?
Je soupirai.
— Je n’en sais rien. Il y a plusieurs appartements dans cet immeuble, c’est peut-être l’un de mes voisins qui l’a dissimulée à cet endroit, en cas de perte.
Hormis le juge, ils opinèrent tous trois du bonnet.
J’avais une vague idée de ce que l’on pouvait faire de cette clé.
J’étais prêt à parier vingt ans de ma vie qu’elle ouvrait l’appartement de Nolwenn Blackwell.
JEUDI 25 AOÛT 2011
12
LE PROCÈS
La salle d’audience était comble.
Avec sa hauteur de plafond et ses colonnes en marbre, elle ressemblait à n’importe quelle salle d’audience.
À la table des juges, en surplomb de deux bons mètres par rapport à la position que j’occupais, Witmeur présidait, le regard hautain, l’épaule accusatrice. Buekenhoudt et Grignard étaient assis de part et d’autre. Tous trois portaient des robes noires et étaient coiffés d’épaisses perruques à rouleaux.
J’étais à la barre, vêtu d’un seul caleçon.
Witmeur se leva et prit un ton solennel.
Sa voix résonna curieusement dans l’hémicycle.
— Résumons. Vous tentez de séduire la victime, celle-ci se défend, vous la tuez puis vous la violez. Vous rentrez chez vous à pied, vous faites disparaître la clé, puis vous appelez un taxi et vous retournez chez la victime pour vous changer.
Il confondait tout.
Je levai une main.
— Objection, Votre Honneur.
Il posa les mains sur la table, se pencha dans ma direction et se mit à hurler.
— Ta gueule, Tonnon, c’est moi qui cause !
Je me réveillai d’un coup, le cœur battant, le corps trempé de sueur.
Il était 4 h 10. Il faisait nuit noire.
Dans moins de deux heures, le soleil se lèverait et ils viendraient sonner à ma porte.
J’ouvrirais.
Witmeur et Grignard seraient là, frais et dispos.
Ils m’annonceraient que la clé qu’ils avaient trouvée dans mon jardin ouvrait l’appartement de Nolwenn Blackwell. Je prendrais l’air surpris. Ils me demanderaient des explications. Comme je n’en aurais pas, ils me présenteraient le mandat d’arrêt et me passeraient les menottes.
Dans la journée, ils recevraient les résultats des analyses ADN et établiraient le mobile du meurtre.
Crime passionnel.
Ils me placeraient en détention préventive à Forest ou à Nivelles. Au mieux, il me resterait mon téléphone portable et l’heure de visite quotidienne pour tenter de prouver mon innocence, mais plus personne n’y croirait.