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Patrick ferait son possible pour me sortir de là, mais des affaires moins périlleuses l’attendraient. Sac à main, mon fidèle enquêteur, me laisserait tomber. Maxime s’emparerait de ma clientèle et Caroline nierait m’avoir connu. Mes amis ne seraient plus mes amis. Seuls mes parents me renouvelleraient leur confiance.

Mon procès aurait lieu dans un an ou deux et je serais déclaré coupable. Même si le crime passionnel était l’homicide le moins sévèrement puni, j’écoperais de quinze à vingt ans de prison, eu égard à la préméditation.

Terminé les parcours de golf sur les plus beaux sites de la planète, les folles descentes à ski sur les pistes de Courchevel, les parties de bridge du jeudi soir, les goûters du dimanche après-midi chez mes parents, les sorties arrosées avec mes confrères et les étreintes furtives au petit matin.

On m’enfermerait dans une cellule infâme équipée d’un lit trop étroit, d’un matelas éventré et de draps répugnants.

Je serais contraint de vivre dans une promiscuité étouffante. Je devrais me déshabiller, uriner et déféquer devant mon codétenu. On me servirait de la nourriture infecte, de l’eau croupissante et du café bouilli. Une fois par semaine, je me ferais violer dans les douches.

Je me levai d’un bond et tentai de chasser mes idées noires.

Je me servis un verre de cognac et l’avalai d’un trait. Il avait le goût de mon cauchemar.

Mon sort m’apparut comme une évidence. Je ne sortirais jamais de cette prison, je serais mort bien avant. Et si la mort ne m’emportait pas, j’en sortirais vieux et usé.

Ma vie était finie.

L’alternative était de prendre la fuite, mais mon échappée signifierait ma culpabilité. Patrick ne validerait pas ce choix. Je serais seul, loin de tout, livré à moi-même.

J’avalai un second verre de cognac.

La chaleur de l’alcool commença à se répandre dans mon corps.

Rester et mourir ? Partir et vivre ?

Poser la question équivalait à y répondre.

Partir pour aller où ?

Demain, un avis de recherche international serait lancé. Je ne pourrais ni entrer dans un aéroport ni passer une frontière. Mes comptes en banque seraient bloqués et mes cartes de crédit inutilisables. Je ne pourrais utiliser ni mon téléphone portable ni mon adresse de messagerie sous peine d’être localisé dans les dix minutes. Je devrais éviter les caméras urbaines, changer mon apparence, me laisser pousser la barbe, porter des lunettes noires.

Je serais le fugitif, le nouveau Richard Kimble, à la recherche de l’assassin de Nolwenn.

C’était ma seule issue, trouver celui qui avait commis ce meurtre.

Quelles étaient mes chances ? Je n’avais aucune piste, aucun indice, aucun témoin, aucun manchot en vue.

J’avalai un troisième verre de cognac.

Cette fois, l’alcool partit en ligne droite vers mon cerveau. Une douce euphorie m’enveloppa.

Le crime parfait n’existait pas. Je trouverais l’assassin de Nolwenn. Le meurtrier avait commis une erreur. Un voisin se souviendrait, des indices apparaîtraient, des témoins parleraient, des preuves émergeraient.

Après une chasse impitoyable, je rentrerais en tirant le responsable par le collet. Je le livrerais à la justice, je jetterais les preuves sur le bureau de Witmeur. Il blêmirait et se confondrait en excuses.

Magnanime, je balaierais ses justifications d’un geste large.

Il était 4 h 28.

Je devais prendre une décision, et je devais la prendre sans tarder.

13

LE FUGITIF

Dans l’une de ses chansons, Charles Aznavour laisse entendre que Paris serait désert au mois d’août. Il était 8 h 20, le périphérique était embouteillé comme au plus beau jour d’une grève de métro.

J’avais quitté Bruxelles trois heures auparavant, après avoir empilé quelques vêtements et jeté mes affaires de toilette dans la plus grande valise que j’avais trouvée.

Avant de partir, j’avais noté dans mon agenda les données et numéros de téléphone susceptibles de m’être utiles. J’avais ensuite laissé mon téléphone portable allumé en veillant à couper la sonnerie. À proximité de l’entrée de l’autoroute, j’avais fait une halte dans une rue calme et l’avais glissé dans un sac-poubelle qui attendait le ramassage.

La vision de Witmeur au dépôt d’ordures, pataugeant dans un tas de détritus à la recherche de mon téléphone, m’avait mis un peu de baume au cœur.

Je sortis porte Maillot et remontai l’avenue de la Grande-Armée. Arrivé à l’Arc de Triomphe, je m’engageai dans l’avenue Kléber. L’agence du Crédit Suisse se trouvait au numéro 25. Il me fallut une vingtaine de minutes pour trouver une place de stationnement autorisé.

Je fus accueilli par une hôtesse en tailleur bleu marine qui s’enquit de ma demande en me présentant son plus beau sourire.

— Bonjour monsieur, en quoi pouvons-nous vous aider ?

— Je suis client chez vous, je souhaite procéder à un retrait.

— Bien sûr, monsieur.

Elle prit le téléphone, échangea quelques mots et m’aiguilla vers un bureau dans lequel m’attendait un homme en costume gris qui se mit au garde-à-vous à mon entrée.

— Bonjour, monsieur, vous souhaitez procéder à un retrait, je vais m’occuper de votre demande. Puis-je avoir votre nom et une pièce d’identité, s’il vous plaît ?

Je m’exécutai et il se mit en devoir de taper sur son clavier en inspectant l’écran. Il élargit son sourire, rasséréné par les chiffres qui s’affichaient.

Mon manque de civisme ne me causait aucune honte.

Les avocats sont loin d’être les seuls à se dérober au fisc, ils ne viennent qu’en troisième position, derrière les dentistes et les ministres.

— Quel montant souhaitez-vous retirer ?

— Cinquante mille euros.

Il accueillit l’information avec le même détachement que si je lui avais annoncé que la température extérieure était de vingt degrés. Je m’étais souvent demandé quel entraînement suivaient ces gens pour rester à ce point imperturbables, et à partir de quel montant on pouvait voir tressaillir un muscle de leur visage.

— Bien, monsieur, je vous remets le montant en euros ou souhaitez-vous d’autres devises ?

— En euros, ce sera parfait.

Au-delà de ce montant, ils risquaient de m’imposer un délai pour raison technique. Je savais que les agences ne disposaient pas d’une réserve inépuisable d’espèces dans leurs coffres. Je savais également que mon nom ne les ferait pas réagir et que, si d’aventure ils apprenaient que j’étais l’un des principaux suspects dans une affaire de meurtre, je bénéficierais de la légendaire amnésie helvétique.

Il prit le téléphone, murmura quelques mots d’un ton feutré et reposa le combiné comme s’il s’agissait d’un objet de grande valeur.

— Avez-vous une autre requête, monsieur ?

Je sortis mon agenda.

— Oui, j’aimerais que vous fassiez un virement de dix mille euros sur ce compte.

Je lui dictai la série de chiffres.

— Ce sera fait, monsieur.

Je ressortis de l’agence quelques minutes plus tard avec dans ma poche une enveloppe contenant la somme demandée.

Je retrouvai ma voiture et remontai l’avenue des Champs-Élysées en quête de mon second objectif.

Lorsque j’atteignis la place de la Concorde, je pris la voie Georges-Pompidou et longeai les quais jusqu’au Boulevard Henri-IV. Je remontai vers la Bastille en explorant les façades. Je fis le tour de la place et pénétrai dans la rue Saint-Antoine.

Après quelques centaines de mètres, je trouvai ce que je cherchais.