Un panneau grossièrement peint annonçait un parking de cinquante places. De plus, il était possible de bénéficier d’un lavage à la main traditionnel. Le dernier mot était écrit avec un seul n, ce qui laissait augurer que j’avais visé juste.
Je me faufilai dans l’entrée, plongeai dans les ténèbres et m’arrêtai à hauteur d’une sorte de guérite mal éclairée dans laquelle un homme lisait le journal, les pieds sur la table, la chaise en équilibre précaire.
Il replia sa gazette en maugréant et vint à ma rencontre.
— C’est pour combien de temps ?
— Je passe la journée à Paris, mais je pars en voyage ce soir pour une ou deux semaines.
Il fit la moue.
— Ça va être difficile.
Expression lapidaire qui signifiait que c’était possible, mais que cela allait me coûter une fortune.
Il lança un cri et un homme aux jambes arquées vêtu d’une salopette orange émergea de l’ombre.
— Ouais ?
— Tu as une place pour une ou deux semaines ?
L’homme avança en boitillant et esquissa une grimace. Il se mit en devoir de remettre ses testicules en place, haussa les épaules et confirma le pressentiment de son patron.
— Ça va être difficile.
Je sortis mon sésame.
— Je n’ai pas besoin de reçu et je peux vous payer une semaine d’avance, si ça peut aider. S’il y avait moyen de la laver par la même occasion, ce serait parfait.
Ils acquiescèrent à l’unisson.
— On va trouver une solution.
La solution trouvée, je sortis du parking en traînant ma valise derrière moi. Je parcourus une centaine de mètres et entrai dans une boutique de télécom.
Vingt minutes plus tard, je quittai le commerce équipé d’un téléphone portable bas de gamme et d’une carte prépayée.
J’entrai dans le premier bistro, pris un café et deux croissants et composai le numéro de Raoul Lagasse, alias Sac à main.
— Bonjour Raoul, c’est moi.
— Bonjour, maître, vous êtes en France ? Vous avez changé de numéro ?
— Note ce numéro dans ta mémoire.
— Je vois.
— Je t’ai adressé un virement de dix mille euros ce matin, en guise d’acompte pour services à rendre.
— Ce n’était pas nécessaire, j’ai confiance en vous.
— As-tu trouvé quelque chose dans l’affaire Blackwell ?
— J’ai un début de biographie, pas encore grand-chose. Je commence à sa naissance ou à la date de sa mort ?
— Ce qui te semble lié à mes problèmes.
Il soupira.
— Blackwell était carbonisée dans le métier, plus personne ne voulait d’elle. Elle était capricieuse et instable. Quand elle daignait se présenter aux défilés ou aux séances photo pour lesquels elle avait signé un contrat, elle exigeait une loge privée dont l’air devait être purifié. Il fallait qu’il y ait du champagne, des bouteilles d’eau norvégienne, des serviettes en lin, de la vaisselle de Chine, des limes à ongles, un bouquet de vingt-trois roses rouges et un tas de bricoles du même acabit. Si quelqu’un avait le malheur de fumer dans un périmètre de cent mètres, elle s’en allait en claquant la porte.
— Quel rapport avec notre affaire ?
— Elle était ruinée et endettée jusqu’au cou. Elle a vendu l’appartement qu’elle avait à New York le mois passé, mais ça n’a pas suffi à combler le gouffre. Le mariage avec Amaury Lapierre était sa bouée de sauvetage.
L’information ne me surprenait pas.
Plus que son soi-disant déshonneur, c’était la perspective de ramasser le pactole qui l’avait attirée dans mon cabinet.
— C’est comme cela que je l’ai perçu. Pourtant, je l’ai sentie déterminée, sûre d’elle. Elle semblait convaincue d’obtenir une indemnité de rupture. Sans doute avait-elle quelque chose à monnayer. Son silence, par exemple.
— Dans ce cas, elle ne serait pas venue vous trouver, je vous vois mal jouer l’intermédiaire dans une affaire de chantage.
Déduction pleine de bon sens.
— Qui pouvait lui en vouloir au point de la tuer ?
— Si j’exclus ses consœurs qui l’ont envoyée au diable en lui souhaitant la mort, il y a les innombrables personnes à qui elle a fait faux bond et qui ont perdu de l’argent à cause d’elle. Il y a aussi la brochette de personnages plus ou moins louches qu’elle fréquentait, hommes d’affaires véreux, dealers, trafiquants, prostituées de luxe, proxénètes, caïds. Plus la racaille habituelle qui rôde dans ce milieu.
— Ce qui fait du monde.
— J’en oublie certainement.
— Tu écartes toujours la possibilité que Lapierre soit derrière le meurtre ?
— Je ne vois pas de mobile suffisant, en tout cas pas à première vue, mais je pourrai vous en dire plus dans quelques jours. Les obsèques ont lieu demain après-midi, je compte passer y faire un tour.
— En attendant, j’aimerais que tu te renseignes sur plusieurs points.
— Je vous écoute.
— Une certaine Christelle Beauchamp est venue me voir hier soir. Elle s’est présentée comme journaliste indépendante et a déclaré préparer la biographie de Nolwenn Blackwell. Selon elle, Nolwenn lui aurait laissé un message disant qu’elle avait fait une connerie.
— C’est noté.
— Autre chose, la police a effectué une perquisition chez moi hier soir. Ils ont trouvé une clé enterrée dans le jardinet devant l’entrée.
Il fulmina.
— Quelle coïncidence ! J’étais certain que l’assassin avait la clé de l’appartement de Blackwell. Comme vous étiez sous le feu des projecteurs, il en a profité pour vous charger.
— Sans doute, mais à cette heure, je ne sais pas encore si cette clé ouvre l’appartement de Nolwenn et l’information ne se trouvera pas dans les journaux. Tu peux te renseigner ?
— Je m’en occupe.
— J’aimerais aussi que tu t’intéresses à Amaury Lapierre, il n’est peut-être pas dans le coup, mais il sait sûrement quelque chose. J’aimerais connaître l’adresse de son domicile, celle de son bureau, ses habitudes, où il déjeune, qui est son coach personnel ou sa masseuse attitrée.
— D’accord. Vous êtes joignable à ce numéro ?
— Oui.
— Je vous appelle dès que j’ai du nouveau.
— Une chose encore, Raoul.
— Oui ?
— Merci.
Je sortis du bistro, toujours en tractant ma valise comme le dernier des touristes.
Il me fallait à présent trouver un hôtel.
Je devais d’emblée exclure les cinq étoiles et les hôtels faisant partie d’une chaîne, ils exigeraient une pièce d’identité ou une empreinte de ma carte de crédit.
Je poursuivis ma route et entrai dans le métro à la station Saint-Paul. J’en ressortis quinze minutes plus tard à Franklin-Roosevelt et descendis l’avenue Montaigne à la recherche d’un hôtel discret.
Je passai devant les boutiques de luxe avec un serrement au cœur. Je me revoyais chez Chanel quelques mois auparavant, Caroline à mes côtés, me suggérant de lui offrir un petit souvenir de Paris.
Quelques mètres plus loin, une librairie se vantait de distribuer l’intégralité de la presse internationale.
Je pénétrai dans la boutique à la recherche des titres belges.
À l’heure qu’il était, ma disparition ne pouvait être suspecte. Je n’étais pas inculpé et n’étais encore qu’un témoin. Il y avait peu de chances pour que ma photo soit exposée dans les journaux ou que mon nom soit cité.
Je pris Le Soir et La Libre Belgique dans les rayonnages. De fait, le nom de Blackwell ne se trouvait plus en première page, éclipsé par la victoire de l’équipe belge de hockey contre l’Espagne.