Un quotidien glissé dans un présentoir voisin attira mon attention.
Le titre à la une était proche du néerlandais, mais ce n’était pas du néerlandais. Je fermai les yeux et revis la table encombrée dans le salon de Nolwenn. Le titre du journal trouva sa place dans ma mémoire.
J’interpellai la femme qui se tenait derrière la caisse.
— Pardon, madame, il vient d’où, ce journal ?
Elle avança la tête.
— Die Burger ? Afrique du Sud.
Que faisait un quotidien sud-africain dans l’appartement de Nolwenn la veille de sa mort ? Plus étrange, pourquoi avait-il disparu le lendemain ?
14
FENÊTRE SUR COUR
Je dus parcourir l’avenue Montaigne de bout en bout, continuer jusqu’à la place de l’Alma, traverser la Seine et sillonner la rue de l’Université pour trouver un établissement classé en deçà de quatre étoiles.
À bout de souffle, courbaturé par le périple et la valise qui traînaillait dans mes pieds, je jetai mon dévolu sur un hôtel discret d’inspiration provençale situé dans la rue Malar.
Je m’y présentai sous le nom de Marc Levy, premier patronyme qui me vint à l’esprit. La réceptionniste hocha la tête et me fit remplir une fiche. J’en déduisis qu’elle ne connaissait pas l’illustre homme de lettres.
Ma chambre donnait sur la cour intérieure. Quelques hôtes germanophones prenaient un petit-déjeuner tardif en échangeant des plaisanteries ponctuées de rires gutturaux.
Je testai le lit qui répondit à ma sollicitation par un couinement de détresse. J’inspectai ensuite la salle de bains. La prise électrique fonctionnait et la chasse d’eau remplissait son office. Hormis quelques cheveux qui tire-bouchonnaient dans le fond de la baignoire et des résidus de calcaire sur la robinetterie, la propreté était satisfaisante.
Je défis ma valise, rangeai avec soin mes vêtements dans l’armoire qui sentait l’antimite et disposai mes affaires de toilette dans la salle de bains.
Lorsque tout fut rangé, je m’effondrai sur le lit.
Il était temps que je réfléchisse au tour que ma vie venait de prendre et à ce que j’allais désormais en faire.
Midi approchait, ma fuite était manifeste et Witmeur devait fulminer.
Je l’imaginai gesticulant dans son bureau, interpellant ses semblables pour leur notifier qu’il avait eu raison. Je l’entendis pleurnicher, se lamenter, déclarer que si le juge d’instruction l’avait écouté, il m’aurait arrêté dès le lendemain du meurtre, j’aurais craqué sous la pression, j’aurais tout avoué lors de l’interrogatoire et je serais sous les verrous.
Il aurait fait la une des journaux, aurait reçu une promotion et se serait acheté une nouvelle moto.
À présent, il allait se lancer à mes trousses. Il devait s’être juré d’avoir ma peau, quitte à faire le tour de la planète pour me retrouver.
La première décision que je pris fut de ne plus consulter les quotidiens. Je ne tenais pas à me laisser intimider par les titres racoleurs qui allaient apparaître dans les heures qui suivraient.
Ma seconde décision fut de concocter un plan. Je tournai et retournai les maigres éléments que j’avais en ma possession.
Nolwenn Blackwell était ruinée. Elle était grillée dans le métier et était aux abois. Par chance, son mariage avec Amaury Lapierre allait lui donner un second souffle et la sauver de la banqueroute.
Hélas, un paparazzi avait mis fin au conte de fées.
Quelques jours avant sa mort, elle avait laissé un message à Christelle Beauchamp dans lequel elle déclarait avoir fait une erreur.
Durant les heures qui avaient suivi notre rencontre, elle avait été tuée de deux balles dans la tête. L’assassin était un apprenti tueur qui possédait la clé de son appartement et avait enterré celle-ci devant mon domicile pour faire peser les soupçons sur ma personne.
Avec l’hypothétique disparition d’un quotidien sud-africain, c’était à peu près tout ce que j’avais sous la main pour entamer mon enquête personnelle.
J’en étais là de mes réflexions quand les premières notes de la Lettre à Élise se firent entendre. Je me promis de changer la sonnerie de mon portable et décrochai.
— C’est moi, maître.
— Je m’en doute, tu es le seul à connaître ce numéro.
— J’ai quelque chose.
— Je t’écoute.
— Amaury Lapierre est un accro du poker. Il joue deux ou trois fois par semaine. Jusqu’il y a peu, il se partageait entre le Cercle Wagram et le Cercle Hausmann, mais les deux cercles ont été fermés par la police pour fraudes, exercice illégal du métier de banquier, extorsion, blanchiment et j’en passe. Dans le cadre de l’enquête sur le Cercle Haussmann, un certain monsieur Stéphane a été interpellé. Les flics le suspectaient d’organiser des parties de poker clandestines qui réunissaient le gratin des flambeurs parisiens, en plus de vedettes du show-business et de quelques membres de la mafia corse. Pour s’asseoir à ces tables, il fallait débourser dix ou vingt mille euros d’entrée de jeu. Le nom de Lapierre a été cité, mais il a disparu du dossier aussi vite qu’il y est apparu.
— Homme d’affaires, playboy et flambeur, un digne successeur à notre baron Empain, en quelque sorte.
— Oui, mais entouré d’une garde rapprochée. À présent, il exerce son art au Cercle Gaillon. Il y est le mardi et le jeudi, en début de soirée. Au cas où l’information vous intéresserait, ça se trouve à Paris, rue de Berri.
— Qu’est-ce qui te laisse penser que je suis à Paris ?
— Rien. Comme rien ne me laisse penser que vous souhaitez rencontrer Amaury Lapierre.
— Merci pour l’information, Raoul.
— Si vous avez besoin d’un coup de main, je peux être à Paris en moins de deux heures.
— Je pense que tout ira bien.
— Un conseil, maître, faites attention. En plus des gardes du corps qui ne le lâchent pas d’une semelle, ce type bénéficie de protections au plus haut niveau.
— Je suivrai ton conseil, je ne prendrai pas de risque, surtout dans la situation qui m’occupe.
Jusque-là, je n’avais pas de plan.
À présent, j’en avais un.
15
JEUX INTERDITS
Je somnolai une partie de l’après-midi devant un vieil épisode d’une série américaine dans lequel Betty expliquait à Janice que John ne savait pas que la femme de Steve avait eu une relation avec le frère de Walter.
Sur le coup de dix-sept heures, je quittai l’hôtel à pied. Je tenais à être au Cercle Gaillon avant l’arrivée d’Amaury Lapierre.
J’arpentai la rue de Berri, de l’avenue des Champs-Élysées au boulevard Haussmann, à la recherche d’une façade racoleuse ou d’une enseigne tape-à-l’œil. Je passai devant l’entrée sans la remarquer, une simple porte cochère qui jouxtait un restaurant asiatique.
Je fus accueilli par une hôtesse aux formes généreuses qui m’évalua de pied en cap d’un regard grave. Je m’acquittai des formalités d’entrée et déboursai la somme de cent euros. D’un geste gracieux, elle fit disparaître les billets et me proposa de faire le tour du propriétaire.
Elle me vanta les services du bar, m’énuméra les quelques règles de bonne conduite et me détailla le programme des tournois réguliers organisés durant la semaine en mettant un accent particulier sur le Texas Hold’em No Limit qui se déroulait le jour même, comme tous les jeudis, et démarrait à dix-huit heures trente.