Nous revînmes dans le salon et il m’attira dans un recoin. Son nervi vint à la rescousse, le mouchoir déployé, les glandes sudoripares en alerte. Il le rassura d’un clignement de paupières.
Nous nous assîmes. Notre différence de taille se fit moins manifeste et il retrouva son arrogance naturelle.
— Il vous reste deux minutes, je vous écoute.
Je me remémorai la phrase de Francis Walder que j’avais faite mienne dès le début de ma carrière.
Bluffer n’est pas mentir.
Fort de ce sain principe de négociation, je lâchai ma bombe.
— C’est Nolwenn qui a commandité le paparazzi qui vous a surpris.
L’idée m’était venue intuitivement.
Elle valait ce qu’elle valait, mais elle me semblait suffisamment intrigante pour piquer sa curiosité et suspendre le compte à rebours.
Il me dévisagea sans sourciller.
— Je le savais, vous ne m’apprenez rien.
Je pensais le stupéfier, l’assommer, le mettre K.O., mais le boomerang me revenait dans les gencives. J’étais un piètre joueur.
— Vous le saviez ?
Il ne put s’empêcher de grimacer un sourire en voyant ma mine déconfite.
— C’est tout ce que vous vouliez me dire ? Je vous remercie pour l’information. À présent, j’aimerais retourner à ma partie. Je vous souhaite une bonne soirée.
Il se leva.
Le poussah, resté à l’écart, fit un pas dans notre direction.
— Elle m’a aussi confié qu’elle avait pris un risque.
Il marqua le coup.
— Un risque ? Quel risque ?
— Un risque suffisant pour que quelqu’un décide de la faire taire.
Il reprit place.
— Depuis combien de temps connaissiez-vous Nolwenn ?
— C’était la première fois que je la voyais.
Il soupira.
— Laissez-moi deviner, vous êtes spécialisé en divorce ?
— En effet.
— Je vais vous dire quelque chose, maître… ?
— Tonnon. Hugues Tonnon.
— Je vais vous raconter ce que j’ai déjà raconté à la police française, maître Tonnon. Si vous n’avez rien à voir dans cette affaire, sachez que je n’ai rien à y voir non plus, comme je n’ai pas la moindre idée de qui a commis ce meurtre ni pourquoi. Sachez aussi que je suis très affecté par ce drame.
Pas au point de renoncer à sa partie de poker.
Je pris l’air désolé.
— Je vous prie de bien vouloir m’excuser, ce drame m’a bouleversé à plus d’un titre, je vous présente mes condoléances.
Nous respectâmes quelques conventionnelles secondes de silence.
Il se pencha vers moi.
— Vous avez du cran d’être venu jusqu’ici, mais n’essayez pas de prêcher le faux pour savoir le vrai. J’ai vécu avec Nolwenn pendant sept mois. Nous avons connu des moments extraordinaires et je l’aimais vraiment. Ces dernières semaines, elle avait changé. Quand j’ai fait sa connaissance, elle était difficile, mais ces derniers temps, elle était devenue invivable. Elle voulait me séquestrer, sa possessivité devenait insupportable. J’ai pourtant joué cartes sur table au début de notre relation.
— Qu’entendez-vous par jouer cartes sur table ?
— Elle connaissait mon attirance pour le jeu et elle avait accepté de s’en accommoder. Nous avions trouvé un modus vivendi. Début août, notre relation était devenue impossible, je lui ai annoncé que je comptais rompre mon engagement.
— Elle ne m’en a rien dit.
— Mieux, j’avais prévu un dédit et une rente pour elle. Elle s’en serait sortie honorablement et aurait été à l’abri du besoin. Elle a pris la mouche et a voulu se venger, sans doute sur les conseils de son pseudo agent. Elle a commandité ce paparazzi pour tenter de me soustraire plus d’argent. C’était une erreur de sa part. Quand j’ai appris que c’était elle qui avait organisé ce buzz, je lui ai dit qu’elle n’aurait rien.
Il me pointa de l’index.
— Et elle n’aurait rien eu. J’ai une armada d’avocats autrement plus coriaces que vous. C’était ça, le risque dont elle vous a parlé.
J’étais estomaqué et ne parvenais pas à le masquer.
Ou cet homme bluffait avec une maestria impressionnante ou je m’étais laissé avoir comme un gamin.
Je répétai, naïvement.
— Vous comptiez lui verser une rente ?
— Oui, je peux le prouver si la justice de mon pays en émet le désir.
Manière élégante de me dire de me mêler de mes affaires.
Une phrase de Nolwenn me revint.
— Vous lui aviez promis un dédit ?
— Oui, mais après l’affaire du paparazzi, je lui ai dit qu’elle n’aurait pas un euro, rien.
— Pourtant, lors de notre dîner, elle m’a annoncé qu’elle attendait une rentrée d’argent.
Il rit de bon cœur. Son rire ressemblait à la plainte du lit de l’hôtel.
— Une rentrée d’argent ? Quelle rentrée d’argent ? Elle n’avait plus honoré de contrat depuis plus de six mois, elle était à découvert sur tous ses comptes et les banquiers la harcelaient. Je lui avais promis de régler ça après le mariage.
Il se leva et me tendit la main.
— Je vais vous rendre un dernier service, je ne vous ai pas rencontré et je ne vous ai rien dit. Si vous avez besoin de moi pour retrouver ceux qui ont fait ça, contactez mon assistante et laissez-lui un message.
Je me levai à mon tour et lui serrai la main.
— Je n’y manquerai pas.
Il tourna les talons et reprit la direction de sa table.
Je le regardai s’éloigner.
Nolwenn ne m’avait pas tout dit. Sa rupture était consommée avant la fameuse photo et le dossier se serait révélé plus complexe qu’il ne paraissait.
Une chose restait néanmoins obscure.
La somme d’argent qu’elle disait attendre n’était peut-être que de la poudre aux yeux, mais si elle n’attendait aucune rentrée d’argent et qu’elle était à ce point sur la paille, pourquoi me confier cette montre qu’elle aurait pu très facilement monnayer ?
16
LE FAUSSAIRE
Je rechangeai mes jetons en euros et sortis du cercle empêtré dans mes pensées.
J’avais à peine fait quelques pas qu’une mélodie lancinante vint contrarier mes cogitations. Je jetai un coup d’œil autour de moi avant de réaliser qu’il s’agissait de la nouvelle sonnerie de mon portable.
— Maître, c’est moi.
— Inutile de me dire que c’est toi, je le sais, tu es le seul à avoir ce numéro, ton nom apparaît sur l’écran et je reconnais ta voix au premier…
Il ne me laissa pas le temps de terminer ma phrase.
— Ils savent où vous êtes.
Mon cœur fit une embardée.
— Ils savent où je suis ? Comment ont-ils fait ?
— Vous avez été pris en vidéo au poste de péage, à la sortie de l’autoroute. Après ça, ils vous ont repéré dans plusieurs coins de Paris grâce aux caméras de vidéosurveillance.
J’étais aussi abasourdi par la rapidité de réaction de la police que par l’efficacité de Sac à main. Je savais qu’il avait ses entrées auprès de ses anciens collègues, mais je n’imaginais pas qu’il pût être aussi proche du centre névralgique.
— Ils n’ont pas perdu de temps !
Il marqua une courte pause.
— Ce n’est pas tout, maître.
Je soupirai.
— Quoi encore ?
— À 17 h 40, vous êtes allé faire un tour au cercle de jeu qu’Amaury Lapierre fréquente habituellement. Vous y avez présenté votre carte d’identité pour les formalités d’inscription. Ils l’ont appris, il y a quelques minutes.