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— C’est un de mes voisins, il a été abattu alors qu’il rentrait chez lui. Il paraît qu’une voiture l’attendait et qu’on lui a tiré dessus. Il est mort sur le coup.

Je fis mine d’être épouvanté.

— C’est un homme politique ?

— Non, il travaillait dans la mode. Il n’était pas souvent là. Plutôt sympa, avec un genre, si vous voyez ce que je veux dire. Il rentrait de voyage, à ce que j’ai compris. Je ne sais pas ce qui peut expliquer ce meurtre.

— Il habitait dans la rue ?

L’homme fit un geste du menton.

— Oui, dans cet immeuble.

Comme je m’y attendais, il m’indiqua le numéro 33.

C’était un immeuble semblable aux autres, une construction de quatre étages avec de petits balcons protégés par un parapet en verre fumé.

La grille qui donnait accès à la propriété était ouverte et deux femmes discutaient en gesticulant à l’entrée. J’en conclus que l’une d’elles était la concierge. Soit elle ne voulait pas déserter son poste, soit elle répugnait à s’approcher du cadavre.

En temps normal, j’aurais pris mes jambes à mon cou, mais la norme avait changé.

Je me dirigeai vers elles d’un pas décidé et les interpellai.

— Bonjour, je suis l’avocat de monsieur Block. Y a-t-il un membre de la police dans son appartement ?

Elles s’arrêtèrent de parler et m’examinèrent en coin. Mon allure hautaine et ma prestance les impressionnaient.

Celle qui devait être la concierge prit la parole.

— Tout à l’heure, des policiers m’ont demandé d’ouvrir la porte et sont montés, mais ils sont repartis après quelques minutes.

Je pris l’air réprobateur.

— Ils vous ont demandé d’ouvrir la porte ?

Elle afficha la tête d’une gamine prise la main dans le bocal de bonbons.

— Oui, mais je n’avais pas la clé, ils ont forcé la porte.

J’écarquillai les yeux, ébahi, incrédule, comme j’avais appris à le faire lorsqu’un confrère faisait une déclaration qui désavantageait ma cause.

— Ils ont forcé la porte ?

— Oui, je ne savais pas, moi.

J’avançai d’un pas.

— Je vais aller voir ça.

Elle n’opposa aucune résistance.

Je pénétrai dans le parc intérieur et jetai un coup d’œil à la façade. Les volets du troisième étaient descendus. C’était vraisemblablement l’appartement de Block, il rentrait de voyage.

J’évitai l’ascenseur et pris l’escalier.

Je débarquai sur le palier du troisième. La serrure avait subi les assauts d’un outil barbare et des scellés avaient été apposés.

Une bande jaune était collée au chambranle et annonçait Police nationale — Prélèvement — Ne pas ouvrir. Une fiche cartonnée assortie d’un tampon annonçait Scellé provisoire.

Mon rythme cardiaque s’accéléra.

Devais-je entrer ou m’abstenir ?

Je me trouvais à nouveau dans une position inconfortable, face à un dilemme cornélien.

Je fermai les yeux et attendis que les battements de mon cœur s’apaisent. J’aspirai une grande goulée d’air et me programmai psychologiquement à affronter le pire des cas.

Je suis l’avocat de Richard Block. Nous avions prévu de nous rencontrer à son retour de Thaïlande. Il est de mon devoir de comprendre ce qui est arrivé à mon client. Je dois connaître les raisons qui ont poussé la police à forcer la porte de son appartement.

J’ancrai ce mobile dans ma tête, décollai la bande et ouvris la porte.

L’appartement sentait le renfermé. J’actionnai l’interrupteur et la lumière s’alluma.

Il me fallait agir vite. Je n’avais pas la moindre idée de ce que je venais chercher, mais je ne pouvais pas m’éterniser.

Je procédai à un rapide tour des pièces : mobilier minimaliste, tapis coûteux, appareils high-tech, quelques œuvres d’art insolites au mur. L’appartement était propre et rangé.

Je pénétrai dans le bureau.

Une grande photo en noir et blanc qui représentait un homme élégant occupait le mur du fond. Je présumai qu’il s’agissait du propriétaire des lieux, un quart de siècle auparavant.

Quelques papiers étaient étalés sur le plan de travail.

J’y jetai un coup d’œil.

Pour l’essentiel, il s’agissait de factures, de formulaires administratifs, d’extraits de comptes et de dépliants publicitaires. Je n’avais pas le temps d’examiner les documents en détail et les emporter était suicidaire.

J’avais pris un risque insensé pour rien. Il me restait à sortir de ce guêpier sans attirer l’attention. Je revins sur mes pas, éteignis la lumière et sortis de l’appartement.

Je recollai la bande adhésive comme je le pus et me dirigeai vers l’escalier.

Je perçus une sorte de déclic à l’étage supérieur, suivi du ronronnement de l’ascenseur. La cabine entamait sa descente. Quelqu’un l’avait appelé et ce quelqu’un allait monter.

Je l’avais échappé belle, mais il n’y avait pas une seconde à perdre. Je priai pour que personne ne monte à ma rencontre dans l’escalier.

J’accélérai le pas lorsqu’une image traversa mon esprit.

Quelque chose avait attiré mon attention dans le salon. Je ne parvenais pas à déterminer ce dont il s’agissait, mais ce quelque chose venait de titiller mon cortex avec un temps de retard.

Je fis demi-tour, décollai la bande, rallumai et fonçai dans le salon.

Ce que je cherchais n’était pas sur la table, mais sur un appui de fenêtre.

Il s’agissait d’un exemplaire de Die Burger.

Cette fois, je reconnus sans peine la photo en première page : une femme au visage couvert de peinture jaune, affublée d’une perruque verte.

Comment avais-je pu l’oublier ?

18

NUIT ET BROUILLARD

Je franchis la porte de l’hôtel et me dirigeai vers la réception. La préposée du matin avait fait place à une femme opulente engoncée dans un minuscule tailleur rouge.

Lorsqu’elle me vit approcher, elle rajusta ses lunettes, planta son crayon dans son chignon et m’adressa un sourire bon enfant.

— Bonsoir monsieur.

— Bonsoir. Chambre 28, s’il vous plaît.

Elle consulta son registre, m’examina quelques instants et hocha la tête.

— Je me disais aussi.

— Pardon ?

— Votre nom. Je me disais bien que ce n’était pas possible.

Il me fallut quelques instants pour me connecter à son réseau.

— Oui, j’ai un homonyme célèbre.

— Non, c’est pas ça, il y a un écrivain qui a le même nom que vous. Marc Levy. J’ai lu tous ses livres. Je suis fan. Vous le connaissez ?

— De nom.

Je m’étais éclipsé de chez Block en emportant le journal et en parvenant à éviter une rencontre mal à propos. J’avais ensuite rejoint le centre de Boulogne-Billancourt où je m’étais terré dans un restaurant italien pour me remettre de mes émotions et attendre la tombée de la nuit.

Vers vingt-deux heures, j’avais pris le métro et sillonné à plusieurs reprises la rue Malar pour m’assurer qu’il n’y avait pas de voiture lestée de deux malabars grillant des cigarettes dans la pénombre.

Si la police était parvenue à remonter ma piste, je risquais de les trouver cachés dans ma chambre. Si tel était le cas, j’espérais déceler leur présence sur le visage de la groupie de Levy.

— Vous n’avez pas reçu de colis ou de visite pour moi ?

Elle fit une moue dubitative.

— Pas que je sache. J’ai pris mon service à vingt heures et ma collègue ne m’a laissé aucun message pour vous. Vous avez lu Le voleur d’ombres ?