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Je remontai à la surface dès mon arrivée à Balard et entrai dans une papeterie. J’y choisis une carte postale qui représentait la tour Eiffel et y écrivis quelques mots à l’attention de mes parents.

Chère mère, cher père,

Rassurez-vous, tout se passe bien. Comme vous le savez, je n’ai rien à voir avec cette triste histoire et je m’en vais prouver mon innocence.

Je vous embrasse.

Votre fils qui vous aime.

PS Je ne viendrai pas pour goûter dimanche.

Je pris ensuite le tramway en direction de Cité universitaire d’où je montai dans le RER à destination de l’aéroport Charles-de-Gaulle.

Dès que je parvins à destination, je téléphonai à Albert.

— Moui ?

— Albert, c’est Hugues Tonnon.

— Maître, quel plaisir de vous entendre.

— Où en es-tu ?

— Vous parlez des papiers ?

— De quoi d’autre ?

— J’ai travaillé pendant toute la nuit. J’ai dû retrouver mes marques, il y avait tellement longtemps que j’avais arrêté tout ça.

Sa confession sonnait aussi faux qu’une pièce de trois euros.

— J’admire ton abnégation, Albert. Alors ?

— Tout est prêt, j’attendais votre appel pour vous envoyer mon coursier. Où êtes-vous ?

— À Paris.

Il marqua une pause.

— À Paris ? En France ?

— C’est là que se trouve Paris. Pour être plus précis, je suis à l’aéroport Charles-de-Gaulle, c’est à moins de trois heures de Bruxelles, en voiture.

— Bien, je vais lui demander de prendre le premier train, ce sera plus rapide. Il sera là dans deux heures, maximum. Vous verrez, je vous ai rajouté quelques extras.

— C’est-à-dire ?

— En plus de ce que vous avez demandé, je vous ai concocté une carte Visa. Elle est activée et liée à un compte que j’ai ouvert à la Deutsche Bank, à votre nouveau nom, compte que je peux créditer du montant que vous souhaitez, montant que je vous demanderai de bien vouloir verser en espèces à mon coursier, augmenté de dix pour cent pour mes frais.

Pour un retraité des affaires, il ne perdait pas le nord. En revanche, son initiative tombait à pic.

— Parfait ! Verse vingt mille euros sur ce compte. En contrepartie, je remettrai cette somme en espèces à ton livreur. Plus les frais et le paiement de ton travail, bien entendu.

— Merci beaucoup, maître. Pour mon travail, je vous fais un prix d’ami, deux mille euros.

Je soupirai.

— Tes amis te sont très chers, Albert.

Il ne releva pas.

— Ne vous en faites pas pour la photo qu’il y a sur votre permis de conduire, ils n’y verront que du feu. J’y ai mis celle d’un acteur américain quand il avait dix-neuf ans, je trouvais qu’il y avait un air de ressemblance.

— Soit. Quel nom m’as-tu choisi ?

— Willy Staquet.

Je crus ne pas avoir bien entendu.

— Willy Staquet ? Comme l’accordéoniste qui terrorisait les foules au siècle dernier ?

— Moui. Le meilleur. Vous aimez l’accordéon, maître ?

— Je déteste. Tu n’avais rien de plus aristocratique ?

— C’est un hommage que je tenais à lui rendre. C’est aussi un patronyme passe-partout.

— Je te remercie.

— Vous trouverez aussi une surprise dans l’enveloppe, un petit cadeau de ma part, pour saluer notre fructueuse collaboration.

— Merci, Albert.

Je me rendis ensuite au terminal 2.

Je n’avais pas encore choisi ma future destination, il me fallait me refaire une valise et entrer en possession de mes papiers. Je parcourus les couloirs nez au sol en évitant autant que possible les caméras disséminées dans les recoins du hall.

Je visitai plusieurs boutiques et en ressortis chargé d’une valise Samsonite remplie de pantalons, chemises, pulls, chaussures, sous-vêtements, chaussettes et autres affaires de toilette. Je m’équipai également de quelques paires de lunettes de lecture à faible dioptrie pour me composer différentes physionomies. J’en profitai pour acquérir un iPad et une carte prépayée avec accès 3G.

Je traînai encore une demi-heure dans l’aéroport puis me dirigeai vers l’hôtel Sheraton, lieu du rendez-vous fixé avec le coursier d’Albert.

La façade du palace me faisait penser au Titanic, les cheminées en moins. Le hall était rempli de touristes qui déambulaient en tous sens. Des empilements de bagages perturbaient le passage.

Je me faufilai vers le fond du lobby. Il était meublé de fauteuils en cuir bleu électrique. Une musique lounge jouait en sourdine, ce qui me fit penser aux allées de mon épicerie favorite. Je m’installai, pris l’exemplaire de Die Burger dans ma valise et le dépliai sur mes genoux.

Je n’avais pas encore pris le temps de le parcourir, mais je l’avais débarrassé des débordements que ma semelle y avait laissés. J’étais persuadé que le journal contenait une information clé et je m’étais promis de l’examiner à tête reposée.

L’édition datait du lundi 28 juin 2010.

En combinant mes connaissances de l’anglais et du néerlandais, je parvins tant bien que mal à interpréter le contenu des titres, d’autant que certaines photos me facilitaient la tâche.

Les premières pages se rapportaient à la Coupe du monde de football qui se déroulait à ce moment-là dans le pays.

Je bondis.

Coupe du monde de football signifiait Roberto Zagatto, l’ex-petit-ami de Nolwenn, l’attaquant argentin.

Je sortis mon iPad et consultai Google.

À cette date, la compétition en était aux huitièmes de finale. Deux matches étaient programmés ce jour-là : le Brésil jouait contre le Chili, et les Pays-Bas affrontaient la Slovaquie.

La veille, l’Allemagne avait battu l’Angleterre, et l’Argentine l’avait emporté sur le Mexique.

Ce qui signifiait, en toute logique, que Roberto Zagatto se trouvait sur place.

En fouillant plus avant, je relevai que l’attaquant argentin avait joué les deux mi-temps. Une erreur d’arbitrage avait permis à son équipe d’ouvrir la marque et il avait inscrit les deux buts suivants. Le score final était de trois buts à un pour l’Argentine qui, de ce fait, se qualifiait pour les quarts de finale.

La présence de ce journal chez Nolwenn et sa disparition par la suite signifiaient sans aucun doute qu’il y avait un rapport entre cet événement et sa mort, mais lequel ? Le fait que Richard Block ait été abattu alors qu’il était en possession de ce journal confortait cette thèse.

Roberto Zagatto faisait un suspect acceptable. Il avait entretenu une relation avec Nolwenn. Il était plausible de penser qu’il détenait une clé de son appartement. De plus, ils s’étaient abreuvés d’injures dans la presse lors de leur séparation et il pouvait avoir accumulé une rancœur contre elle. Les choses se précisaient.

Sauf que Roberto Zagatto était à Lisbonne le jour de la mort de Nolwenn et que leur relation avait pris fin quelques mois auparavant.

En conclusion, si j’avais trouvé quelque chose, je ne savais pas de quoi il s’agissait et je n’étais pas plus avancé.

J’en étais là de mes cogitations lorsque mon téléphone sonna.

— Bonjour, monsieur, je m’excuse de vous déranger, mais je viens pour la livraison de votre commande, de la part de monsieur Albert, je suis devant l’hôtel Sheraton, à l’aéroport.

— J’arrive.

Je sortis et tombai sur un grand dadais en salopette bleue et casquette jaune qui semblait sortir d’un dessin animé. D’une main hésitante, il me tendit une grande pochette brune. Je lui remis à mon tour l’enveloppe qui contenait les vingt-cinq mille euros. Il la glissa dans la poche ventrale de sa salopette sans l’ouvrir pour compter les billets à haute voix, ce qui rehaussa l’estime que je portais à Albert.