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Alors qu’il allait s’en aller, je sortis de ma poche les quatre billets de cinquante euros que j’avais préparés et les lui fourrai dans la main.

— C’est pour vous, pour la course.

Il jeta un coup d’œil aux billets et dodelina de la tête.

— Merci, monsieur.

Je retournai dans l’hôtel et ouvris le colis.

Tout y était, la carte d’identité, le passeport, le permis de conduire et la carte Visa.

La surprise qu’il m’avait réservée était de taille, mais je ne vis pas d’entrée de jeu en quoi elle pouvait m’être utile ; une carte supplémentaire se trouvait au fond de l’enveloppe. Mon nom et ma photo apparaissaient sur fond de guillochis bleu et jaune.

Trois mots barraient la carte.

Police Politie Polizei

Au verso, mes qualifications étaient reprises dans les trois langues nationales.

Officier de police judiciaire. Auxiliaire du Procureur du Roi et de l’Auditeur Militaire. Officier de police administrative.

Je revins dans le hall de l’hôtel, songeur. Je me rassis et laissai mes pensées partir en roue libre.

Dans quelle direction aller ? Et pour chercher quoi ?

Je repris le journal et m’interrogeai une nouvelle fois sur les éléments que j’y avais trouvés.

Si j’écoutais mon esprit cartésien, la démarche la plus rationnelle consistait à prendre un vol vers l’Angleterre pour y rencontrer Roberto Zagatto et lui demander pour quelle raison ce journal se trouvait au domicile de deux personnes qui avaient connu une mort violente dans un laps de temps rapproché.

Qu’allait-il me répondre ?

Qu’il n’en savait rien !

Cul-de-sac.

J’étais prêt à abandonner la partie, lorsqu’une intuition me vint. Je continuai de feuilleter le journal. Quelques pages plus loin, mon cœur marqua le pas.

Un article manquait.

Il avait été proprement découpé dans la page intitulée Nasionale Nuus, ce qui avait tout l’air d’être la rubrique des faits divers.

SAMEDI 27 AOÛT 2011

21

PLEIN SUD

Je débarquai à Johannesburg à 8 h 35, après un vol de nuit sans histoire.

Par mesure de précautions j’avais opté pour la compagnie sud-africaine. L’avion avait quitté Paris en fin d’après-midi et avait fait une escale à Munich avant d’entamer la traversée de l’Afrique. Je m’étais offert une place en classe affaires, ce qui m’avait permis de m’allonger de tout mon long et de dormir à poings fermés.

Peu avant l’atterrissage, le pilote nous avait déclaré avec des trémolos dans la voix que l’aéroport O.R. Tambo était classé troisième meilleur aéroport du monde. Malgré mon scepticisme, je ne pus m’empêcher de saluer l’audace architecturale du nouveau terminal.

Je passai sans encombre le contrôle des papiers ainsi que les formalités d’entrée. Un visa n’était pas nécessaire, mon passeport suffisait.

Je sortis de l’aéroport et respirai à pleins poumons. Je me sentais en forme, mon moral remontait. Je n’avais pas de décalage horaire dans les jambes et je me trouvais à neuf mille kilomètres de mes tourments, ce qui me procurait un agréable sentiment d’impunité.

Ce n’était pas ma première visite en Afrique du Sud. J’y étais venu à deux reprises, une première fois en 2000, en compagnie de mes parents, pour faire la route des vins, une seconde fois avec Caroline, cinq ans plus tard, pour nous reposer au Cap.

Avant de quitter Paris, j’avais troqué ma carte téléphonique prépayée pour un abonnement, en vue de conserver mon numéro de téléphone et de pouvoir l’utiliser à l’étranger. À toutes fins utiles, j’avais également testé ma carte Visa et changé des euros en dollars.

Tout allait bien.

Je me rendis à la station de taxis.

L’une des voitures — pour autant que l’on puisse appeler cela une voiture — avança. Le chauffeur en sortit et ouvrit le coffre pour y mettre ma valise. C’était un métis famélique d’un âge indéfinissable qui flottait dans un jean rapiécé et une chemise trop grande. Il plaqua un sourire sur son visage, il lui manquait quelques touches au clavier.

J’annonçai l’hôtel Hilton. J’y avais réservé une chambre par Internet. Il se trouvait dans le quartier des affaires, à Sandton, au nord de Johannesburg. D’après les recherches que j’avais effectuées, c’était l’un des meilleurs de la ville.

Nous quittâmes l’aéroport et prîmes l’autoroute. Le printemps venait de s’installer dans l’hémisphère sud, il faisait tout au plus quinze degrés et je dus enfiler un pull. Nous roulâmes durant une vingtaine de minutes et arrivâmes à l’entrée de la ville. J’avais gardé de Johannesburg l’image d’une ville américaine de seconde main qu’un homme d’affaires était parvenu à revendre aux Africains.

Je débarquai à l’hôtel, m’installai dans la chambre et inspectai les lieux. Les périples que j’avais accomplis sur le continent africain m’avaient appris que les étoiles locales ne brillaient pas du même éclat qu’en Europe.

Le Hilton était un établissement haut de gamme, mais une fine couche de poussière s’éternisait sur le haut de l’armoire, des auréoles laissées par mes prédécesseurs maculaient la table de nuit et une légère odeur de moisi rôdait dans la salle de bains.

Je pris une douche, me changeai et ressortis de l’hôtel.

Le taxi qui m’avait amené se tenait à l’emplacement où il m’avait déposé. Le chauffeur somnolait, avachi dans son siège, une cigarette en fin de course entre les lèvres. Il avait posé ses pieds sur le tableau de bord, et une musique tribale tournait en sourdine.

Il me reconnut, rectifia sa position et se contorsionna pour m’ouvrir la porte de l’intérieur.

Ma qualité de client régulier le désinhiba et il devint plus disert. Il me demanda d’où j’étais, si je venais à Joburg pour affaires et si j’étais susceptible d’avoir besoin de ses services sur une base régulière. Il me présenta ensuite son autobiographie, ce qui me permit de le situer dans la cinquantaine. Son anglais approximatif me fit perdre le fil de ses mémoires, mais je ponctuai les épisodes marquants de soupirs approbateurs.

Nous empruntâmes plusieurs larges avenues bordées de bâtiments modernes et de showrooms de marques automobiles prestigieuses.

À l’égal de Bruxelles, Johannesburg ressemblait à un chantier permanent. Sur les bas-côtés, des ouvriers creusaient le sol et sondaient avec indolence les entrailles de la terre. Des squelettes d’immeubles en construction s’élevaient de toutes parts et des engins de génie civil traversaient les voies en crachant une épaisse fumée.

La circulation était dense, mais peu de piétons se hasardaient sur les trottoirs, leur absence assoyant la triste réputation qu’avait Johannesburg d’être l’une des villes les plus dangereuses du monde.

Alors que mon chauffeur s’épanchait sur les errements de sa première épouse, nous parvînmes à Auckland Park, dans Kings Way, là où se trouvait le siège administratif de Die Burger.

Les bureaux étaient situés à l’étage d’un modeste centre commercial. Je me présentai à la réception et demandai à rencontrer le responsable des archives. D’un air las, la préposée me tendit une fiche et me demanda de la remplir en précisant la date de parution du numéro que je souhaitais acquérir. Lorsque ce fut fait, elle passa un bref appel téléphonique et un gamin débraillé vint s’emparer du papier. Il reparut un quart d’heure plus tard en possession de l’exemplaire demandé.