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Il était 13 h 45.

— Ce ne sera pas possible, malheureusement, j’ai un rendez-vous en ville à 14 h 30.

— Vous prendrez au moins l’apéritif ?

Je le maudis intérieurement, mais un refus aurait éveillé ses soupçons.

— Dans ce cas, j’accepte, mais je devrai m’éclipser dans une petite demi-heure.

Et quitter l’hôtel au plus tôt.

Le connaissant, il ne manquerait pas de parler de notre rencontre à son premier correspondant et celui-ci lui apprendrait que j’étais l’ennemi public numéro un. En tout état de cause, ma présence à Johannesburg risquait d’être de notoriété publique dans les prochaines heures.

Nous nous dirigeâmes vers la terrasse et prîmes place au bord de la piscine. Il héla le garçon et passa commande d’une bouteille de leur meilleur champagne.

Par chance, il ne me posa aucune question et occupa le terrain en me retraçant le programme de la semaine écoulée et de celle à venir. Lilly resta en retrait, se contentant d’enrouler une mèche de cheveux autour de son index en fixant mon entrejambe.

Il termina son récit en m’indiquant son tee-shirt frappé de la tête du roi du reggae.

— Vous devriez vous en procurer un, c’est un passeport anti-agression.

Je le remerciai, me levai et vérifiai machinalement l’état de ma braguette. D’un hochement de tête, je saluai Lilly et me précipitai dans ma chambre. Je fis ma valise à toute vitesse, descendis à la réception, évoquai une urgence et réglai ma note.

Je sortis de l’hôtel, réveillai mon chauffeur sans ménagement et le priai de me conduire à Main Reef Road, là où se trouvait le siège central de la police.

Le trajet nous prit une demi-heure, une durée suffisante pour qu’il me confiât qu’il s’appelait Jimmy, mais que tout le monde l’appelait Jim et qu’il avait été en quart de finale du championnat de dames du Gauteng en 1998.

Le siège de la police était un immeuble en angle d’une dizaine d’étages, agrémenté de parements bleus sous les fenêtres.

Une douzaine de personnes étaient assises dans la salle d’accueil, attendant avec l’habituelle nonchalance africaine que l’on affiche leur numéro d’appel pour se rendre au guichet.

Derrière celui-ci, une Noire boudinée dans un uniforme parlementait avec un homme en salopette qui saignait du nez.

Je m’avançai et interrompis leur échange, ce qui ne sembla pas la mettre en joie. Avant qu’elle ne m’intime l’ordre de prendre un ticket, je l’interpellai comme un boxeur apostrophe le serveur qui vient de renverser un plat en sauce sur son pantalon.

— Qui est l’officier de garde ?

Mon arrogance ne parut pas l’impressionner outre mesure.

— C’est pour quoi ?

Je posai ma carte de police sous ses yeux.

— Commissaire Staquet, je viens de Bruxelles, je suis attendu.

Elle jeta un vague coup d’œil sur la carte.

— Je vais voir.

Elle prit son téléphone, baragouina quelques mots et raccrocha.

— Il va venir.

Moins d’une minute plus tard, un Noir longiligne en chemise blanche fit irruption derrière elle, l’air soucieux. Il contourna le comptoir et vint à ma rencontre.

— Oui ?

Je lui tendis ma carte.

— Willy Staquet, je viens de Bruxelles, concernant l’affaire Kuyper.

Il évalua mon accent anglais et embraya dans un français approximatif.

— Je ne suis pas au courant de votre venue.

Je pris l’air outragé.

— Comment ça ? Notre ministre de l’Intérieur a pris contact avec votre ministère des Affaires étrangères qui a contacté le secrétariat de Madame Nkoana-Mashabane à Pretoria. On nous a dit que quelqu’un s’occuperait de nous. De qui se moque-t-on ?

Je savais par expérience qu’une phrase dans laquelle le mot ministre est prononcé à plusieurs reprises donne de bons résultats auprès des fonctionnaires. Il m’avait été aisé de trouver le nom du leur sur Wikipédia, et notre vide en matière de gouvernement me mettait à l’abri d’un retour de manivelle.

Il fit un geste d’apaisement.

— Ne vous en faites pas, monsieur, quelqu’un est sûrement au courant, de quoi s’agit-il ?

Je lui sortis le discours que j’avais préparé. J’enquêtais sur un meurtre qui s’était produit à Bruxelles. La femme qui avait été assassinée était une connaissance de Shirley Kuyper et le modus operandi des meurtres semblait être identique. Je souhaitais rencontrer le policier qui avait été chargé de l’affaire. Bien entendu, Pretoria avait proposé de nous envoyer le dossier, mais comme tout le monde le sait, rien ne vaut une rencontre avec les enquêteurs locaux.

L’Afrique du Sud enregistre près de vingt mille homicides chaque année, soit une cinquantaine par jour. Nous étions samedi et le risque que le policier en question fût présent était limité.

Il m’écouta, le visage grave, et me demanda de le suivre.

Nous prîmes l’ascenseur et nous rendîmes sur un vaste plateau occupé par une trentaine de personnes. Les postes de travail étaient pour la plupart encombrés de piles de dossiers. Seul le crépitement des claviers troublait le silence.

Il me dirigea vers l’un d’eux, tira une chaise et me fit asseoir à ses côtés. Il ouvrit un tiroir, saisit une carte de visite et me la tendit. Il s’appelait Ali Neuman, un nom qui me disait vaguement quelque chose.

Je crus judicieux de surenchérir.

— Je ne comprends pas ce qui s’est passé, monsieur Neuman, quelqu’un était censé me prendre en charge et m’aider dans ce dossier, j’ai fait le voyage de Bruxelles jusqu’ici et ma venue aujourd’hui avait été annoncée. Soyez sûr que je dirai à qui de droit que vous m’avez apporté votre aide.

Son sourire en coin m’apprit que j’avais visé juste.

— Vous me rappelez le nom de la personne ?

— Shirley Kuyper.

— Voyons ce qu’il y a dans ce dossier.

Il se positionna devant son écran, entra son mot de passe, ouvrit un programme et inséra le nom de Shirley Kuyper dans l’un des champs.

Le dossier contenait une dizaine de pages que nous parcourûmes ensemble. Le début correspondait à l’article du journal.

Il me fit un bref résumé.

Shirley Kuyper avait vingt-six ans, elle se déclarait actrice, mais était fichée comme call-girl. Sa clientèle était triée sur le volet : hommes d’affaires, stars de la politique, artistes de tout crin, rock stars, ainsi que les célébrités de passage, généralement fortunées et exigeantes.

Pour des raisons de sécurité et de discrétion, elle travaillait la plupart du temps à son domicile, dans sa villa de Lonehill, au nord de Johannesburg, non loin de Sandton.

Le soir du meurtre, le service de garde et plusieurs témoins l’avaient vue rentrer chez elle vers vingt-trois heures en compagnie d’un homme blanc, de taille moyenne, chauve, qui ne faisait apparemment pas partie de ses clients habituels. Un coup de feu avait été tiré vers cinq heures du matin. Un voisin s’était rendu sur place et l’avait découverte, tuée d’une balle dans la tête. La porte de la maison était ouverte, mais n’avait pas été forcée. En revanche, la carte magnétique d’accès au lotissement avait disparu, ce qui laissait penser que l’assassin était ressorti par l’une des voies piétonnes et avait échappé à la vigilance des gardiens de nuit.

L’enquête avait rapidement tourné court.

Le relevé des empreintes digitales n’avait rien donné, pas plus que les analyses ADN. L’homme avec qui elle était cette nuit-là n’était pas fiché et ils n’avaient pas trouvé d’agenda, de carnet de rendez-vous ou d’indices permettant de l’identifier.

Rien ne semblait avoir été dérobé, ce qui laissait présumer qu’il s’agissait d’ébats sexuels qui s’étaient mal terminés. Ali Neuman m’expliqua que certains couples blasés en quête d’émotions fortes jouaient à la roulette russe pour se gorger d’adrénaline et décupler leur plaisir sexuel. Il me parla de cette pratique comme s’il s’agissait d’une banale infraction courante, à peine un cran au-dessus du stationnement interdit.