Je fis mine de ne pas avoir entendu.
Mohammed emprunta une bretelle et sortit de l’autoroute.
Nous tombâmes sur un barrage filtrant cinq cents mètres plus loin. Une nouvelle fois, les policiers se contentèrent de jeter un coup d’œil dans l’habitacle.
Cette pratique à répétition m’interloqua.
— Qu’est-ce qu’ils cherchent ?
— C’est surtout dissuasif. Chaque jour, on annonce la naissance de nouveaux groupes terroristes.
Un nouveau barrage nous attendait à l’entrée de l’avenue qui menait au Hilton.
Nous le franchîmes sans encombre.
Nous marquâmes une nouvelle halte devant la barrière qui protégeait l’accès à l’hôtel. Le gardien sortit de sa guérite, fit signe à Mohammed d’ouvrir le capot. Il effectua le tour du véhicule et referma le capot sans même y avoir jeté un coup d’œil.
Il lui demanda ensuite de sortir de la voiture et d’ouvrir le coffre. Mohammed s’exécuta. La présence du réservoir ne sembla pas l’émouvoir. Il retourna dans le poste de garde, actionna la barrière et fit descendre les bornes anti-intrusion.
Nous avançâmes au pas et croisâmes quelques hommes déguisés en Men in Black qui patrouillaient dans les jardins.
Christelle Beauchamp maugréa.
— Au moins, on se sent protégés.
Mohammed nous fit descendre une cinquantaine de mètres plus loin. Une herse de sécurité traversait la route et l’entrée de l’hôtel n’était accessible qu’à pied.
Nous dûmes franchir un nouveau portail de sécurité et déposer nos bagages sur un tapis roulant pour les faire scanner avant de gagner la réception.
La préposée nous adressa un sourire irréprochable.
— Bonjour madame, bonjour monsieur, bienvenue au Hilton. À quel nom avez-vous réservé ?
Christelle Beauchamp prit les devants.
— Nous n’avons pas de réservation.
Je crus avoir mal entendu.
— Comment nous n’avons pas de réservation ? Vous n’avez pas réservé ? Vous avez surfé sur votre tablette pendant tout le trajet et vous n’avez pas réservé ?
— Ce n’est pas la peine, ils ont douze mille chambres ici.
La réceptionniste intervint.
— Nous avons quatre cents chambres, madame, et nous sommes complets.
Christelle Beauchamp la toisa de haut en bas.
— Vous avez certainement une solution, je suis cliente Hilton depuis quinze ans.
La réceptionniste farfouilla sur son clavier.
— Vous restez combien de jours ?
— Un ou deux.
— Je peux vous proposer une junior suite, mais vous devrez la libérer demain matin avant dix heures. À partir de demain après-midi, j’aurai une autre chambre.
Je m’immisçai dans la conversation.
— Si ce n’est pas trop vous demander, nous avons besoin de deux chambres, madame.
Beauchamp me lança un coup de coude.
— Ne soyez pas vieux jeu, Hugues, je fermerai les yeux quand vous enfilerez votre chemise de nuit.
30
L’ÉCHANGE
La suite était dans les tons ocre, meublée de manière impersonnelle, comme dans tous les Hilton de la terre.
Le lit était haut et large. Une reproduction de Klimt garnissait l’un des murs. Deux petits canapés étaient installés face à face à proximité d’une porte vitrée qui donnait sur la terrasse. Seul l’épais couvre-lit rouge vif garni de motifs dorés comportait une touche locale.
Christelle Beauchamp posa sa valise et son sac sur le lit, ce que j’interprétai comme une prise de possession implicite.
Elle désigna les canapés.
— Si vous les mettez bout à bout, vous devriez pouvoir en faire un lit à votre taille.
— Ne vous inquiétez pas pour moi, j’en ai vu d’autres.
— Je m’en doute, baroudeur comme vous êtes.
Elle lança ses chaussures à travers la pièce et se dirigea vers la salle de bains.
— Je suis crasseuse, je vais prendre une douche.
Elle n’attendit pas ma réaction, s’engouffra dans la pièce et referma la porte derrière elle.
Je m’assis dans l’un des canapés.
Mes jambes se mirent à trembler et un voile noir passa devant mes yeux. J’étais en phase de décompression, le stress et la fatigue que j’avais accumulés se faisaient sentir. Je fermai les yeux et me concentrai pour relâcher les tensions qui contractaient les muscles de ma nuque.
Pour un temps, j’étais hors de danger, mais la trêve ne serait que de courte durée.
Qu’allait faire Witmeur ?
Il n’avait pas eu le temps matériel d’obtenir un mandat du juge d’instruction pour procéder à des écoutes téléphoniques, raison pour laquelle il avait fait appel aux opérateurs de téléphonie mobile qui coopéraient sans trop ergoter. Il avait géolocalisé les appels de Raoul et savait que j’étais à Casablanca.
Par conséquent, il connaissait mon numéro. Pourtant, il ne m’avait pas appelé.
Pourquoi ?
Vraisemblablement pour me prendre par surprise.
Il avait pris un vol pour le Maroc et y était arrivé hier, dans l’après-midi. Il avait passé la soirée à faire le tour des hôtels de la ville, ma photo à la main.
Avec un peu de chance, il avait commencé par les hôtels de luxe et était tombé sur le mien en moins d’une heure. Le réceptionniste lui avait donné le nom d’emprunt sous lequel j’étais descendu et Witmeur avait aussitôt émis un mandat d’arrêt international au nom de Willy Staquet alias Hugues Tonnon avec ma photo en tête de page.
Willy Staquet était grillé. Dans un jour ou deux, j’aurais une nouvelle identité, mais je n’avais pas pu faire autrement que de m’inscrire à l’hôtel sous le nom de l’accordéoniste. S’il venait à l’idée de Witmeur que j’étais passé en Algérie, ma peau ne vaudrait pas très cher.
Je fis un effort pour me remémorer les détails de mon séjour à Casablanca.
Si ma mémoire ne me faisait pas défaut, je n’avais pas signalé à l’hôtel que je me rendais au Rick’s et ils n’avaient pas vu Christelle Beauchamp. Pas plus que je n’avais évoqué ma visite à Adil Meslek.
La probabilité que Witmeur retrouve le taxi qui nous avait conduits à l’aéroport était faible, la ville en comptait des centaines et j’avais payé la course en espèces. L’éventualité qu’il débarque chez le loueur qui nous avait livré le 4 × 4 n’était guère plus élevée. Dans le pire des cas, il apprendrait que j’étais accompagné, mais ne connaîtrait ni le nom de ma compagne ni ma destination.
Dans le pire des cas.
J’en étais là de mes conjectures lorsque Christelle Beauchamp sortit de la salle de bains. Elle était dans le plus simple appareil et ne semblait pas préoccupée de couvrir sa nudité. Elle avait de petits seins pointus, une taille fine et des hanches étroites.
Elle passa devant moi et me lança un regard courroucé.
— Qu’est-ce qu’il y a ? Vous n’avez jamais vu une femme à poil ?
— Je m’attendais à plus de pudeur de votre part.
— Ce que vous êtes vieux jeu.
Je notai qu’elle était adepte de l’épilation intégrale et qu’elle portait un tatouage à l’endroit en question.
Je n’eus pas l’indélicatesse de le considérer avec attention, mais il me sembla qu’il représentait une sorte de papillon.
Je détournai le regard et me levai.
— Je vais me rafraîchir.
Ma toilette terminée, j’enroulai une serviette autour de ma taille et revint dans la chambre.
Christelle Beauchamp se trouvait sur le lit, allongée sur le ventre, les fesses à l’air, ce qui me permit de constater qu’elle portait un second tatouage sur l’épaule gauche, une lettre sortie de l’alphabet chinois cette fois.