Une bouffée de panique me submergea.
J’eus un éclair de lucidité.
— Ça y est, je me souviens, madame. Il fait un peu moins chaud qu’ici.
Elle me fixa longuement de ses yeux noirs.
— Donnez-moi le colis.
Je lui tendis la boîte.
Elle me l’arracha des mains.
— Attendez là.
— Ce n’est pas ce qui a été convenu.
Ses yeux se firent menaçants.
— J’ai dit, attendez là.
— Bien, j’attends là.
Elle dévala l’escalier et rejoignit le véhicule. Elle dialogua quelques instants avec l’un des passagers. Ce dernier lui tendit un colis plus petit, de la taille d’une boîte à chaussures pour enfants. Elle revint vers moi.
— Pour vous.
— Pour moi ?
— Oui.
— Bien, je vous remercie. Il ne fallait pas.
Dès qu’elle eut disparu, je pris mon portable et appelai Rachid.
— Voilà Rachid, mission accomplie. J’ai remis le colis.
— Bien. Vous avez reçu un petit paquet en retour ?
— Oui. C’est gentil.
— J’ai un petit service à vous demander. Vous allez déposer ce paquet chez un ami à moi, à Paris.
Le paquet me parut soudain plus lourd.
— Il n’en est pas question, Rachid, ce n’est pas ce qui a été convenu. Je ne déposerai rien à Paris. Vous avez reçu votre argent, j’ai remis le colis. Nous sommes quittes.
— Soyez raisonnable. Vous n’aimeriez pas que les autorités algériennes débarquent au Hilton et vous déclarent en état d’arrestation, n’est-ce pas ? Autre chose, faites attention quand vous passerez les contrôles, il ne faudrait pas que vous vous fassiez prendre avec ce paquet. Je vous envoie l’adresse de mon ami par texto.
À cet instant, je me rendis compte que je venais de commettre la grossière erreur d’utiliser mon portable. Witmeur saurait dans quelques minutes que je me trouvais à Alger.
31
UN MOMENT D’ÉGAREMENT
Je décidai de quitter les lieux en toute hâte et traversai le boulevard, le paquet sous le bras.
Deux chauffeurs de taxi attendaient le client à l’ombre d’un arbre séculaire, en face du Mémorial. Ils avaient ouvert les portières pour aérer leur véhicule et fumaient des cigarettes en plaisantant. Ils baissèrent le ton lorsqu’ils me virent approcher et engagèrent une courte négociation.
Celui qui eut gain de cause fit un pas dans ma direction.
— Taxi, monsieur ?
— Oui, à l’hôtel Hilton, s’il vous plaît.
Il me désigna la voiture de tête, me fit asseoir et referma les portières. Il effectua un demi-tour qui immobilisa la circulation, sous l’œil indifférent des policiers.
Mon téléphone sonna au moment où nous quittions la ville.
Je décrochai sans réfléchir, persuadé qu’il s’agissait de Rachid.
— Oui ?
La voix de Witmeur retentit.
— Comment fait-il à Alger, Tonnon ?
J’eus l’impression que l’on me versait de la glace pilée dans le tympan.
Hébété, je répondis d’instinct.
— Il fait plus chaud qu’à Paris.
— Il fera encore plus chaud pour vos fesses si vous ne vous présentez pas aux autorités belges dans les septante-deux heures.
Outre son fulgurant esprit de repartie, je notai que maître ou monsieur Tonnon avaient disparu au profit d’un simple Tonnon. Bientôt, il m’appellerait mon vieux.
— Je suis innocent, monsieur Witmeur.
— Je sais. Les prisons sont remplies d’innocents.
— Je ne plaisante pas. Je n’ai pas cherché à fuir, j’ai mené mon enquête. Je sais à présent qui a tué Nolwenn Blackwell.
Il laissa planer un silence avant de reprendre.
— Fantastique. C’est qui ?
— Juan Tipo.
— Juan Tipo ? Le footballeur argentin ?
— Oui.
— Vous avez des preuves, bien sûr.
— Bien sûr, j’ai des preuves. Je peux même certifier qu’il n’en était pas à son coup d’essai. Cet homme avait déjà tué.
— Qui donc ?
— L’affaire Shirley Kuyper, en Afrique du Sud. Une prostituée qui a été assassinée. Le meurtre a eu lieu dans la nuit du 27 au 28 juin 2010, à Johannesburg. L’affaire n’a pas été résolue. C’est lui, l’assassin. Contactez la police sud-africaine. Il vous suffira de montrer la photo de Juan Tipo aux témoins. En plus, vous verrez qu’il n’a pas d’alibi pour cette nuit-là. Si vous examinez les rapports balistiques, vous constaterez que c’est la même arme qui a tué Shirley Kuyper et Nolwenn Blackwell.
— Juan Tipo est une star, Tonnon. Comment se fait-il que les témoins dont vous parlez ne l’aient pas reconnu ?
— Vous connaissez la tête de tous les footballeurs professionnels, vous ?
Il ne répondit pas.
Je venais de marquer des points.
Il se reprit.
— Quel est le mobile de ces deux meurtres ?
— Je ne sais pas, c’est peut-être un tueur en série.
Il ricana.
— Vous devriez mieux choisir vos lectures. Les tueurs en série, c’est comme les secrets de la Bible ou les extraterrestres, c’est fait pour les lecteurs crédules.
— C’est peut-être un prédateur sexuel.
— Si c’était le cas, nous aurions retrouvé des traces de son sperme sur la scène de crime.
Je respirai. Sans le vouloir, il venait de me livrer une information rassurante. Ils n’avaient rien trouvé. Il me restait une chance de m’en sortir.
— Vous n’avez pas trouvé de traces de sperme ?
— Pas le sien, le vôtre.
J’encaissai le coup.
— Il y a une explication, monsieur Witmeur.
— Je n’en doute pas. J’ai même une idée précise.
— Je n’ai pas tué Nolwenn Blackwell. Vérifiez l’information que je viens de vous donner. Vous verrez que c’est la même arme qui a été utilisée pour les deux meurtres et que Juan Tipo n’a pas d’alibi.
— Tant que vous êtes dans les confidences, ce n’est pas vous non plus qui avez tué Richard Block ?
— Bien sûr que non ! Je suis persuadé que c’est encore la même arme qui a été utilisée. Je suis tout aussi certain que Tipo était à Bruxelles la nuit où Nolwenn Blackwell a été tuée et qu’il était à Paris l’après-midi où Block a été abattu. En revanche, vous pourrez sans peine contrôler que je n’étais pas en Afrique du Sud l’année passée à cette période-là.
— Je vous informe que vous aussi, vous étiez à Paris quand Richard Block s’est fait abattre, non ?
— Je menais mon enquête. Je suis innocent.
Il décida de mettre fin à la conversation.
— Si vous êtes innocent, vous n’avez rien à craindre de la justice de votre pays. Il ne vous reste plus qu’à rentrer en Belgique et à vous présenter spontanément à mes services. Nous pourrons discuter de tout cela sereinement. Je vous laisse septante-deux heures.
— Je m’engage à rentrer en Belgique si vous vous engagez à contrôler ce que je viens de vous donner.
Il fit claquer sa langue sur son palais.
— Vous me donnez votre parole ?
— Je n’en ai qu’une. Je vous rappelle que je suis avocat.
— Bien. Je checke ces infos.
Il raccrocha.
Je sentis un poids quitter mon estomac.
S’il examinait mes dires, je serais bientôt hors de cause et mes ennuis toucheraient à leur fin.
J’arrivai à l’hôtel à 19 h 30.
Je me fis héler par Christelle Beauchamp alors que je traversais le hall.