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J’étais descendu pour prendre mon petit-déjeuner au restaurant. Christelle Beauchamp semblait anéantie d’avoir eu ce moment de relâchement et avait refusé de m’accompagner. Elle préférait se faire monter un petit-déjeuner dans la chambre pour le manger au calme.

Je savourais intérieurement la situation, malgré les perspectives inquiétantes qui se profilaient après l’appel de Witmeur. La défenderesse de la femme-objet prise à son propre jeu. J’avais masqué ma jubilation et entrepris quelques tentatives pour renouer le climat de bonne entente.

Chaque effort que j’avais consenti s’était vu accueilli par des réponses sèches et laconiques.

— Écoutez, Christelle, ce n’est pas dramatique, nous avions tous les deux un peu bu. Je veux bien prendre les torts à ma charge, si cela peut vous réconforter.

— Le mal est fait. Et ne m’appelez pas Christelle.

— Je suis navré.

— Vous aviez bu moins que moi.

— Sans doute, mais je n’ai fait que répondre à votre sollicitation.

— Sollicitation involontaire de ma part.

— Dans ce cas, oublions ce qui s’est passé.

Elle avait croisé les bras, la mine renfrognée.

— Vous auriez dû vous abstenir, vous saviez que je n’en avais pas la moindre envie.

J’avais réprimé un sourire.

— Comment pouvais-je le savoir ? J’ai la faiblesse de penser que je plais aux femmes, ce genre d’aventure m’est arrivé plus d’une fois.

Elle avait eu un sursaut de combativité.

— Je ne m’en vanterais pas. Vous avez profité d’une situation analogue avec Nolwenn. Allez prendre votre petit-déjeuner et fichez-moi la paix.

Je m’étais examiné dans le miroir de l’ascenseur pendant la descente.

Malgré les cernes et le stress que j’avais accumulé, je trouvais que je conservais mon apparence séduisante et mon allure d’avocat réputé. Charmeur comme je l’étais, je n’avais pas besoin d’enivrer une femme pour la conquérir. Si les dernières relations que j’avais eues s’étaient déroulées à la faveur de telles circonstances, le palmarès éloquent que j’affichais ne permettait pas d’en généraliser la pratique.

Je commandai mon petit-déjeuner et le pris tout en surfant sur Internet.

Aucun élément nouveau n’était survenu dans l’affaire Nolwenn Blackwell. En revanche, l’enquête sur la mort de Richard Block avait progressé.

La police n’avait pas trouvé de témoins directs, mais plusieurs personnes avaient déclaré avoir entendu des détonations et vu un homme prendre la fuite. Il était monté à bord d’une voiture de moyenne cylindrée, de couleur blanche, une Renault Clio ou une Volkswagen Golf, dans laquelle un second homme l’attendait. L’homme et le conducteur semblaient de type hispanique.

Ces informations me mettaient hors de cause, mais Witmeur avait pris soin de ne pas me les communiquer.

Pourquoi ?

Question sans réponse.

L’espace d’un instant, j’envisageai l’idée qu’il m’avait menti sur toute la ligne, mais je la rejetai aussitôt. Il n’aurait jamais pris le risque de s’attirer les foudres de sa hiérarchie en montant une telle cabale.

Le plus intéressant n’était pas là.

L’un des articles précisait que Richard Block avait la réputation d’être un homme sans histoires, qu’on ne lui connaissait pas d’ennemis et qu’il rentrait d’un voyage d’affaires à Bangkok lorsqu’il avait été assassiné.

Je relevai que l’une des informations que m’avait communiquées Sac à main lors de son rapport était quelque peu différente. Il ne s’agissait plus ici de vacances en Thaïlande, mais d’un voyage d’affaires à Bangkok.

Par association d’idées, l’évocation de cette destination touristique assortie de tueurs de type hispanique me fit penser que le Mexique, dont avait parlé Witmeur lors de son appel téléphonique, avait peut-être quelque chose à voir dans cette affaire.

Le Mexique avait été battu par l’Argentine lors de la Coupe du monde, à Johannesburg, le 27 juin 2010. Dans la nuit du 27 au 28 juin 2010, Shirley Kuyper avait été assassinée. L’arme qui avait servi était la même que celle qui avait été utilisée le 23 août 2011, lors du meurtre de Nolwenn Blackwell.

Comme cela m’arrivait lorsque je préparais un dossier complexe, j’éprouvai l’impression d’avoir sous les yeux des informations fragmentaires qui s’emboîtaient les unes dans les autres comme les pièces d’un puzzle. Je ne pouvais encore distinguer le fil conducteur qui les unissait, mais je pressentais qu’il existait.

J’interrogeai Google sur le match du 27 juin 2010 qui avait opposé l’Argentine au Mexique. Un premier lien me dirigea vers un site d’actualités sportives.

Le titre ne manqua pas de m’interpeller.

Coupe du monde 2010 — Trop facile pour l’Argentine ?

Roberto Zagatto, le niveau de jeu du Mexique et l’erreur d’arbitrage ont été au cœur des questions que vous avez posées à notre envoyé spécial à Johannesburg. La sélection d’Amérique centrale n’a pas semblé en mesure d’offrir une opposition consistante à l’équipe d’Argentine.

Je fis une nouvelle recherche en y ajoutant les mots erreur d’arbitrage. Le résultat proposé en tête émanait d’un quotidien français en ligne.

Deux grosses erreurs d’arbitrage ont noirci le tableau de la Coupe du monde

Si l’on a coutume de dire qu’un bon arbitre est un arbitre que l’on ne voit pas, ce fut loin d’être le cas durant ce mois sud-africain.

Avec en point d’orgue ces deux énormes erreurs commises le 27 juin lors des matches Allemagne-Angleterre et Argentine-Mexique en huitièmes de finale. Avec, d’un côté, un but refusé et pourtant valable de Franck Lampard, le ballon ayant de manière significative franchi la ligne, et de l’autre, un but accordé à Zagatto malgré un hors-jeu flagrant.

Ces images ont fait le tour du monde. Plus grave, ces décisions ont eu un impact sur le sort des deux rencontres, l’Angleterre étant en position de revenir à 2–2 avant la pause tandis que l’Argentine en a profité pour prendre l’avantage contre le cours du jeu.

Je restai songeur.

Sans pouvoir me l’expliquer, je pressentis que cette information était d’une manière ou d’une autre liée aux autres.

Les mots cours du jeu m’inspirèrent une nouvelle idée. Je relançai la recherche en y ajoutant le mot pari. J’aboutis sur un site de paris en ligne qui proposait les dernières cotes des matches du 27 juin 2010, à quelques heures du coup d’envoi.

Les Argentins sont donnés largement favoris avec une cote de 1,45 sur Bwin. L’exploit mexicain est quant à lui coté à 5,75. La cote du match nul est de 3,50. Juan Tipo va-t-il se réveiller et Roberto Zagatto va-t-il marquer ? C’est un des nombreux side bets proposés par le site aux gamblers.

Je ne compris pas grand-chose au jargon utilisé, mais cette donnée méritait d’être creusée. J’avalai le reste de mon café et remontai bon train dans la chambre.

Christelle Beauchamp venait de terminer son petit-déjeuner et empilait ses vêtements dans sa valise.

Je marquai ma surprise.

— Où allez-vous ?

— Je rentre à Paris.

— Nos passeports sont arrivés ?

— Je rentre à Paris. Seule.

— Sans passeport ?

— J’ai téléphoné au consulat de France pour leur signaler la perte de mon passeport. Ils m’en préparent un nouveau. Il sera à ma disposition dans l’heure qui vient.