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— Vous n’aviez pas de visa d’entrée.

— Ce sont des fonctionnaires, pas des détectives privés.

— N’avions-nous pas un accord ?

— Nous en avions un. Vous l’avez rompu. Nous ne l’avons plus.

Pour la seconde fois de la matinée, je sentis la moutarde me monter au nez.

— Et si vous arrêtiez vos gamineries ?

Elle s’arrêta net et mima l’indignation de manière convaincante.

— Mes gamineries ?

— Vos simagrées de femme outrée, si vous préférez. Vous allumez les hommes et vous vous étonnez ensuite qu’il vous arrive des bricoles.

La colère déforma ses traits.

— J’allume les hommes ? Il m’arrive des bricoles ? Une relation sexuelle contre mon gré, c’est ce que vous appelez des bricoles ?

— Je ne parle pas de moi, je parle de cet Américain hier, au bar, que vous avez allumé comme un feu de Bengale.

Elle se mit à hurler.

— Cet Américain, au bar ? Vous savez ce que je faisais avec cet Américain au bar ?

Elle se rua vers sa valise et se mit à fourrager dans ses affaires. Elle en sortit un petit carnet bleu qu’elle me lança au visage.

— Voilà ce que je faisais avec cet Américain.

Je me baissai et ramassai le document.

Il s’agissait du passeport de Tom.

— Je voulais vous aider à sortir du pays sans vous forcer à attendre ces supposés nouveaux passeports. Comme la police belge sait maintenant que vous êtes à Alger, il ne leur faudra pas longtemps pour découvrir que vous vous terrez ici.

Je compris qu’elle jouait la comédie. Elle ne savait rien de l’appel de Witmeur au moment où elle trinquait avec le New-Yorkais.

Je changeai de stratégie et me fis mielleux.

— J’ai mal interprété votre démarche, je vous prie de bien vouloir m’excuser. J’apprécie l’intention, même si je réprouve les moyens. De plus, trafiquer un passeport américain n’est pas à la portée de n’importe qui.

— Inutile de changer la photo, il a le même air niais et content de lui que vous.

Je jugeai son trait d’esprit puéril et m’abstins d’y répondre.

— Je comprends votre énervement. Si vous souhaitez rentrer à Paris, faites-le, je me débrouillerai. Mon passeport arrivera aujourd’hui ou demain, au plus tard. Avant que vous ne partiez, j’aimerais que vous sachiez qu’il y a du nouveau concernant la mort de Nolwenn.

Cette annonce parut tempérer son aigreur.

— Qu’avez-vous de nouveau ?

— Juan Tipo a un alibi. Après la victoire contre le Mexique, les joueurs sont allés dîner dans un restaurant du centre. À la fin du repas, ils se sont séparés et sont partis par petits groupes. C’est vraisemblablement à ce moment-là que Tipo est allé rejoindre Shirley Kuyper chez elle, mais il était de retour à l’hôtel vers deux heures et est resté au bar jusqu’à l’aube.

Elle parut dubitative.

— Ce qui signifie que votre théorie du chantage s’effondre. Nolwenn n’a pas pu être témoin de quelque chose, puisque Tipo était à son hôtel au moment où Kuyper s’est fait tuer.

— Parce que nous sommes partis sur l’idée que le chantage visait Tipo d’une part et le meurtre de Kuyper de l’autre.

— C’est vous qui êtes parti sur cette idée, pas moi.

— Je ne peux pas imaginer qu’il n’y ait aucun lien. Il y a l’article dans le journal, le même chez Nolwenn et Block. Tous deux se font assassiner. C’est la même arme qui a tué Nolwenn et Kuyper. En plus, il y a la visite de Nolwenn à Adil Meslek et le fait qu’elle m’ait dit qu’elle attendait une rentrée d’argent.

Elle soupira.

— En deux mots, vous revoilà au point de départ.

— Non. Je n’écarte pas la tentative de chantage. Peut-être visait-elle quelqu’un d’autre ou avait-elle autre chose en tête.

— Peut-être.

Je relançai dans une autre direction.

— Vous m’avez dit que Nolwenn était allée en Afrique du Sud pour assister au match des Argentins contre les Mexicains et qu’elle en était repartie le 2 juillet. Avez-vous plus de précisions sur son emploi du temps durant cette semaine ?

— Si j’en avais, je vous les aurais données.

— Vous a-t-elle dit quelque chose à propos de la semaine qu’elle a passée là-bas ? Réfléchissez. Il a dû y avoir un incident, elle vous en a peut-être parlé. Un détail peut être important.

Elle se mit à réfléchir.

J’avais visé juste, un brin de diplomatie, un doigt d’énigme, et sa fibre journalistique reprenait le dessus.

Elle s’assit sur le lit, tout à ses pensées.

— Je ne vois pas. La seule chose qu’elle m’a confiée à propos de ce séjour est qu’elle a vécu une semaine épouvantable. Avec les entraînements, les matches, les briefings et les interviews, elle était plus souvent seule dans sa chambre, devant sa télé, qu’avec Zagatto.

J’acquiesçai.

Tout bon avocat sait qu’un indice peut en cacher un autre.

— Laissez-moi donner un coup de téléphone, vous partirez après.

34

L’ARNAQUE

La secrétaire d’Amaury Lapierre fit preuve d’une résistance opiniâtre. En désespoir de cause, je dus utiliser des arguments contraires à mes principes.

— N’insistez pas, madame, je vous dis que c’est personnel. Arrêtez de discuter et faites ce que je vous demande.

Bien que piquée au vif, elle resta courtoise et s’engagea à informer son patron de mon appel. D’une voix mécanique, elle me garantit qu’il me rappellerait au plus tôt s’il l’estimait nécessaire.

Je raccrochai et m’adressai à Christelle Beauchamp.

— Il ne nous reste plus qu’à attendre.

Elle écarquilla les yeux.

— Attendre ? Vous rigolez ? C’est Lapierre que vous venez d’appeler ? Amaury Lapierre ?

— Vous êtes perspicace. En effet, c’est Amaury Lapierre que je viens d’appeler.

Les questions se bousculèrent.

— Amaury Lapierre ? Qu’est-ce qu’il vient faire là-dedans ? Vous croyez que je vais attendre ? Attendre quoi ? Vous vous imaginez qu’il va vous rappeler ?

C’est pendant qu’elle me posait cette question que la sonnerie de mon téléphone retentit.

D’un signe de la main, je lui suggérai de garder le silence et décrochai.

Lapierre prit les devants et m’interpella d’un ton vif.

— C’est Amaury Lapierre, qu’est-ce que vous me voulez ?

— Je vous remercie de me rappeler aussi rapidement, monsieur Lapierre. Lors de notre rencontre à Paris, vous m’avez dit être prêt à m’aider. Voulez-vous que l’on arrête l’assassin de mademoiselle Blackwell ?

Ce retour en arrière servait autant à lui rafraîchir la mémoire qu’à situer le contexte pour Christelle Beauchamp.

— Je n’ai pas changé d’avis sur la question. Bien sûr que je veux qu’on mette la main sur ce salaud.

— C’est tout à votre honneur. Je me trouve à Alger, je suis sur une piste et j’aimerais vous poser quelques questions. Elles risquent de vous paraître insolites. Accepteriez-vous d’y répondre sans chercher d’emblée à en cerner la finalité ?

— Allez-y, mais grouillez-vous et parlez normalement, vous n’êtes pas dans une de vos plaidoiries.

Que signifiait pour lui parler normalement ?

J’allai droit au but.

— Soit. Est-il possible de truquer un match de football ?

Un long blanc suivit ma question.

Je m’inquiétai.

— Vous êtes là, monsieur Lapierre ?

Il se racla la gorge.

— Oui, je suis là.