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Ma question semblait l’avoir ébranlé.

— Que se passe-t-il ?

— Je vous le dirai dans un instant.

— Oui, c’est possible.

— Même des matches importants ?

— Surtout des matches importants. Sinon, quel serait l’intérêt ?

— J’entends des matches de très haut niveau.

— J’ai bien compris. Vous allez me parler de la Coupe du monde.

À mon tour, je fus estomaqué.

— Comment le savez-vous ?

— Nolwenn m’a posé une question identique il y a quelques semaines.

Je répétai d’un ton exclamatif, en fixant Christelle Beauchamp. Les sens en alerte, elle se rapprocha.

— Nolwenn vous a posé la même question, il y a quelques semaines ?

Je décollai le téléphone de mon oreille pour lui permettre de capter la conversation.

Lapierre poursuivit.

— Oui, elle m’a posé exactement la même question, mais je n’y ai pas prêté attention. Sur le moment, ça m’a paru sans importance.

— Dans ce cas, ce n’est pas une coïncidence et cela signifie que je suis sur la bonne piste. Comment est-il possible de truquer un tournoi de cette ampleur ?

Il marqua une nouvelle pause pour préparer sa réponse.

— Je vais vous raconter quelque chose, monsieur Tonnon. Figurez-vous qu’une bonne partie des résultats de la Coupe du monde de 2006 s’est jouée dans un Kentucky Fried Chicken de Bangkok, deux semaines avant le début de la compétition. Au moins quatre matches ont été truqués.

Je ne connaissais rien à ce sport, mais la nouvelle me parut d’envergure.

— Comment est-ce possible ? Et pourquoi ?

— À votre avis ? La gloire ? Le prestige ? Le nationalisme ?

Je vis où il voulait en venir.

— L’argent ?

— Bien sûr, l’argent. Les Anglais et les Russes, qui supervisaient les choses jusque-là, sont en train de se faire doubler sur le marché mondial par les Chinois et les Thaïs. Le business du pari est gigantesque. Proportionnellement, on peut le comparer au marché de la prohibition durant les années 20 aux États-Unis.

— Comment arrivent-ils à trafiquer un match devant des millions de téléspectateurs ?

— Ils paient les joueurs. Pour perdre, évidemment. Entre trente mille et cent mille dollars par joueur, plus pour certaines stars, avec huit joueurs en moyenne par équipe. S’il le faut, ils arrosent aussi les arbitres. Rassurez-vous, malgré ces sommes, ils restent gagnants.

— Vous me parlez de 2006. Qu’en est-il de la Coupe du monde de 2010 ?

— Même topo, je présume. Je n’ai pas suivi les opérations. Vous pouvez être sûr qu’il y a eu des magouilles, c’est le jackpot, cette compétition.

— Nolwenn vous a-t-elle parlé du match qui a eu lieu entre l’Argentine et le Mexique ?

Il réfléchit quelques instants.

— Pas que je sache. Elle m’a posé la même question que vous, sans aller plus loin. Je lui ai répondu ce que je vous ai répondu. Elle voulait savoir si ce genre de paris m’intéressaient.

Je m’aventurais en zone dangereuse.

— Et cela vous intéresse-t-il ?

— Trop aléatoire, trop risqué. Il y a trop de personnes concernées. Ce genre de truc, c’est comme pour les grands complots, quand il y a trop de monde impliqué, ça finit toujours par transpirer. En plus, les joueurs, je parle des footballeurs, ne savent pas se taire. Certains ont envie de faire parler d’eux. Le capitaine de la sélection ghanéenne a déclaré à un journaliste qu’il avait été approché depuis les jeux Olympiques d’Athènes pour lever le pied dans certains matches. Tôt ou tard, ils finissent par vendre la mèche pour justifier leur défaite. Pire, il y en a qui veulent le beurre et l’argent du beurre.

— Que voulez-vous dire ?

— Ils dévoilent la machination à certaines personnes et leur proposent de parier. Ils leur prélèvent ensuite une commission sur leurs gains. Parfois, ils choisissent mal leur cible. Un joueur a proposé un marché à un homme qu’il a rencontré dans un bar. Le gars était flic. Ces types-là, ce sont des footballeurs, pas des génies.

— Merci, monsieur Lapierre, j’ai les informations qu’il me fallait.

— Tenez-moi au courant.

— Comptez sur moi.

Je raccrochai.

Christelle Beauchamp me dévisageait, l’air dubitatif.

— C’est bien joli tout ça, mais je ne vois pas le rapport avec la mort de Nolwenn.

— Tout est là, Christelle. Le beurre et l’argent du beurre.

— Ne m’appelez pas Christelle.

Je fermai les yeux pour assembler les pièces et me mis à réfléchir à haute voix.

— Il y a moyen de truquer un match de foot en payant les joueurs. Le Kentucky Fried Chicken. Ils veulent le beurre et l’argent du beurre. Ils ne savent pas se taire. Ils choisissent mal leur cible. Kuyper se fait tuer. Nolwenn se fait tuer. Block rentre de Bangkok.

— Je ne comprends rien à ce que vous racontez.

Je rouvris les yeux.

— Tout est là !

Elle parut inquiète.

— Vous allez bien ?

Je m’emparai de ma valise et ouvris l’armoire.

— Passez-moi le passeport de Tom. Nous faisons un crochet au consulat de France pour aller chercher votre passeport et nous rentrons à Paris.

— Nous ?

— Nous. J’ai besoin de vous pour arrêter l’assassin de Nolwenn.

Pour la première fois depuis dix jours, j’eus le sentiment que je venais de prendre une bonne décision.

35

SUEURS FROIDES

Nous descendîmes à la réception pour les informer de notre départ et régler la note.

Tom, notre ami new-yorkais, tournait en rond dans le hall, les cheveux en bataille, l’air inquiet. Il se rua sur nous dès qu’il nous vit et nous expliqua, en anglais et avec emphase, qu’il était très désappointé parce qu’il avait perdu son passeport, que c’était une réelle pitié, qu’il ne comprenait pas comment une telle chose avait pu se produire et que son avion décollait à midi.

Christelle Beauchamp lui adressa quelques mots de réconfort et poursuivit son chemin.

Il la regarda s’éloigner et en profita pour me demander, la bouche plissée, si j’avais passé une bonne nuit.

En guise de réponse, je lui adressai un clin d’œil entendu.

Ma carrière était émaillée de cocus bêtifiants : des hommes à l’air béat qui retraçaient leur mésaventure au tout-venant au lieu d’adopter un profil bas et de passer leur débâcle sous silence. Certains allaient jusqu’à décrire avec émerveillement les stratagèmes imaginés par leur épouse pour leur fausser compagnie et rejoindre leur amant. Plutôt que d’attirer ma sympathie, cet étalage de naïveté m’exaspérait.

Lors d’un entretien affligeant, j’avais interrompu l’un d’eux alors qu’il énumérait avec force détails les errements nymphomaniaques de son ex-femme.

— Pouvons-nous résumer vos dires en actant que votre femme a entretenu plusieurs relations extraconjugales à votre insu ?

J’escomptais un sursaut d’orgueil, une réaction indignée. Il s’était esclaffé comme si j’avais lancé une boutade.

— Oui, maître, actez que je suis cocu à l’insu de mon plein gré.

Je laissai Tom imaginer ce qu’avait été ma nuit et gagnai la réception. Je changeai des euros en dinars algériens et payai la facture en espèces. Je commandai ensuite un taxi pour le consulat de France.

Christelle Beauchamp s’interposa.

— Il faut d’abord que je passe au poste de police pour déclarer la perte de mon passeport.

— Vous ne me l’aviez pas précisé.