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Pour ses trente ans, il lui avait offert une opération des seins. L’intervention avait été au-delà d’un simple affermissement de son tour de poitrine. Elle avait pris confiance en elle et s’était épanouie. Après des années de dépérissement, la chrysalide était devenue papillon. Dans la foulée, elle avait découvert la double vie de son mari, pris un amant et demandé le divorce.

Nous l’avions emporté sur toute la ligne. Pour la beauté du geste, j’avais réclamé à son ex la moitié du montant prêté pour l’intervention chirurgicale de sa conjointe. Contraint et forcé, il s’était acquitté de l’ensemble des exigences, mais avait formellement contesté cette dernière. Les huissiers avaient dû s’en mêler.

Je cherchai à briser la glace.

— Nous nous connaissons, il me semble ?

Il me fixa droit dans les yeux.

— Oui, j’ai dû revendre ma moto pour rembourser les nichons de ma femme.

Il se souvenait de moi.

Grignard esquissa un rictus d’embarras tandis que Witmeur sortait son carnet de notes.

— Je répète ma question ; où étiez-vous cette nuit, vers quatre heures ?

— Ici. Vraisemblablement.

— Vraisemblablement ?

Son ton suspicieux commençait à m’irriter.

— Que se passe-t-il, monsieur Witmeur, j’ai brûlé un feu rouge ? Je me suis garé sur un passage pour piétons ?

— Connaissez-vous mademoiselle Nolwenn Blackwell ?

La question me désarçonna.

Je pris l’air inspiré.

— C’est un mannequin, non ?

Il fit un signe de tête à Grignard.

Ce dernier avança d’un pas.

— Mademoiselle Blackwell a été découverte ce matin, dans son appartement, sans vie.

Une longue pratique des prétoires m’avait appris à rester impassible, même lorsqu’on m’assénait un coup de poignard.

Malgré cela, j’accusai le coup.

— Morte ?

— Morte.

— Elle a fait un malaise ?

— Deux balles dans la tête.

— Elle s’est suicidée ?

Witmeur intervint.

— Il a dit deux balles dans la tête.

— Deux balles dans la tête ? Qui l’a tuée ?

— L’enquête ne fait que commencer, mais nous avons déjà quelques indices. Je répète ma question, connaissiez-vous mademoiselle Blackwell ?

Nier me parut inutile.

— Elle est passée me voir à mon cabinet, hier après-midi.

— Hier après-midi ?

— Oui, c’est ce que je viens de vous dire.

— Étiez-vous chez elle cette nuit, vers quatre heures ?

— Non, à cette heure-là, j’étais rentré chez moi.

— Rentré chez vous ? Par quel moyen ?

— Pourquoi cette question ?

— Des voisins déclarent avoir vu mademoiselle Blackwell entrer chez elle vers minuit et demi. Elle était accompagnée d’un homme dont le signalement ressemble fort au vôtre. Cet homme roulait dans une Mercedes Classe E de couleur grise, immatriculée FBG 454. À l’heure qu’il est, cette voiture est toujours garée devant le domicile de mademoiselle Blackwell et il se trouve que vous en êtes le propriétaire. Je répète la question, par quel moyen êtes-vous rentré chez vous ?

Ils n’avaient pas perdu de temps.

— À pied.

— À pied ?

— Ou en taxi, je ne sais plus.

Je déteste les taxis, les banquettes sont crasseuses et les chauffeurs roulent comme des Huns. À pied me semblait plus probable, même si j’éprouvais quelques difficultés à concevoir que j’avais parcouru un kilomètre en titubant.

— Vous ne savez plus ?

— Franchement, non.

— Avant de rentrer chez vous — vous ne savez plus comment — vous étiez donc chez mademoiselle Blackwell ?

À l’heure qu’il était, ils avaient déjà prélevé les empreintes et auraient les résultats dans la journée. S’ils avaient accès à la base de données des États-Unis où je séjournais de temps à autre, ils sauraient dès ce soir que j’étais allé chez elle. Sans compter que je n’avais aucune raison de refuser qu’ils prennent mes empreintes.

Une image traversa mon esprit.

Ma cravate.

Je ne l’avais pas vue dans le tas.

— Oui, elle m’a offert un verre après sa visite au cabinet.

— Quel type de relation entreteniez-vous avec elle ? Était-ce une de vos clientes ?

Dilemme.

Dans trois ou quatre jours, ils auraient les résultats des analyses ADN. En plus de ma cravate, ils seraient en possession d’un de mes cheveux, de fibres provenant de mon costume, de quelques-uns de mes poils pubiens ou des restes de mes fluides intimes.

Si je répondais oui, je risquais d’être radié de l’ordre des avocats.

Le code de déontologie était clair à ce sujet.

L’avocat se gardera de nouer avec son client des relations personnelles ou d’affaires qui compromettent son indépendance.

Si je répondais non, quelle était la nature de mes contacts avec elle ?

Mon regard balaya le salon à la recherche de la bonne réponse. Je découvris avec horreur mon portefeuille, mes clés et ma montre sur la table basse, à deux pas d’où nous nous trouvions. À leurs côtés se trouvait la Rolex en or et diamants de Nolwenn, une pièce d’une valeur de quatre-vingt mille euros au bas mot, mobile suffisant pour commettre un meurtre dans soixante pour cent des pays de la planète.

Si je ne l’avais pas volée, pourquoi me l’avait-elle confiée ?

L’avocat se gardera de pratiquer une méthode de rémunération qui compromette son indépendance, par exemple en acceptant en paiement certains biens ou services qui mettraient en péril, fût-ce en apparence, son indépendance, sa dignité ou sa délicatesse.

Comble de malchance, Witmeur avait suivi la direction de mon regard.

Je tentai de le distraire.

— Monsieur Witmeur, tout ceci me dépasse, je n’ai rien à voir dans cette affaire. C’est dramatique, j’en conviens, mais il s’agit sans doute d’un cambriolage qui a mal tourné.

Grignard intervint.

— Il n’y a pas eu d’effraction.

— Pas d’effraction ?

— Non, pas d’effraction. Ce qui signifie que l’assassin est entré avec elle. Ou qu’elle lui a ouvert la porte, à quatre heures du matin. Ou qu’il avait la clé. Vous voyez ?

Il fallait que je dessoûle, que je prenne du recul et que je trouve un moyen de me sortir de ce traquenard.

Je pris un ton formel.

— Messieurs, puis-je vous demander de me laisser le temps de prendre une douche et de m’habiller ? Je suis disposé à passer vous voir en vos bureaux en fin de matinée ou dans l’après-midi pour répondre à vos questions. En attendant, je vous prierais de rester discrets à propos de cette histoire et de ne pas mêler inconsidérément mon nom à celui de mademoiselle Blackwell.

Witmeur fit un geste las en direction de Grignard.

Celui-ci sortit un quotidien de sa poche intérieure et le déplia.

C’était un exemplaire de l’édition du matin de la Dernière Heure.

À l’heure où ils avaient bouclé, les rédacteurs ne savaient pas encore que Nolwenn avait été assassinée.

J’apparaissais en première page. Sur la photo, prise dans le parking du Cercle Gaulois, Nolwenn était accrochée à mon cou et j’avais passé mon bras autour de sa taille.

Le titre jouait en demi-teinte.

Nolwenn Blackwell : contre-attaque en vue ou nouveau coup de foudre ?

Le mot jaillit du fond de mon subconscient.