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Elle composa le numéro.

Je me tins à une distance respectable pour ne pas la troubler tout en m’assurant de pouvoir entendre ce qui se disait.

Le grésillement d’une première sonnerie se fit entendre.

Elle semblait calme en apparence, mais tout son corps était figé.

Deuxième grésillement.

Je retins ma respiration.

Il y eut un déclic à la troisième sonnerie.

— Ja, Juan.

Elle eut un léger haut-le-corps.

— Juan Tipo ?

— Ja, ik luister.

— Je sais que vous comprenez le français, Tipo.

— Oui, c’est qui ?

— Écoutez ce que j’ai à vous dire, sans m’interrompre. Je suis une amie de Nolwenn Blackwell. Elle m’a envoyé une lettre peu avant sa mort. Elle se sentait en danger. Dans cette lettre, elle explique en détail ce qui s’est passé à Johannesburg pendant la Coupe du monde, l’année passée : le match truqué, l’assassinat de Shirley Kuyper, votre implication, vous voyez de quoi je parle ?

Il y eut un blanc qui me parut interminable.

Je crus qu’il avait raccroché lorsqu’il réagit.

— Non, je ne vois pas de quoi vous parlez.

Il parlait français avec un très léger accent.

Christelle Beauchamp ne se démonta pas. Elle avait mémorisé son scénario et connaissait aussi bien les objections potentielles que les réponses à donner.

Elle reprit.

— Bien. Si vous ne voyez pas de quoi je parle, vous ne verrez donc aucun inconvénient à ce que je communique le contenu de cette lettre ? Il me reste à choisir entre la remettre à la police ou l’envoyer à tous les grands quotidiens. D’après vous, qu’est-ce qui donnera de meilleurs résultats ?

Nouveau blanc.

Elle me regarda d’un air entendu. Ce silence était pour elle un indicateur favorable. Elle sentait qu’elle menait la danse.

Le ton de Tipo se fit agressif.

— Qui êtes-vous ?

— Mon nom ne vous dira rien.

— Pourquoi vous me contactez, moi ?

Elle me lança un coup d’œil interrogateur.

Je n’avais pas prévu une telle question. Je levai les mains en signe d’impuissance.

Elle improvisa.

— Qui voulez-vous que je contacte de votre part ?

J’entendis Tipo émettre une bordée de jurons dans plusieurs langues.

Il se fit menaçant.

— Sale pute ! Qu’est-ce que tu veux ?

Nous revenions dans le canevas attendu.

— La même chose que Nolwenn. Multiplié par deux pour ce qui lui est arrivé. Vous avez vingt-quatre heures pour réunir la somme. Passé ce délai, je ne réponds de rien. L’échange se fera à Paris, demain soir. L’argent contre la lettre. Rappelez-moi à ce numéro quand vous aurez l’argent et que vous serez prêt à partir, je vous donnerai la suite du programme.

Comme convenu, elle raccrocha.

Elle était blême.

Je fis un effort et exultai.

— Bravo, bien joué Christelle !

— Ne m’appelez pas Christelle.

— S’il vous rappelle, ne répondez pas. Il faut le laisser mijoter pendant au moins trois ou quatre heures, au minimum.

— Que va-t-il faire, à votre avis ?

— Je n’en ai pas la moindre idée, mais nous avons donné un coup de pied dans la fourmilière. Cet appel va faire des remous. Il va passer une nuit blanche. Ce qui est sûr, c’est que son téléphone va chauffer et que mon ami Witmeur va se régaler.

— Et ce Witmeur, s’il appelle, qu’est-ce que je fais ?

— Vous me le passez.

— Ce qui signifie que vous comptez rester ici ?

Je fis une moue désabusée.

— Contre mon gré, je peux vous l’assurer, mais il en va du succès de l’opération.

Elle accepta la perspective d’avoir à me supporter une nuit de plus. Selon moi, elle souhaitait surtout ne pas rester seule pendant cette épreuve.

— Vous pensez que ce Witmeur a réussi à le mettre sur écoute ?

— S’il ne l’avait pas fait, il m’aurait rappelé.

— Peut-être.

Elle choisit de changer de sujet.

— J’ai faim. Les émotions, ça creuse. Vous n’avez pas faim, vous ?

— Si, mais il est hors de question que nous sortions. Nous devons être à l’aise pour parler si le téléphone sonne.

Elle me regarda avec une expression indéfinissable.

— Vous voulez que je fasse appel à un service traiteur ?

J’appréciai l’initiative.

— Vous avez ça, à Paris, un service traiteur à cette heure-ci ?

— Bien sûr. Vous préférez pizza, sushi ou kebab ?

JEUDI 1er SEPTEMBRE 2011

38

LA NUIT DU CHASSEUR

Il était minuit passé lorsqu’une pizza quatre saisons froide et molle nous fut livrée par un ado bardé de piercings qui sentait l’huile de moteur. Nous la mangeâmes dans la cuisine, sans appétit, accompagnée d’une bière blonde pour masquer le goût.

Pour meubler, j’indiquai les photos éparpillées sur le pêle-mêle.

— C’est votre fille ?

— Oui. Elle est chez son père, en Normandie. Je la récupère dimanche.

— Elle est mignonne.

Elle redevint aussitôt elle-même.

— Mon appartement est joli, ma fille est mignonne, arrêtez votre cinéma, vous n’en croyez pas un mot ! En plus, je suis certaine que vous détestez les enfants.

Le visage grimaçant de la gamine de Caroline traversa mes pensées.

J’avalai une gorgée de bière.

— Qu’est-ce qui vous fait dire ça ?

— Un vieux garçon égoïste comme vous ne connaîtra jamais le bonheur d’avoir un enfant.

— C’est ce que me disent habituellement ceux qui en ont. Assez curieusement, après m’avoir dit cela, je les entends s’en plaindre, quel que soit l’âge de leur progéniture. Parce qu’ils veulent la Barbie cow-boy ou le dernier jeu vidéo, parce qu’ils veulent sortir jusqu’à l’aube, parce qu’ils veulent se faire tatouer, parce qu’il se drogue ou qu’elle est enceinte.

— Vous parlez comme les bobos parisiens.

— N’empêche, les divorcés sont plus cohérents, ils vantent rarement les vertus du mariage.

À court d’arguments, elle se leva et quitta la pièce pour rejoindre le salon.

Nous passâmes l’heure suivante à consulter nos tablettes respectives en espérant recevoir un appel. En craignant d’en recevoir un aussi.

À une heure du matin, nous décidâmes d’arrêter de veiller.

Ni Tipo ni Witmeur n’avaient appelé.

Je ne pouvais cependant imaginer que j’avais fait fausse route. La réaction qu’avait eue Tipo était là pour le prouver. En définitive, il voyait mieux que nous ce que les mots de Christelle Beauchamp signifiaient. Lancer des informations fragmentaires pour susciter une réaction et en savoir plus faisait partie de mes artifices coutumiers.

L’un des aspects troublants était la question qu’il avait posée sur le ton de la surprise.

Pourquoi vous me contactez, moi ?

Qui d’autre que lui aurions-nous dû contacter ?

Adil Meslek ? Un modeste préparateur physique payé à la prestation ? Par ailleurs, son étonnement suivi de son accès de colère semblait indiquer que ledit Meslek n’avait pas osé l’informer de notre visite à Casablanca.

L’autre aspect préoccupant était le silence qu’il avait observé après l’appel. Je m’attendais à ce qu’il reprenne contact avec nous pour avoir plus de détails ou négocier le délai et le montant.