Sur ce dernier point, je n’avais aucune idée de la hauteur de la somme à négocier. Pas plus que je n’en avais sur le déroulement de la suite des opérations au cas où il n’y aurait aucune réaction de la part de Witmeur. Je me voyais mal organiser une remise de rançon, sans compter qu’il me faudrait échanger une lettre qui n’existait pas contre une somme d’argent dont le montant était indéterminé.
Je tentai de juguler le stress qui me submergeait.
Peut-être ne parvenait-il pas à atteindre les personnes concernées ou attendait-il le lendemain pour agir ?
Peut-être cherchait-il les moyens de réunir la somme ?
En tout état de cause, je ne pouvais concevoir qu’il ait raccroché après l’appel pour aller dormir.
Somme toute, le silence de Witmeur était plus inquiétant. Si Tipo avait passé quelques appels téléphoniques, pourquoi ne m’avait-il pas rappelé pour me le signaler ? Dans le cas, peu probable, où Tipo n’aurait eu aucune réaction, pourquoi ne s’était-il pas empressé de m’informer qu’il s’agissait d’un nouveau joli tuyau crevé ?
Dernière possibilité, Tipo avait contacté la police. Il me restait alors à prendre la fuite au plus vite. Le chantage et la tentative d’extorsion de fonds s’ajouteraient à la liste déjà longue des délits que l’on me reprochait d’avoir commis.
Cette éventualité me fit craindre que Witmeur ne fût occupé à localiser mon téléphone. Durant quelques instants, je l’imaginai, remontant l’avenue, muni d’un petit appareil équipé d’une antenne, comme le policier à l’entrée de l’aéroport d’Alger, suivi comme son ombre par un commando d’intervention spéciale armé jusqu’aux dents.
Les minutes passant, je commençai à douter du plan que j’avais concocté.
Je jetai un coup d’œil à ma montre.
Il était plus d’une heure : je ne pouvais plus rien entreprendre aussi tard. Le plus raisonnable était de laisser la nuit me porter conseil.
Je proposai à Christelle Beauchamp de conserver mon téléphone, de se retirer dans sa chambre et de me fournir de quoi dormir sur le canapé.
— Si Tipo appelle ?
— Remballez-le, demandez-lui de vous rappeler dans une demi-heure et venez me rejoindre.
— Si votre flic appelle ?
— Les chances sont minces. Si cela se produit, ne décrochez pas, foncez et passez-le-moi.
Elle s’éloigna de quelques pas et fit demi-tour.
— Je vais peut-être vous paraître pessimiste, mais je n’ai pas l’impression que votre plan ait la moindre chance de fonctionner.
Sa remarque ne fit que retourner le couteau dans la plaie.
— Nous ne savons pas ce qui se passe de l’autre côté. C’est peut-être le branle-bas de combat.
Son visage exprima la plus profonde perplexité.
— Bien sûr. Je vais vous chercher un sac de couchage.
Elle revint quelques instants plus tard et jeta un sac de couchage sur le canapé. Il était dans un état pitoyable et exhalait une odeur de feu de bois refroidi.
— Merci.
— Salle de bains, première porte à gauche dans le couloir, les toilettes en face. Vous serez gentil de rabattre la lunette du WC.
— Bien sûr. Pour qui me prenez-vous ?
— Et ne vous avisez pas d’entrer dans ma chambre.
— Bien sûr que non.
Elle tourna les talons et quitta la pièce.
— Bonne nuit.
— Bonne nuit, Christelle.
— Ne m’appelez pas Christelle.
39
LA MAIN AU COLLET
Je ne sais au juste ce qui troubla mon sommeil.
J’ouvris les yeux.
Il commençait à faire jour.
Je jetai un coup d’œil à ma montre. 5 h 20. Mes pieds dépassaient du canapé. L’odeur du sac de couchage me collait à la peau et imprégnait l’air ambiant.
Je me redressai.
L’appartement était calme et silencieux. Malgré cette tranquillité apparente, je pressentais un danger sans pouvoir en déterminer la cause.
Un léger craquement se fit entendre. Je patientai quelques secondes, les sens en alerte. Le bruit se renouvela. Je compris qu’il était à l’origine de mon réveil et du sentiment d’insécurité qui m’envahissait.
Je tendis l’oreille et tentai de le localiser. Il se reproduisit. Il ne provenait pas de l’appartement, mais de la porte d’entrée.
Je me levai et m’approchai sur la pointe des pieds. Au moment où je l’atteignais, le craquement retentit à nouveau, plus présent, plus sonore, plus menaçant. Je reculai d’un pas et vis avec effroi que l’encadrement de la porte tremblotait.
Mon cœur bondit hors de ma poitrine. Quelqu’un tentait de forcer la serrure au pied-de-biche.
Je me retournai pour repérer mon téléphone. Il n’était nulle part. Je me rappelai que Christelle Beauchamp l’avait emporté dans sa chambre.
La porte vibra de plus belle.
D’un regard circulaire, j’explorai le salon à la recherche d’une arme de fortune.
Un parapluie était accroché sur le rebord d’une commode. Je fis quelques pas et m’en emparai. Au passage, je saisis le sac de couchage et l’enroulai en partie autour de mon avant-bras en vue de me protéger d’une éventuelle attaque au couteau.
Je fis face à la porte, gorgé d’adrénaline.
Un long grincement résonna et la serrure céda. Des particules de bois volèrent dans le salon et la porte s’ouvrit à la volée.
Un homme fit irruption.
Je ne l’avais jamais rencontré, mais il ne m’était pas inconnu.
Le teint mat, les cheveux embroussaillés, le front ruisselant, il était plus grand que je ne l’aurais imaginé. Outre sa taille et sa carrure imposante, l’énorme pistolet qu’il braquait sur moi m’impressionnait au plus haut point.
Roberto Zagatto.
En quelques fractions de seconde, les dernières pièces du puzzle se mirent en place. Je revis le joueur de football à la télé.
Un buteur n’est rien sans son passeur.
Je me rappelai ce que Christelle Beauchamp m’avait dit.
À Johannesburg, Nolwenn a passé plus de temps seule dans sa chambre qu’avec Zagatto.
Enfin, tel un flash, je me souvins qu’elle m’avait également confié qu’un soir, Zagatto était venu chez elle avec Nolwenn.
Les détails qui m’avaient échappé.
Les détails qui allaient tout faire basculer.
Les détails qui allaient me coûter la vie et celle de Christelle Beauchamp.
Je tentai de crier, en vain. Une balle de golf était coincée dans ma gorge.
Zagatto avança d’un pas. Une haine mêlée de surprise se lisait sur son visage.
Il ne se posa aucune question. Un obstacle se dressait sur son chemin et il fallait le surmonter.
Ce sont des footballeurs, ces types-là, pas des génies.
Sans un mot, il leva le bras et dirigea le canon de son arme dans ma direction.
— Lâche ton arme, écarte les bras et allonge-toi sur le ventre.
Je ne réalisai pas immédiatement que ce n’était pas Zagatto qui avait parlé, mais une voix vaguement familière qui avait éclaté dans son dos.
Zagatto ouvrit de grands yeux, hésita un instant, puis lâcha son arme.
Je jetai un coup d’œil derrière lui et vit apparaître Witmeur.
Il avait enfilé un gilet pare-balles. L’épaule agressive, le regard belliqueux, il tenait à deux mains un pistolet pointé sur le footballeur. Il pénétra dans le salon, aussitôt suivi par une colonne d’hommes armés équipés comme lui de gilets pare-balles.