Il s’adressa une nouvelle fois à Zagatto.
— Allonge-toi par terre, les mains derrière le dos, et joue pas au héros.
Des flics n’en finirent pas d’entrer dans le salon. Ils devaient être une dizaine.
L’un d’eux s’empara d’un talkie-walkie et éructa.
— C’est bon, on le tient, flag, appelle Kees et dis-lui qu’ils peuvent arrêter l’autre.
Zagatto s’allongea sur le ventre et mit les mains derrière le dos. L’un des flics intervint, posa un genou dans son dos, pendant qu’un autre lui passait les menottes.
Witmeur observait la scène d’un air entendu.
Lorsqu’il estima que tout danger était écarté, il se tourna vers moi.
Je pris conscience que j’étais à moitié nu, cloué sur place, pétrifié, brandissant le parapluie d’une main, le sac de couchage de l’autre.
Witmeur secoua la tête.
— Dites-voir, Tonnon, vous ne croyez pas que vous avez passé l’âge de jouer à Gladiator ?
40
UNE JOURNÉE EN ENFER
Witmeur conduisait, j’étais assis à la place du mort.
Il était de guingois, tourné en partie vers moi, l’air buté, une main sur le volant, son épaule récalcitrante fendant la route.
Il était près de vingt-deux heures. Nous avions quitté Paris deux heures plus tôt et je venais de vivre l’une des journées les plus éprouvantes de cet été calamiteux.
Après l’arrestation musclée de Zagatto, le policier français qui semblait diriger les opérations était allé réveiller Christelle Beauchamp. Elle était apparue quelques minutes plus tard, habillée, l’air frais et dispos. Elle m’avait à peine accordé un regard et avait continué à discuter à mi-voix avec le flic.
Curieusement, elle n’avait paru ni surprise ni choquée de découvrir le chaos qui régnait dans son appartement. Une dizaine d’hommes armés papillonnaient dans son salon. Plusieurs d’entre eux téléphonaient à voix haute. Les autres tournaient en rond, la mine sombre.
Witmeur se pavanait avec ostentation au milieu de la scène tel un matador après l’estocade finale. Zagatto était affalé à ses pieds, dépité, menotté, vaincu.
Lorsque ce dernier avait vu entrer Christelle Beauchamp, il avait eu un sursaut de dignité.
— Je te jure que tu me le paieras, sale pute.
Elle était restée de marbre.
Comme s’ils n’attendaient que ce signal, une partie des policiers avait quitté la pièce en embarquant le footballeur.
Une demi-heure plus tard, l’un d’entre eux m’avait emmené au commissariat central du quinzième arrondissement, rue de Vaugirard. Christelle Beauchamp avait fait le trajet dans une autre voiture. À notre arrivée, le policier m’avait intimé l’ordre de m’asseoir dans le couloir. Celui qui avait conduit Christelle Beauchamp l’avait priée de le suivre en multipliant les formules de politesse.
Je ne savais s’ils me considéraient coupable, suspect, complice ou simple témoin. En tout cas, ils ne m’avaient pas passé les menottes.
Malgré l’heure matinale, l’effervescence régnait dans les locaux. De temps à autre, une porte s’ouvrait, un flic sortait, un autre entrait. Des bribes de conversations s’échappaient.
J’avais passé deux heures assis dans le couloir sans que personne ne s’inquiète de mon sort. Vers neuf heures, un planton m’avait offert un café lyophilisé et un croissant qui goûtait le pétrole.
Vers dix heures, un policier était venu me chercher, m’avait fait entrer dans un bureau, m’avait posé l’une ou l’autre question avant de me renvoyer à mon banc.
J’étais persuadé qu’ils en faisaient de même avec Christelle Beauchamp pour recouper nos dires. À la lueur des informations qu’ils recherchaient, j’avais déduit qu’ils étaient occupés à cuisiner Roberto Zagatto et qu’ils essayaient de reconstituer le puzzle.
J’avais subi un second interrogatoire, puis un troisième. De questions en réponses, le scénario de la nuit avait commencé à se dessiner.
La première partie de mon plan avait fonctionné. Comme je l’espérais, la police belge avait mis Tipo sur écoute. Juste après l’appel de Christelle Beauchamp, ce dernier avait alerté Zagatto. Je ne sais au juste ce qu’ils s’étaient dit, mais Zagatto avait embrayé séance tenante.
À midi, un flic m’avait conduit dans une autre salle pour m’y faire subir une énième audition. Deux hommes en costume étaient assis à un bureau, au fond de la pièce. Ils préparaient un compte rendu destiné à la presse et ne semblaient nullement se préoccuper de ma présence.
J’avais tendu l’oreille et capté l’essentiel du message, ce qui m’avait en partie rasséréné.
Ce mercredi 31 août, à 22 h 43, la police belge a intercepté un échange téléphonique entre monsieur Juan Tipo et monsieur Roberto Zagatto. Durant cette conversation, des menaces de mort ont été proférées à l’encontre d’une journaliste française. Monsieur Zagatto, qui se trouvait alors à Londres, a pris son véhicule et s’est rendu à Folkestone où il est arrivé à 0 h 45. Il a pris un ferry à 1 h 08 et a débarqué à Calais à 2 h 43. Alertés par la police belge, nos services l’ont pris en filature et l’ont suivi jusqu’à Paris où il est arrivé à 5 h 15. Il s’est rendu au domicile de la journaliste française en question et a forcé sa porte. Nous sommes intervenus en bonne intelligence avec nos collègues belges. Lors de son interpellation, monsieur Zagatto était armé. Parallèlement à cette arrestation, monsieur Tipo a été appréhendé à Eindhoven. Cette opération entre dans le cadre de l’enquête en cours sur le meurtre de mademoiselle Nolwenn Blackwell, survenu il y a dix jours à Bruxelles. Les deux suspects sont en aveux. Nous vous donnerons plus de détails dans un prochain bulletin.
Je m’étais senti mieux. Je ne faisais pas partie des acteurs principaux, ce qui ne signifiait pas pour autant qu’ils m’avaient mis hors de cause.
L’après-midi avait été harassante.
J’avais subi interrogatoire sur interrogatoire. Trois policiers m’avaient pris en charge. Une nouvelle fois, j’avais dû leur raconter le fil des événements depuis l’entrée de Nolwenn dans mon bureau jusqu’à l’irruption de Zagatto dans l’appartement de Christelle Beauchamp.
Sans cesse, ils m’interrompaient pour revenir sur mes déclarations et me poser des questions sur des points de détail. Quand j’en avais terminé, ils me laissaient souffler cinq minutes, puis me faisaient tout rembobiner pour reprendre à zéro.
À ce jeu-là, j’avais fini par confondre des lieux, des heures ou des données accessoires telles que la marque de la voiture que j’avais louée, les circonstances de ma rencontre avec Jean-René Lazare ou la description physique de Rachid.
Ils se faisaient alors une joie de souligner l’inexactitude de mes propos et me faisaient tout recommencer.
À bout, n’écoutant que ma lâcheté, j’avais tout avoué : ma nuit de stupre avec Nolwenn, ma rupture avec Caroline, mon compte en banque suisse, les faux seins de madame Witmeur, mon cambriolage chez Block, mes tribulations nord-africaines avec Christelle Beauchamp, mes faux papiers, ma rencontre avec Lapierre, ma traversée de la frontière en baudets passeurs de drogue et tout le reste.
Seuls le colis que j’avais été chargé de déposer pour Rachid et l’étreinte malheureuse avec ma compagne d’aventure avaient été passés sous silence.
Vers dix-sept heures, j’avais eu droit à un sandwich.
Une heure plus tard, Witmeur avait fait sa réapparition alors que j’attendais dans le couloir, assis sur mon banc. D’un ton sec, il m’avait informé qu’il me ramènerait à Bruxelles en début de soirée.
Il était aussitôt reparti pour ne revenir qu’à vingt heures et m’ordonner de le suivre. Il m’avait fait monter dans sa voiture sans me donner d’explications et avait pris la direction de la Belgique.