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Dès lors, les choses m’étaient apparues clairement.

— Tipo est rentré à l’hôtel affolé, il est allé réveiller son ami Zagatto et lui a expliqué la situation.

— Exactement. Ils ont mesuré le risque qu’ils couraient si la fille parlait et ont décidé de s’occuper d’elle. Comme Tipo avait été repéré par les voisins, c’est Zagatto qui s’en est chargé.

Nous avions attaqué notre troisième Bush de concert.

J’avais complété le scénario.

— Là-dessus, Tipo est descendu au bar pour s’offrir un alibi en béton.

— Tout à fait.

— Je présume que Nolwenn Blackwell a dû capter quelque chose. En tout cas, le fait que Zagatto s’en aille en pleine nuit après avoir discuté avec Tipo en panique a dû lui mettre la puce à l’oreille.

Witmeur avait secoué la tête.

— Tu n’y es pas. Ces gens ne sont pas du même milieu que le tien. Ils ne raisonnent pas comme toi. Ils ne réagissent pas de manière sensée.

Le passage au tutoiement ne m’avait pas étonné, la Bush titrait douze degrés.

Je m’étais gardé d’en faire autant.

— Expliquez-moi ce qui s’est passé.

— À son retour, ce con de Zagatto lui a tout avoué. Le trucage, la pute, le meurtre. Ils étaient fous amoureux. Il lui a fait jurer de ne rien dire et elle a accepté. Ils considéraient cela comme une preuve d’amour.

— Fin du premier acte.

Il avait marqué une pause.

La discussion à la table attenante battait son plein. La bière aidant, les propos du futur Premier ministre m’avaient soudain paru pleins de bon sens. Il s’était levé pour faire valoir ses idées et se proposait de rencontrer séance tenante Barak Obama pour travailler de front avec lui sur un plan de relance économique.

Witmeur avait vidé son verre et étouffé un renvoi.

— Comme tu dis, fin du premier acte. Ça aurait pu en rester là si Nolwenn Blackwell ne s’était pas fait plaquer par son nain. Elle était aux abois et est revenue sur son serment. Elle a repris contact avec son ex et lui a demandé du fric contre son silence.

C’est à ce stade que j’avais fait fausse route.

La question que Tipo avait posée lors de l’appel téléphonique s’expliquait.

Pourquoi vous me téléphonez, à moi ?

— Je me suis trompé, je pensais que Nolwenn s’était adressée à Tipo. Quelle a été la réaction de Zagatto ?

— D’abord, il ne l’a pas crue capable de ça et a rigolé. Il lui a dit qu’elle n’avait aucune preuve et l’a envoyée se faire voir. C’est alors qu’elle a mis Block dans la combine. Ils ont mené leur petite enquête qui les a conduits au journal sud-africain et au meurtre de la pute. Après ça, elle est allée voir Meslek à Casablanca. Elle savait qu’il était le pourvoyeur de filles. Pendant ce temps, Block est parti à Bangkok avec l’idée de prouver le trucage des matches.

— Je vois. Block a envoyé la coupure de presse à Zagatto pour le mettre sous pression et Nolwenn a repris contact avec lui pour lui donner des éléments de preuve. Entre autres, l’aveu de Meslek.

— C’est à ce moment qu’il a compris qu’elle ne plaisantait pas. Surtout qu’entre-temps Meslek avait alerté Tipo pour lui raconter la visite de Nolwenn. Si l’un tombait, l’autre tombait. Zagatto était coincé à Londres, ce qui lui donnait un alibi. Il a demandé à Tipo de lui renvoyer l’ascenseur. Il avait gardé un double de la clé de l’appartement de Nolwenn. Il a envoyé la clé à Tipo par courrier express. Les flics hollandais ont retrouvé une copie du bordereau d’envoi chez DHL.

J’avais imaginé l’épilogue.

— Tipo est arrivé d’Eindhoven dans la nuit de lundi à mardi, alors que j’étais avec elle. S’il avait débarqué deux heures plus tôt, il me serait tombé dessus et tout se serait passé autrement.

Witmeur avait eu un geste fataliste.

— Il t’aurait sans doute descendu.

— Sans doute.

L’alcool faisait son effet. Mes oreilles avaient recommencé à bourdonner et mes yeux se fermaient contre ma volonté.

Malgré cela, j’avais noté qu’il manquait une pièce.

— Et Block, qui l’a tué ?

Sur ces entrefaites, il avait commandé une quatrième tournée et s’était envoyé une bonne rasade avant de répondre.

— Block a fait l’imbécile. Il est parti jouer les détectives privés à Bangkok, histoire de prouver les matches truqués. Il n’est pas passé inaperçu, avec ses allures de tantouze, à se déhancher au milieu du cartel du jeu. Ils ont attendu qu’il rentre à Paris pour s’occuper de lui. Les tueurs ont été identifiés. Ils ont quitté la France, mais ils ont été repérés en Espagne. Leur arrestation ne devrait pas tarder. C’était un simple contrat pour eux, on n’arrêtera jamais les commanditaires.

La boucle était bouclée, trois morts, trois assassins, trois mobiles.

Nous avions terminé notre verre en silence.

À côté, le Premier ministre proposait de licencier le roi, de former une république et de devenir président.

Witmeur m’avait proposé de relancer en me défiant du menton.

Le patron vint déposer les deux Bush.

Witmeur avala la sienne en deux traits et m’encouragea à en faire autant.

— Magne-toi, la nuit n’est pas finie, on a encore du travail.

— Du travail ?

— On rentre sur Bruxelles, je dois enregistrer ta déposition avant minuit.

— Vous plaisantez ? Je suis à moitié saoul.

— Et alors ? Moi aussi. Ça ira plus vite.

Il se leva et chancela.

Je devais mieux tenir l’alcool que lui. Nous sortîmes du bistro et il me tendit les clés de la voiture.

— Je vais pisser. Tiens, prends le volant, c’est plus prudent.

Il partit se soulager dans le caniveau et j’en fis de même.

Nous arrivâmes tant bien que mal à destination vers une heure du matin.

Une préposée et un flic en uniforme somnolaient dans le local de garde. Une odeur de soupe à la tomate prenait à la gorge, un néon en fin de vie clignotait au plafond et un haut-parleur invisible crachotait les messages que s’échangeaient les voitures de patrouille.

Witmeur salua ses collègues et me pria de le suivre. Nous montâmes dans son bureau.

— Assieds-toi.

Il ouvrit une armoire chargée de dossiers et y prit un classeur volumineux. Je notai que mon nom était inscrit au marqueur bleu sur la couverture, suivi d’une série de lettres et de chiffres.

— Bon, voyons ce qu’il y a là-dedans.

Le ton de sa voix s’était durci.

Je jouai au naïf.

— C’est mon dossier ?

— Je le crains.

Il chaussa une paire de lunettes et se mit à feuilleter le dossier en énumérant les chefs d’accusation.

— Déclarations mensongères, délit de fuite, non-assistance à personne en danger, faux et usage de faux, abus de confiance, non-présentation à une convocation judiciaire, usurpation d’identité, dissimulation de preuves, faux témoignages, entrée et séjour illégal dans un pays souverain, stationnement interdit, excès de vitesse.

Je l’interrompis.

— Excès de vitesse ?

Il releva la tête.

— 147 kilomètres-heure, le mercredi 24 août à 15 h 39, sur la E40, entre Ostende et Bruxelles.

— Soit.