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On avait programmé ensuite une interviouve de Mme Duras.

№ 2 éteignit la télé couleur portable qu’il était seul à regarder.

CHAPITRE V

C’était un beau matin calme.

Pas l’ombre d’un nuage dans le ciel démesuré.

Les deux hommes de la Sécurité Intérieure qui devaient relayer les deux collègues au point haut statique, dans l’achélème en face de celui de Rameau, croisèrent les deux fonctionnaires de la Sécurité Extérieure destinés à prendre la suite des deux occupants du Break R 18 crème stationné à proximité du perron de l’immeuble faisant l’objet de la surveillance.

Les quatre policiers ne s’adressèrent pas un regard.

Ils portaient dans leurs sacoches diverses éditions du matin d’un certain nombre de quotidiens de la presse nationale. Pas le plus petit signe. Ils allaient au charbon.

Ils avaient pourtant emprunté la même rame de métro, et étaient descendus tous quatre, mais deux par deux, à la station Louise-Michel.

Rameau se rasait dans sa salle de bains.

Les deux sbires du Quartier latin avaient déjà fait trois passages de reconnaissance photographique en bas, dans leur station-wagon de service mastic et rouge dont les panneaux de portières s’agrémentaient de peintures psychédéliques exécutées à l’aérographe dans un garage occulte de Saint-Ouen. Ils ne roulaient ni vite, ni lentement, et le ronron du moteur n’était troublé de temps à autre que par les rafales du winder de leur Nikon de série.

Ils étaient déjà au charbon.

Les hommes du commandant stagiaire, eux, truffaient le quartier. On aurait même pu en reconnaître trois, dans la cuisine du Maltais, au deuxième étage, dans les personnages courtois mais fermes qui tenaient le malheureux et son accordéon en respect à l’aide de pistolets automatiques de calibre .32 munis de silencieux.

Ils n’avaient pas cessé d’être au charbon.

Rameau enfilait une chemise de lin beige.

Petit Facteur avait fini de faire le café.

Dans ses mains, l’opération acquérait un tour alchimique.

Éloïse gazouillait dans la chambre des filles.

Un beau matin.

Calme.

De sous un tas de linge sale, Rameau retira en soupirant légèrement une trousse de toile kaki. Elle contenait un lourd revolver d’acier gris à la crosse de noyer poli. Le policier remplit les chambres du barillet à l’aide de cartouches .44.

Tout était en place, y compris les deux tueurs maussades qui avaient pris le premier avion à destination du Proche-Orient. L’un d’eux tripotait entre ses doigts perplexes un stylo à bille de marque « POLICE NATIONALE — 1975 » qu’il venait de trouver au fond de sa poche.

C’est dans le calme feutré de ce matin sans nuages que, peu avant onze heures, intervint la terrifiante explosion du Trou des Halles.

Bien que de l’avis commun, tout ce qui se trouvait dans le Trou et plus généralement dans un rayon de plusieurs centaines de mètres de rayon fût jugé architecturalement calamiteux, la réaction fut foudroyante et instantanée.

Un Conseil des Sinistres extraordinaire fut immédiatement convoqué.

On y décida la création d’un sous-secrétariat d’État à l’Insécurité Publique. On y arrêta le principe d’un organe de coordination entre les divers services et assimilés chargés de la lutte contre le terrorisme. On s’en remit, assez mélodramatiquement, au dieu Ordinateur.

On se sépara en se disant à la prochaine.

Dans le même temps, Grand Méchant Loup réunit le Conseil de la capitale.

Il grilla tout le monde sur le poteau en faisant immédiatement après une déclaration à la presse, tant écrite que parlée, dans laquelle il déclara notamment : « … Il est proprement inconcevable que dans une démocratie libérale comme la nôtre, des individus ou des groupes d’individus s’arrogent le droit, en toute impunité, de faire sauter un trou, riche par ailleurs de tout un passé culturel et historique. Dans ce pays, comme dans tout l’Occident fondamentalement attaché à ses racines profondes, un trou est un trou et DOIT LE RESTER. À cet égard, c’est fondamentaaal… Je m’incline devant les dépouilles, etc. »

Le chef de l’État para l’échec en déplaçant sa dame.

Il ferait une déclaration télévisée au journal de vingt heures.

Un conseiller lâcha :

— Le président veut réagir à chaud.

Rameau se trouvait dans son bureau au moment des faits.

Il était arrivé à neuf heures.

Il s’était fabriqué un petit noir à l’aide de son percolateur administratif. Il avait parcouru la presse. Il avait ensuite adopté spontanément la position du fonctionnaire assoupi, les chevilles croisées au coin du bureau.

Il avait maintenant les deux pieds bien à plat sur la moquette.

Il semblait légèrement abasourdi.

Il n’y avait plus une vitre aux fenêtres et le combiné du téléphone était fiché assez grotesquement au milieu du capiton de la porte.

Rameau pensa tout de suite à une nouvelle fuite de gaz.

— RAMEAU, aboya № 2 dans l’interphone. OU EST CE… CE RAMEAU ?

— Dans son bureau, annonça Cul de Plomb avec dédain.

— TROUVEZ-LE-MOI. RAMENEZ-LE-MOI.

— Bien, monsieur.

Sur la console téléphone de № 2, la touche correspondant à la ligne directe qui le reliait au Grand Sachem se mit à clignoter impérieusement. № 2 brisa le plomb qui en interdisait l’usage en temps ordinaire. Les temps n’avaient plus rien d’ordinaire.

Une voix lente et feutrée, absolument dépourvue de toute trace d’accent méridional, lui parvint au cerveau par le truchement du conduit auditif et de divers neurones et synapses.

La voix avait la froideur inflexible du meilleur scalpel.

* * *

« Buzz, Buzz, Buzz », faisait la sonnerie du téléphone posé sur le bureau du commandant stagiaire.

Il décrocha avec nervosité.

— Il a recommencé, annonça l’interlocuteur.

— Où ça ?

— Trou des Halles.

— Qu’est-ce qu’il reste ?

— Rien. Plus de trou.

— Comment ça, plus de trou ? aboya le commandant stagiaire.

— Enfin, un autre trou. Plus profond. Plus large. Plus de complexe commercial. Plus rien.

— C’est quand même inconcevable. Pourquoi faire sauter un trou ?

— Peut-être l’impact psychologique, suggéra le correspondant.

— Où il est, en ce moment ?

— Dans son bureau.

— Et les autres ?

— Chez lui. Y en a qu’une qui est partie bosser. La mère du gosse.

— Qu’est-ce qu’ils foutent, les autres ?

— Le gosse s’amuse avec le bébé. Les deux qui restent préparent un braquage.

— Un ?

— Elle avait envisagé un moment la Banque de France, mais avec… l’impasse budgétaire…

— Oh ! non…, fit le commandant stagiaire.

— Autre chose, annonça l’interlocuteur. On a remarqué deux hommes de l’équipe Ramadièze qui tournent autour de l’immeuble. Break Chevrolet mastic et rouge. Ils ont l’air en service commandé.

— Restez dessus, intima l’officier. Je vais rendre compte.

Il brancha le codeur.

Avant d’appeler le Colonel, il se tamponna le front et le cou.

* * *