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— Oui ? condescendit Petit Facteur.

— Ouïson ?

— Ouïson, qui ? demanda le gosse en usant habilement d’un instant d’inattention de sa victime pour lui coller le contenu d’une petite cuillère entière dans le four.

— Les autres.

— Ils sont à la banque.

— Mais qu’est-ce qu’ils foutent à la banque ?

— Du calme, mon ami, du calme, lénifia Cul de Plomb.

Elle avait senti d’instinct qu’il fallait dédramatiser. Elle sourit au bébé.

— C’est à votre fils ?

— Non. C’est une occasion.

— Elle est plutôt chiante, l’occasion, déclara Petit Facteur. Elle bouffe pas la moitié de sa bouffe et elle s’amuse avec le reste.

— Tu peux parler, grinça Rameau.

— Gouzi, fit distinctement Éloïse.

— Qu’est-ce qu’ils foutent, à la banque ? répéta Rameau en se contraignant à la plus extrême mesure dans le volume vocal.

— Ils braquent la banque, dit Petit Facteur.

Il avait réussi à placer une deuxième petite cuillère pleine, mais là, vraiment par traîtrise. Il observait avec appréhension la suite des événements.

— Glourk, fit Éloïse congestionnée.

— Touché-coulé, commenta sobrement Petit Facteur.

Rameau se passait la main sur la figure.

Ce qu’on en devinait par instants paraissait de plus en plus violacé.

— Résumons-nous, proposa-t-il dans un louable et surhumain effort de conciliation. Ma femme, ton père et ta mère sont partis. Jusque-là, ça va.

— Jusque-là, ça va pas du tout, contra Petit Facteur. Y m’avaient dit qu’y seraient rentrés pour la faire bouffer. Jus d’orange…

Le policier passa le biberon de jus d’orange…

— Merci.

— Ils sont allés braquer une banque…

— Bavoir, commanda Petit Facteur en agitant impatiemment les doigts.

Rameau passa le bavoir en éponge. Cul de Plomb remarqua que l’homme semblait intimement anéanti. Qu’il ne fonctionnait plus que par réflexes.

— Merci, condescendit Petit Facteur.

Il savait adopter un ton technocratique à l’occasion.

— Greubeudeu, affirma péremptoirement Éloïse, signifiant ainsi du même coup qu’elle avait atteint le trop-plein et qu’elle entendait dorénavant comme par le passé récent se réfugier dans le sommeil.

Petit Facteur entreprit de lui tapoter le dos, entre les omoplates.

— QUELLE B… ?

— Mon ami, voyons, déplora fermement Cul de Plomb.

— Quelle banque ? grimaça Rameau.

— Je sais pas… (Tap, tap, tap…) Une banque dans l’annuaire, de toute façon…

— Y a DES MILLIERS…

— Rameau !

— Il y a des milliers de banques dans l’annuaire, psalmodia le policier. (Du cri, il en était réduit au chuchotement intimiste bergmanéen. C’était sûr qu’il avait du mal à s’y faire et que ça ne changeait rien à la témébilité générale du discours.) Des centaines de milliers. Des millions de banques… (Il avait l’air de plus en plus hagard, de moins en moins contrôlable.) Des centaines de millions de…

Tap, tap.

— C’est pas fini ? s’insurgea Rameau.

— Elle a pas fait son burp, expliqua Petit Facteur, suffisant.

— Téléphone, annonça Cul de Plomb en présentant l’objet au bout de son fil.

Le policier s’empara du combiné à bras-le-corps.

Le porta à une de ses oreilles, au hasard.

De toute façon, c’était la même chose.

— Tout à fait disposés à conclure sur les bases convenues lors de notre précédent entretien, abonda une voix interurbaine qui ne songeait nullement à dissimuler sa profonde satisfaction de façade. Et bien entendu en dollars US, ainsi que vous aviez jugé bon d’en manifester le souhait, au demeurant fort compréhensible.

— Coupures de cent, usagées.

— Naturellement…

— Vous admettrez cependant un léger réajustement, dû à l’indexation sur le coût de la vie, depuis notre dernière entrevue…

— Fort bien.

— Je pensais à l’indice de la CGT, comme base de référence, suggéra Rameau.

— J’allais justement vous le proposer.

— L’INSEE, vous savez…

— Je sais, reconnut le commandant en veine subite de confidence, chez nous c’est pareil en ce qui concerne les statistiques mensuelles portant sur nos décès accidentels en matière d’opposants et prisonniers politiques, encore qu’en définitive nous parvenions à nous y retrouver plus ou moins, mais par des artifices comptables…

— Vous me permettrez cependant d’en référer à mon conseil d’administration.

— Mais c’est tout naturel, mon cher ami, affirma le commandant, compréhensif.

Conformément aux sages préceptes de Sun-Tzu (individu à la personnalité pour le moins hypothétique), mais tels que relayés par la pensée du jeune Mao Zendong, orthographe restituée, l’officier stagiaire savait pratiquer la magnanimité dans la victoire et la mesure dans la hâte — fussent-elles purement commerciales —, aussi prit-il même le temps de s’éclaircir le gosier avant de proposer :

— Peut-être pourrions-nous reprendre langue dans une vingtaine de minutes afin d’arrêter définitivement les derniers détails de la transaction ?

— Okay, concéda Rameau en couvant son conseil d’administration d’un œil sagace et froid.

Il raccrocha.

Avec l’aide tout à fait inefficace de Cul de Plomb, le conseil d’administration avait entrepris de changer le cucul ensommeillé d’Éloïse, métonymie tout à fait excusable, si l’on songe au contenu purement olfactif de la chose.

* * *

Le premier conseiller technique du ministre de l’Intérieur prenait un pot à la terrasse du Fouquet’s sur le coup des dix-huit heures, avec le premier conseiller technique du secrétaire d’État au Commerce Extérieur.

Comme de coutume, celui-ci n’avait pas le moindre rond sur lui.

— Laisse, anticipa l’autre. Je viens de toucher mes frais de deuxième secteur ce matin.

Il sortit une poignée de coupures de cent francs de sa poche.

— C’est quoi, ça ? demanda son homologue.

L’autre défroissa du plat de la main le télex, d’un geste négligent. Il entendait signifier par là sa proximité avec les plus grands du monde et son égal dédain à l’égard des choses de la vie.

— Une connerie… № 1 de la Sécurité Extérieure veut se farcir № 1 de la Sécurité Intérieure. Ils en sont aux poulets par ambassade interposée…

EXPLOSIF DE LA QUATRIÈME GÉNÉRATION, lut l’homme du Commerce Extérieur.

— J'peux te le piquer ? demanda-t-il, avec le plus parfait sang-froid.

— Ouais, dit le conseiller de Grand Sachem. Si j’en ai besoin, je demanderai une autre photocopie.

* * *

Ils discutaient dans le petit bureau douillet du patron de la Banque Nationale du Poitou — avec autant de sérieux et de réalisme que s’il s’agissait de bâtir un prêt PAP. Il ne s’agissait pas d’un prêt.

— Vous n’êtes pas du tout forcé de nous croire sur parole, déclarait Leila.

— Mais, mais, pourquoi ne vous croirais-je pas ? Nous sommes entre gens sérieux, sourit le directeur.

— Le PUB RENAULT, le Trou…

— Mais madame, je ne mets nullement en doute la véracité de vos dires.