Выбрать главу

— Où ? coupa le commandant avec une froideur qui devait tout à l’aimable M. Guillotin.

— Eh bien, ici, à Levallois, proposa Rameau en se trifouillant l’oreille gauche à l’aide de l’auriculaire correspondant. C’est au…

— Je sais, grinça le commandant. J’en réfère immédiatement au Colonel. Vous restez en ligne ?

— Si ça doit pas prendre trop longtemps… J’attends un coup de fil de ce vieux cabotin de Ronald Brigan.

— Ça va rien prendre du tout, affirma le commandant.

« — Nous sommes maintenant en mesure de présenter l’équipe de crise qui vient d’être constituée à la suite des déclarations récentes du chef de l’État, annonça le speaker. Ils sont tous porteurs du blazer bleu sombre de la nouvelle équipe anti-terroriste française et on reconnaîtra, assis au centre, leur entraîneur, qui est depuis quelques minutes, le M. Terrorisme Français… »

Rameau considéra l’image d’un œil éteint.

Dans son oreille, l’écouteur lui infligeait une version revue et corrigée de l’Hymne à la Joie, avec fifres, tambourins et pas de l’oie.

— Arrête ces conneries, dit-il avec lassitude à Petit Facteur.

— Le commandant est en ligne, susurra une voix sensuelle aux consonances moyen-orientales. Veuillez patienter quelques instants. Le…

— Ta gueule, susurra Rameau avec affabilité.

« — Lieutenant-colonel Crotale, clamait le speaker, vous représentez l’organe de coordination et le représentant de la Gendarmerie dans ce tout nouveau team, très moderne, très structuré. Voulez-vous dire quelques mots pour les téléspectateurs qui vous écoutent ? »

L’homme se pencha sur le micro :

« — J'voudrais d’abord vous dire que j'suis très content que ça soye moi que m’sieur le président il a choisi. J'veux lui dire merci pour tout, pasque c’est toujours un honneur de représenter le pays dans une compétition internationale…

« — On ne peut pas dire que ça ait vraiment constitué une surprise. Il y a déjà plusieurs jours que votre équipe avait nettement le vent en poupe, clabauda le journaliste télévisuel. Malgré ça, vous vous sentez d’attaque ?

« — Tout à fait complètement, assura l’officier supérieur.

« — Ça va marcher, alors ?

« — Ça va marcher.

« — Je crois que vous allez avoir un programme chargé…

« — Ouais. On va rencontrer la semaine prochaine l’équipe d’Italie en demi-finale. Après, c’est les Allemands.

« — Oui, commenta le speaker. L’équipe de l’anti-terrorisme de la RFA, c’est considéré comme le gros morceau, en général.

« — C’est le gros morceau. Y faut quand même dire qu’ils ont commencé nettement avant nous. En plus, question matériel, c’est pas sûr qu’on soye encore tout à fait compétitifs, gaffa Crotale.

« — Pour ce qui est du matériel, coupa M. Terrorisme, le handicap devrait être comblé dans les huit jours, notamment par l’apport du tout nouvel ordinateur Bull OCARINA, dont il faut souligner que la conception et la réalisation sont totalement françaises.

« — J'savais pas, s’excusa le lieutenant-colonel Crotale dont les vastes épaules penaudes de militaire sorti du rang s’étaient affaissées nettement.

« — Je me tourne maintenant vers le commissaire divisionnaire-chef onzième échelon Froussard, l’homme qui court plus vite que son gilet pare-balles… et qui a peut-être envie d’ajouter quelque chose, encore que la régie me fasse signe qu’on a déjà dépassé le temps d’antenne. En quelques mots, alors… »

— Le commandant, annonça la voix dans l’écouteur.

— Le Colonel avait quelques courses à faire dans la capitale, monsieur Rameau. Peut-être pourrait-il en profiter pour faire un saut chez vous, demain vers dix-huit heures ?

— Okay, dit le policier.

Froussard s’exprimait avec netteté et précision, de sa voix ferme de baroudeur. Comme d’habitude. Dommage qu’on n’en entendît rien, à cause du générique qui défilait.

— Eh bien, d’accord, commenta le commandant. Je sais que vous êtes très occupé, je vais donc vous abandonner à vos activités.

— C’est ça, dit Rameau.

Il raccrocha.

Petit Facteur se tourna anxieusement vers son pépé.

— Tu crois que ça va marcher ?

— Y a intérêt, ricana le policier.

Pour une fois, son visage ingrat avait l’air occupé à une intense et profonde jubilation.

La porte d’entrée s’ouvrit brutalement dans son dos, sans qu’on eût sonné ni rien. Claqua contre le mur du couloir. Le trio infernal, pensa Rameau. Il eut à peine le temps de se recomposer un faciès sévère à la Edward G. Robinson. Dommage qu’il y manquât le barreau de chaise churchillien.

— Vous pourriez nous filer un coup de main, non ? fit Leila en soulevant un des deux lourds sacs-polochon qu’elle avait aux mains.

— Il n’en est pas question, répondit Rameau.

— On aurait mieux fait de prendre un taxi tout de suite, récrimina la maman du Petit Facteur. Où je les mets ?

— Par terre, on triera après.

Laurent fermait la porte d’entrée d’un coup de talon.

Il en avait plein les bras.

— Qui c’est ? s’enquit Leila en remontant une mèche belliqueuse sur son front emperlé de sueur.

— Mon assistante, dit Rameau, miss Cynthia Forrest.

— Enchantée, sourit Cul de Plomb.

— Ouais, fit Leila.

— Ça vous dérangerait pas que je pose tout ça ? clama Laurent. Merde, je crampe, moi.

— Petite nature, ricana la maman de Petit Facteur.

— Mon M. 16, dit Rameau la main tendue, sa large paume en l’air.

— Attends, j'te le passe, s’affaira Laurent.

— Le Webley, commanda le policier.

— C'que tu es chiant, quand tu t’y mets, observa Leila en retirant l’arme de son blouson.

— Je suppose qu’il vous reste pas une cartouche.

— Pauvre type, méprisa Leila. On n’a même pas tiré un coup.

Rameau remonta placidement la manche gauche de sa chemise en lin.

— Ça va pas, non ? glapit la jeune femme en portant la main à sa joue violacée.

— C’est un commencement, expliqua Rameau, en tant qu’instigatrice principale des faits.

— Papa, tenta de s’interposer Laurent.

— Toi, file dans ta chambre.

— Rameau, s’indigna Cul de Plomb, un peu de modération, voyons. Ces jeunes gens ont cru bien faire, après tout.

— Je vais baffer, annonça équitablement le policier. Je suis ici chez moi et…

— Rameau !

Ce dernier soupira.

Miss Cinthya Forrest porta la main à sa joue gauche. Le blanc mat provisoire correspondant à la grande main du policier et qui ne tarderait pas à virer au rouge pivoine pouvait paraître avoir pour but d’équilibrer le coquard polychrome de sa tempe droite.

— C’est scandaleux, affirma la maman du Petit Facteur en reculant autant que le permettait l’exiguïté de la pièce.

Elle n’en prit pas moins la précaution de se couvrir le bas du visage avec ses doigts.

— Humff, résuma le policier.

Il se planta les poings sur les hanches.

On ne pouvait pas dire que cela accrût sa stature de plus de quelques millimètres. Il balaya le fatras de bagages d’un regard dur, soupçonneux, et parfaitement réprobateur.

— Vous allez me foutre tout ça sur le balcon, pour commencer. Je veux pas savoir d’où ça vient. Vous avez encore du bol que je vous dise pas d’aller tout remettre en place.