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Paul comprit que le flic l’avait emmené ici intentionnellement. Il avait toujours voulu lui proposer ce marché. Il lui glissa une carte de visite dans la poche :

— Mon portable. Retrouvez-la, Nerteaux. C’est votre seule chance de vous en tirer. Sinon, dans quelques heures, c’est vous qui serez la proie.

63

Paul ne prit pas le métro. Aucun flic digne de ce nom ne prend le métro.

Il sprinta jusqu’à la place Gambetta, le long du mur d’enceinte du cimetière, et récupéra sa voiture garée rue Emile-Landrin. Il attrapa son vieux plan de Paris, encore taché de sang, et relut la liste des derniers toubibs.

Sept chirurgiens.

Répartis dans quatre arrondissements de Paris et deux villes de banlieue.

Il marqua leur adresse d’un cercle sur son plan puis prépara l’itinéraire le plus rapide pour les interroger l’un après l’autre, en partant du 20e arrondissement.

Quand il fut certain de la voie à suivre, il fixa son gyrophare et démarra à fond, concentré sur le premier nom.

Docteur Jérôme Chéret.

18, rue du Rocher, 8e arrondissement.

Il mit le cap plein ouest, remonta le boulevard de la Villette, le boulevard Rochechouart, puis celui de Clichy. Il roulait exclusivement dans les couloirs protégés des bus, avalait les pistes cyclables, mordait les trottoirs, et prit même deux fois la circulation à contresens.

En vue du boulevard des Batignolles, il ralentit et appela Naubrel :

— Où tu en es ?

— Je sors des entreprises Matak. Je me suis démerdé avec les mecs de l’Hygiène. Une visite-surprise.

— Alors ?

— Une usine toute blanche, toute propre. Un vrai laboratoire. J’ai vu le caisson à haute pression. Briqué de près : inutile d’espérer la moindre trace. J’ai aussi parlé avec les ingénieurs…

Paul avait imaginé un site industriel, à l’abandon, plein de rouille et de hurlements que personne n’aurait pu entendre. Mais l’idée d’un espace immaculé lui semblait tout à coup plus adaptée.

— Tu as interrogé le patron ? trancha-t-il.

— Ouais. En douceur. Un Français. Il m’a paru blanc-blanc.

— Et plus haut ? Tu es remonté jusqu’aux propriétaires turcs ?

— Le site dépend d’une société anonyme, YALIN AS, elle-même affiliée à une holding enregistrée à Ankara. J’ai déjà contacté la Chambre de Commerce de…

— Magne-toi. Trouve la liste des actionnaires. Et garde en tête le nom d’Azer Akarsa.

Il raccrocha, consulta sa montre : vingt minutes depuis son départ du cimetière.

Au carrefour de Villiers, il braqua violemment à gauche et se retrouva dans la rue du Rocher. Il coupa sa sirène et ses lumières, entrée discrète obligée.

A 11 h 20, il sonnait chez Jérôme Chéret. On le fit passer par une porte dérobée pour ne pas effrayer la clientèle. Le médecin le reçut discrètement dans l’antichambre de sa salle d’opération.

— Juste un coup d’œil, prévint Paul après quelques mots d’explication.

Il s’en tint cette fois à deux documents : le portrait-robot de Sema, le nouveau visage d’Anna.

— C’est la même ? demanda le médecin d’un ton admiratif. Beau boulot.

— Vous la connaissez ou non ?

— Ni l’une ni l’autre. Désolé.

Paul dévala les escaliers, entre tapis rouge et moulures blanches. Une biffure sur son plan et en route. Il était 11 h 40.

Docteur Thierry Dewaele.

22, rue de Phalsbourg, 17e arrondissement.

Même genre d’immeuble, mêmes questions, même réponse.

A 12 h 15, Paul tournait de nouveau la clé de contact quand son portable sonna dans sa poche. Un message de Matkowska : il avait appelé durant la brève entrevue chez le médecin. Derrière ces murs épais de rupins, la connexion ne s’était pas faite. Il rappela aussi sec.

— J’ai du nouveau sur les sculptures antiques, dit Matkowska. Un site archéologique qui regroupe des têtes géantes. J’ai les photos. Ces statues ont des fissures… Exactement les mêmes dessins que les mutilations…

Paul ferma les yeux. Il ne savait pas ce qui l’exaltait le plus : s’approcher d’une folie meurtrière ou avoir eu raison depuis le début. Matkowska poursuivait, d’une voix frémissante :

— Ce sont des têtes de dieux, mi-grecs, mi-perses, qui datent du début de l’ère chrétienne. Le sanctuaire d’un roi, au sommet d’une montagne, en Turquie orientale…

— Où exactement ?

— Au sud-est. Vers la frontière syrienne.

— Donne-moi des noms de villes importantes.

— Attendez.

Il perçut des bruits de feuilles, des jurons étouffés. Il regarda ses mains : elles ne tremblaient pas. Il se sentait prêt, fondu dans une enveloppe de glace.

— Voilà. J’ai la carte. Le site de Nemrut Dağ est proche d’Adiyaman et de Gaziantep.

Gaziantep. Une nouvelle convergence en direction d’Azer Akarsa. « Il possède d’immenses vergers dans sa région natale, près de Gaziantep », avait dit Ali Ajik. Ces vergers étaient-ils situés au pied même de la montagne aux sculptures ? Azer Akarsa avait-il grandi à l’ombre de ces têtes colossales ?

Paul revint sur le point crucial. Il avait besoin de se l’entendre confirmer :

— Et ces têtes rappellent vraiment les visages des victimes ?

— Capitaine, c’est l’hallu. Les mêmes failles, les mêmes mutilations. Y a une statue, celle de Commagène, une déesse de la fertilité, qui ressemble parfaitement au visage de la troisième victime. Pas de nez, le menton raboté… J’ai superposé les deux images. Les fissures d’usure coïncident au millimètre Je ne sais pas ce que ça veut dire mais ça fout les jetons et…

Paul savait par expérience que les indices décisifs, après un long tunnel, pouvaient s’enchaîner en l’espace de quelques heures. La voix d’Ajik, encore une fois : « Il est obsédé par le passé prestigieux de la Turquie. Il possède même sa propre fondation, où il finance des travaux d’archéologie. »

Le golden-boy finançait-il des travaux de restauration sur ce site particulier ? Ces visages ancestraux l’intéressaient-ils pour une raison personnelle ?

Paul s’arrêta, respira un bon coup, puis se posa la question essentielle : Azer Akarsa était-il le tueur principal, le chef du commando ? Sa passion de la pierre antique pouvait-elle s’exprimer jusque dans des actes de torture et de mutilation ? Il était beaucoup trop tôt pour aller si loin. Paul referma son esprit sur cette théorie puis ordonna :

— Tu te concentres sur ces monuments. Essaie de voir s’il n’y a pas eu récemment des travaux de restauration. Si c’est le cas, qui les finance ?

— Vous avez une idée ?

— Peut-être une fondation, oui, mais je ne connais pas son nom. Si tu tombes sur un institut, trouve son organigramme et consulte la liste des principaux donateurs, des responsables. Cherche en particulier le nom d’Azer Akarsa.

De nouveau, il épela le patronyme. Des étincelles de feu lui semblaient jaillir maintenant entre les lettres, comme des pointes de silex.

— C’est tout ? demanda l’OPJ.

— Non, fit Paul à bout de voix. Tu vérifies aussi les visas accordés aux ressortissants turcs depuis novembre dernier. Vérifie si Akarsa n’est pas dedans.

— Mais il y en a pour des heures !

— Non. Tout est informatisé. Et j’ai déjà mis un mec sur le coup des visas, à la VPE. Contacte-le et donne-lui ce nom. Magne-toi.