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Notre orbite autour du Nouveau Soleil avait une période de trois cent deux jours.

Sur la face opposée de Mars, d’étroits sillons linéaires apparurent, longs de plusieurs milliers de kilomètres et disposés en grands arcs, comme des ondes concentriques figées dans la pierre. De plus en plus de stations voyaient leurs galeries menacées et durent être évacuées.

Les plans d’urgence de Wachsler furent mis en œuvre, mais souvent trop tard. Pour tout cela, naturellement, c’est moi qui fus accusée. Avoir poussé Mars à de telles extrémités sans préparation suffisante était une horrible bévue. Aucun mot, pas même criminel, n’était trop fort pour qualifier mon acte.

Sur mes ordres, les Olympiens rescapés désassemblèrent les pinceurs et les éloignèrent de Kaibab pour les mettre en lieu sûr. Certaines pièces furent interceptées par des factions qui en revendiquaient la possession. Aucune de ces factions, par bonheur, n’était capable d’utiliser ce qu’elle avait. Personne n’y comprenait rien. Les Olympiens gardaient un mutisme total, même sous la menace.

Certains furent même emprisonnés.

Je passais une grande partie de mon temps à voler de station en station avec ma navette, à inspecter les sites des séismes et à dispenser les consolations que je pouvais. J’avais à faire face à des comités de plus en plus hostiles. Chaque Martien était devenu un réfugié, même si c’étaient les mêmes quatre murs que par le passé qui l’entouraient.

Les Martiens avaient peur. Ils étaient nombreux à me demander quand nous retournerions chez nous, dans notre Système solaire. Et lorsque je leur répondais que nous ne le ferions probablement jamais, beaucoup se mettaient à pleurer de rage et de désespoir.

Certains me soutenaient encore, mais ils étaient de moins en moins nombreux.

Mars, en surface comme en profondeur, était prise de folie.

Lorsque l’eau se mit à couler des escarpements situés au nord d’Olympus et à inonder les sillons de Cyane, endommageant les labos où mon mari avait travaillé à faire fleurir les cystes mères, je pris la dernière navette présidentielle pour effectuer ma dernière visite officielle dans une zone sinistrée. Dandy et Stephen m’accompagnèrent. Nous nous posâmes d’abord à l’UMS pour y passer la nuit et refaire le plein. Puis nous partîmes vers les sillons.

Quelque chose avait pris vie à l’intérieur de l’énorme volcan, dégageant un vaste aquifère minéral souterrain. L’eau descendait en bouillonnant des pentes nord pour envahir les sillons. Elle avait plusieurs mètres de profondeur sur des centaines de kilomètres de terrain. Au contact des sables mous et de la grésille séculaires, elle libérait d’énormes quantités de gaz carbonique et d’azote. Des lacs de boue effervescente se formaient, s’agitaient puis gelaient. Nous survolâmes ces terrains sombres, surmontés d’épais nuages, en observant les nouvelles îles surgies au milieu des océans de boue.

Seules les terres basses du Sud et les vallées de Cyane avaient été inondées, bien sûr. Mais le labo se trouvait au milieu de l’une de ces vallées, et les dômes de retenue avaient été détruits, laissant quatre cystes mères exposées au nouveau ciel de Mars.

Les collègues de mon mari nous accueillirent à l’arrivée. Le docteur Schovinski, l’ex-assistant d’Ilya, se montra empressé et cordial dans le sas improvisé.

— Il est vrai, madame la présidente, nous dit-il en nous faisant entrer dans une petite pièce où du thé et une collation nous attendaient, que nous avons perdu la plupart de nos dômes, galeries et bâtiments, mais l’expérience a parfaitement réussi. Le savant que je suis vous dit merci, du fond du cœur.

Lorsque nous nous fûmes restaurés rapidement, il nous guida dans une galerie étayée et encore humide jusqu’au labo où les cystes mères fossiles avaient naguère été préparées pour subir des tests sous les dômes. Leurs supports étaient vides.

— Nous les avons sorties à l’air libre, expliqua Schovinski. Si seulement Ilya avait pu voir ça !

Nous revêtîmes des combinaisons pressurisées pour sortir.

Sous un ciel plus clair parsemé de hauts nuages tournoyants de cristaux de glace, l’inondation avait réduit les dômes de retenue à l’état de monceaux de ferraille étincelants. Les lits de terreau soigneusement mis en place avaient été décapés, et il ne subsistait à leur place que des crevasses et des ravines profondes. Dans ces ravines, sous une mince couche de givre qui se formait chaque soir et se dissipait à midi, d’épaisses pousses brunes s’élevaient de deux à trois mètres, donnant naissance à leurs extrémités à des feuilles en éventail.

Schovinski me guida vers une ravine de un mètre de profondeur. Saisissant ma main gantée, il en frappa la tige d’une des pousses qui surgissaient de la boue congelée et vitrifiée. Cette boue se déversait d’une cyste mère craquelée qui se trouvait à six mètres de là.

— Il y a d’abord les ponts-aqueducs, m’expliqua-t-il. Ensuite, nous supposons qu’il existe d’autres formes. La jeune ecos s’assure d’abord un approvisionnement en eau, puis elle s’efforce de réaliser son épanouissement.

L’une des pousses les plus avancées faisait cinq mètres de hauteur et deux d’épaisseur à sa base. Quatre feuilles en éventail en sortaient, déployées sous le Nouveau Soleil. Un globe translucide gros comme une pastèque se cachait à l’ombre de la plus grosse d’entre elles.

Avant même que Schovinski me l’explique, j’avais compris de quoi il s’agissait. Dans quelque temps, le fruit allait devenir énorme et servirait de réservoir à l’aqueduc. Il me semblait qu’une éternité avait passé depuis le jour où Charles m’avait guidée à l’intérieur d’un tel globe à moitié enfoui et fossilisé.

Je résolus de lui montrer cela un jour, quand il serait prêt.

Nous passâmes plusieurs heures à ciel ouvert. Nous eûmes même droit à un commencement de neige. La vue des pousses brunes me procurait une vive joie. J’étais aussi enthousiaste qu’une petite fille. J’essayais de vivre ce moment pour Ilya en même temps que pour moi.

Lorsque nous retournâmes dans les galeries encore intactes de la station, des assistants troublés nous apprirent qu’une demi-douzaine de navettes étaient arrivées d’Amazonis. Un pressentiment de Dandy fit qu’il me poussa rapidement vers notre engin, mais il était trop tard. Nous étions encerclés par un solide mur de citoyens armés.

L’indignation de Schovinski laissa ces vigiles indifférents. L’heure était venue. Ils m’arrêtèrent en m’accusant d’une demi-douzaine de crimes. Le plus grave était celui de trahison. Dandy et Stephen eurent les chevilles et les poignets liés comme des moutons destinés à l’abattoir. Les vigiles au visage sévère – tous des hommes – ne me firent subir que l’indignité mineure, en comparaison, de m’immobiliser les poignets avec un lien gluant.

Ce n’était pas la première fois que cela m’arrivait.

La République Fédérale de Mars avait vécu.

J’ai fixé des limites à mon histoire et je m’y conformerai. Tout ce que j’ai écrit jusqu’à présent concerne uniquement le déplacement de Mars, avec le pourquoi, le comment et le rôle que j’ai joué dans cette affaire. Ce qui vient après, je préfère l’oublier.

Écrire en prison n’est pas aussi commode qu’on le croit.

Je ne demande pas qu’on me pardonne ni même qu’on me juge équitablement. D’une certaine manière, j’ai déjà reçu ma récompense. Mais ce que je demande, en implorant, c’est que Charles Franklin soit traité avec humanité, de même que tous les Olympiens emprisonnés.

C’est grâce à eux que Mars existe encore et que ses gouvernements à venir vont pouvoir continuer de se battre, de discuter et d’accuser.