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— Pour reprendre les expériences ?

— Oui. Et je les ai reprises. Jusqu’à hier, dit-elle en tirant sur sa cigarette.

— C’est comme si vous m’arrachiez une dent, Ilia. Que s’est-il passé hier ?

— Nagorny a disparu.

Voilà. Elle avait lâché le morceau.

— Il a eu une crise particulièrement pénible et il s’est jeté sur moi. Je me suis défendue, et il s’est enfui. Il est quelque part dans le vaisseau. Mais où ? Je n’en ai pas la moindre idée.

Le capitaine réfléchit un long moment. Elle imaginait ce qu’il pouvait se dire. C’était un grand bâtiment, et il y avait des secteurs entiers où on n’avait aucune chance de le retrouver, les capteurs ayant cessé de fonctionner. Et il serait d’autant plus difficile à repérer qu’il se cachait délibérément.

— Vous ne pouvez pas vous permettre de le laisser vagabonder, dit enfin le capitaine. Il faut que vous le retrouviez avant que Sajaki et les autres ne se réveillent.

— Et puis ?

— Vous serez probablement obligée de l’éliminer. Faites ça proprement, et vous pourrez replonger le corps en cryosomnie avant de provoquer une panne de système.

— Pour faire comme si c’était un accident ?

— Oui.

Le visage du capitaine, qu’elle voyait par la vitre du caisson, était rigoureusement atone, comme d’habitude. Il ne pouvait pas plus modifier son expression qu’une statue.

C’était une bonne solution. Une solution que, obnubilée comme elle l’était par le problème, elle n’avait pas été fichue d’envisager toute seule. Jusque-là, elle avait évité la confrontation avec Nagorny parce qu’elle craignait d’être amenée à le tuer. Cette issue semblait inacceptable ; mais, comme toujours, aucune solution n’était inacceptable quand on la considérait sous l’angle voulu.

— Merci, capitaine, répondit Volyova. Vous m’avez beaucoup aidée. Maintenant, avec votre permission, je vais vous recongeler.

— Vous reviendrez, Ilia ? J’aime tellement nos petites conversations.

— Pour rien au monde je ne m’en priverais, dit-elle.

Elle ordonna à son bracelet d’abaisser la température cérébrale du capitaine de cinquante milli-kelvins. Juste assez pour le replonger dans la nuit, une nuit sans rêve, sans pensée consciente. Ou du moins l’espérait-elle.

Volyova prit le temps de finir sa cigarette, se retourna et laissa vagabonder son regard dans la courbe sombre de la coursive. Nagorny pouvait être n’importe où à bord du vaisseau, et il lui vouait une haine farouche. Il était malade, lui aussi, malade de la tête.

Comme un chien enragé, qu’il fallait abattre.

— Je crois que je sais ce que c’est, dit Sylveste, quand le dernier bloc de pierre qui composait la gangue de l’obélisque eut été ôté, révélant les deux mètres du haut de l’objet.

— Alors ?

— C’est une carte du système de Pavonis.

— Quelque chose me dit que vous l’aviez déjà deviné, répondit Pascale.

Elle observa, à travers ses lunettes, le motif complexe composé de deux groupes de cercles concentriques légèrement décalés. La vision stéréoscopique les fondait en un groupe unique qui semblait planer à une certaine distance au-dessus de l’obsidienne. Aucun doute, c’étaient bien des orbites planétaires. Le soleil, Delta Pavonis, occupait le centre. Il était flanqué du glyphe amarantin approprié : une étoile à cinq branches on ne peut plus humaine. Les orbites des principaux corps célestes du système étaient représentées à l’échelle. Près de Resurgam était gravé le symbole amarantin représentant le mot « monde ». L’indexation minutieuse des planètes principales excluait qu’il s’agisse d’un arrangement aléatoire de cercles concentriques.

— Je m’en doutais, répondit Sylveste.

Il était fatigué, mais le travail de la nuit – et les risques pris – valait assurément le coup. L’exhumation du deuxième mètre de l’obélisque avait pris beaucoup plus de temps que celle du premier mètre, et par moments la tempête avait rugi comme un escadron de harpies, prêtes à leur infliger une mort hurlante. Cela dit – comme ça s’était déjà produit et comme ça se reproduirait sûrement –, la tempête n’avait jamais tout à fait atteint la violence annoncée par Cuvier. Maintenant que le pire était passé, et à travers les torrents de poussière qui tombaient encore du ciel telles de sombres draperies, une aurore rose commençait à chasser la nuit. Ils avaient survécu, en fin de compte.

— Ça ne change rien, objecta Pascale. Nous avons toujours su qu’ils connaissaient l’astronomie. Ça prouve seulement qu’à un moment donné, ils ont découvert l’univers héliocentrique.

— Ça en dit bien davantage, fit prudemment Sylveste. Ces planètes ne sont pas toutes visibles à l’œil nu, même en tenant compte de la physiologie amarantine.

— Ils connaissaient donc le télescope.

— Il n’y a pas si longtemps, vous les considériez comme des non-humains de l’âge de pierre. Et vous voilà prête à admettre qu’ils savaient construire des télescopes ?

Il se dit qu’un sourire aurait été de mise, même s’il était difficile à voir avec son masque respiratoire. Au lieu de ça, elle leva les yeux vers le ciel. Quelque chose était passé entre les bermes. Une aile delta brillait sous la poussière.

— On dirait que nous avons de la visite, dit-elle.

Ils remontèrent rapidement l’échelle et ils étaient hors d’haleine en arrivant en haut. Le vent qui avait soufflé avec une telle fureur pendant des heures était un peu retombé, mais il était encore pénible de se déplacer à la surface. Autour du chantier, c’était le désastre. Les projecteurs et les gravimètres gisaient à terre, fracassés.

L’appareil planait au-dessus d’eux en zigzaguant comme s’il cherchait un endroit où se poser. Sylveste vit tout de suite qu’il venait de Cuvier. Il n’y en avait pas d’aussi gros à Mantell. Il n’y avait que peu d’engins volants sur Resurgam. Tous les appareils existants avaient été fabriqués peu après la fondation de la colonie par des cyborgs qui avaient utilisé les matériaux locaux. Mais ils avaient été détruits ou volés au cours de la mutinerie, et les artéfacts que les rebelles avaient laissés derrière eux revêtaient une valeur inestimable pour la colonie, car c’était le seul moyen de franchir les distances de plus de quelques centaines de kilomètres. Les appareils se régénéraient eux-mêmes en cas d’accident mineur et n’exigeaient aucun entretien, mais il en disparaissait constamment, par suite d’imprudences ou de sabotages, et le contingent d’engins volants de la colonie s’amenuisait régulièrement au fil des ans.

C’était une aile delta, dont le dessous, chauffé à blanc, brillait d’une lueur aveuglante : il était couturé de milliers d’éléments thermiques, générateurs de portance. Le contraste lumineux était trop vif pour les algorithmes de Calvin.

— Qui est-ce ? demanda un de ses étudiants.

— Je voudrais bien le savoir, répondit Sylveste.

Mais le fait que cet appareil vienne de Cuvier lui inspirait la plus grande méfiance. Il le regarda descendre, projetant des ombres actiniques sur le sol, puis les éléments chauffants dévalèrent toute la gamme des couleurs du spectre, et l’engin se posa sur ses patins. Au bout d’un moment, une rampe se déploya et un groupe d’hommes en descendirent d’un même pas. Sylveste passa en vision infrarouge et les vit distinctement s’éloigner de l’appareil et venir vers lui. Ils portaient des tenues sombres, des masques respiratoires, des casques et des espèces de cuirasses amovibles, et ils arboraient l’insigne de l’Administration. C’était ce que la colonie comportait de plus proche d’une milice en bonne et due forme. Ils transportaient des choses – des armes longues, à l’air inquiétant, qu’ils tenaient par deux poignées. Une torche était fixée sous chaque canon.