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— Ils auront appris quelque chose grâce à nous, répéta Volyova, comme si elle trouvait cette perspective aussi glorieuse que dérangeante. Ils isolent nos principes d’action et les incorporent dans leurs propres forces.

— On dirait que ça vous fait jubiler, nota Khouri en mangeant une pomme cultivée à bord.

— Et pourquoi pas ? C’est un système élégant. J’en apprendrai bien quelque chose, moi aussi, mais pas de la même façon. Ce qui se passe là-bas est méthodique, infini, et tout ça sans une once d’intelligence, dit-elle, sincèrement admirative.

— Très impressionnant, en effet, confirma Khouri. Une réplication aveugle, sans un poil d’intelligence, mais comme elle se produit simultanément en un milliard d’endroits, ils vont l’emporter sur nous par la seule force du nombre. C’est bien ça, hein ? Vous allez rester assise ici, à tourner et retourner tout ça dans votre tête, et ça ne changera rien au résultat. Tôt ou tard, ils apprendront tous vos trucs.

— Mais pas immédiatement, répondit Volyova avec un mouvement de tête en direction du schéma. Vous croyez que j’aurais été assez bête pour les attaquer du premier coup avec la plus avancée des armes à notre disposition ? On ne fait jamais une chose pareille, à la guerre, Khouri. On ne déploie jamais plus de force ou de ruse contre un ennemi que la situation ne l’exige, de même qu’on ne joue jamais sa meilleure carte en premier au poker. On attend que la mise le justifie.

Puis elle lui expliqua comment les mesures actuellement déployées par son arme étaient en réalité très anciennes, et pas d’une grande sophistication. Elle les avait adaptées de textes anciens trouvés dans la base de données holographique de l’armothèque.

— Ils ont près de trois cents ans de retard sur nous, dit-elle.

— Mais Cerbère rattrape son retard.

— D’accord, mais en réalité, ce genre d’acquis technique est plutôt stable, probablement à cause de la façon irréfléchie avec laquelle nous dispensons nos secrets. Il n’y a pas de sauts intuitifs possibles ; les systèmes amarantins ont évolué de façon linéaire. C’est comme si on essayait de déchiffrer un code par la seule computation brutale. En tout cas, j’ai une idée assez précise du temps qu’il leur faudra pour arriver à notre niveau actuel. Pour le moment, ils nous rattrapent au rythme de dix ans toutes les trois ou quatre heures, temps de bord. Ce qui veut dire que, d’ici moins d’une semaine, les choses vont devenir intéressantes.

— Pourquoi ? Vous trouvez que ça ne l’est pas ? fit Khouri en secouant la tête, avec l’impression – et ce n’était pas la première fois – que bien des choses lui échappaient au sujet de Volyova. Et comment cette escalade doit-elle se dérouler ? Votre arme transporte une copie de l’armothèque ?

— Non ; ce serait trop dangereux.

— D’accord ; autant envoyer un soldat derrière les lignes ennemies avec tous ses secrets. Alors, comment ça se passe ? Les secrets sont transmis à l’arme au moment où elle en a besoin ? C’est tout aussi risqué, non ?

— C’est bien comme ça que ça se passe, mais c’est beaucoup plus sûr que vous ne pensez. Les transmissions sont codées à l’aide d’une clé d’encryptage à usage unique, une chaîne de digits à génération aléatoire qui spécifie le changement à effectuer – s’il faut ajouter zéro ou un à chacun des bits du signal brut. Une fois encrypté, le signal est indéchiffrable sans une copie de la clé. L’arme en a une, évidemment, mais elle est logée dans son cœur, sous des dizaines de mètres de diamant massif, et les liaisons avec les systèmes de commande assembleur sont hyper-sécurisées. Il n’y a aucun risque que la clé tombe entre des mains ennemies même si l’arme était attaquée ou détournée. Dans ce cas, je n’aurais qu’à m’abstenir de toute transmission.

Khouri acheva de grignoter le trognon de sa pomme.

— Il y a donc un moyen, dit-elle après réflexion.

— Un moyen de quoi ?

— De mettre fin à tout ça. C’est bien ce que nous voulons, n’est-ce pas ?

— Vous ne pensez pas que les dégâts sont déjà faits ?

— Nous n’avons aucun moyen d’en être sûrs, mais à supposer qu’ils ne l’aient pas été ? Après tout, nous n’avons encore vu qu’une strate de camouflage. Stupéfiante, d’accord, et comme il s’agit d’une technologie non humaine, nous aurions beaucoup à en apprendre, mais nous ne savons toujours pas ce qu’elle cache, dit-elle avec emphase, en ponctuant son propos d’un coup sur son siège qui fit sursauter Volyova, ainsi qu’elle le constata avec satisfaction. Nous n’avons pas encore atteint la chose proprement dite ; nous ne l’avons même pas encore aperçue, et nous ne la verrons pas avant que Sylveste n’y arrive en personne.

— Nous l’empêcherons de partir, fit Volyova en tapotant le lance-aiguilles passé à sa ceinture. Nous contrôlons la situation, à présent.

— Vous prendriez le risque de nous faire tous tuer s’il déclenche la chose qu’il a dans les yeux ?

— Pascale a dit que c’était du bluff.

— Ouais, et je suis sûre qu’elle le croit.

Khouri n’eut pas besoin d’en dire davantage. Volyova hocha lentement la tête ; elle avait compris.

— Il y a un meilleur moyen, poursuivit Khouri. Laissons partir Sylveste s’il y tient absolument, mais faisons en sorte qu’il ait du mal à entrer.

— Ce qui signifie…

— Je vais le dire, si vous ne voulez pas le faire. Nous devons le laisser mourir, Volyova. Nous devons laisser gagner Cerbère.

29

Système Cerbère-Hadès,
héliopause de Delta Pavonis, 2566

— Tout ce que nous savons, dit Sylveste, c’est que l’arme de Volyova a pénétré sous l’enveloppe extérieure de la planète. Elle est peut-être au niveau occupé par les machines que j’ai vues lors de ma première exploration.

Quinze heures avaient passé depuis l’ancrage de la tête de pont, et Volyova n’avait encore rien fait. Elle avait jusqu’alors refusé d’envoyer ses premiers mouchards mécaniques.

— Ces machines sont manifestement consacrées à l’entretien de la croûte. Elles assurent sa réparation quand elle est endommagée, elles maintiennent l’illusion de réalisme et elles collationnent la matière brute s’il en arrive. Et puis elles constituent la première ligne de défense.

— Mais qu’y a-t-il dessous ? demanda Pascale. Nous n’avons pas bien vu, la nuit où tu as été attaqué, et je doute que les machines reposent simplement sur un lit de roche, qu’il y ait une vraie planète rocheuse sous cette enveloppe mécanique.

— Nous le saurons bien assez tôt, fit Volyova, les lèvres pincées.

Ses mouchards étaient d’une simplicité risible ; les robots que Sylveste et Calvin avaient utilisés lors des travaux initiaux sur le capitaine étaient beaucoup plus perfectionnés. Volyova avait pour principe de ne pas laisser approcher de Cerbère une technologie plus sophistiquée que ne l’exigeaient les tâches en cours. La tête de pont pouvait en fabriquer des quantités, et cette prodigalité compenserait leur manque d’intelligence. Ils étaient gros comme le poing, munis des organes de locomotion nécessaires pour se déplacer et des yeux qui justifiaient leur existence, mais ils n’avaient pas de cerveau, pas même un réseau élémentaire de quelques milliers de neurones ou le genre d’encéphale qui ferait passer pour génial le plus primitif des insectes. À la place, ils avaient de petites filières qui extradaient de la fibre optique enrobée d’une gaine. Les drones étaient opérés par la tête de pont ; tout ce qu’ils voyaient, toutes les commandes transitaient par ce câble, qui assurait la discrétion quantique.