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— S’il voulait nous tuer…

— Il l’aurait déjà fait ? Il se peut qu’il ait déjà essayé, Khouri. Des parties entières du bâtiment n’obéissent plus au contrôle central, ce qui veut dire que le Voleur de Soleil est limité dans ses actions. Il a pris possession d’un semi-cadavre lépreux, et plus qu’hémiplégique.

— Très poétique. Et qu’est-ce que ça veut dire pour nous ?

Volyova alluma une nouvelle cigarette ; elle en avait déjà fumé une jusqu’au bout.

— Ça veut dire qu’il va essayer de nous éliminer, mais comment ? C’est difficile à prévoir. Il ne peut pas dépressuriser tout le bâtiment ; il n’existe pas de canaux de commande qui le permettent – même moi, pour y arriver, il faudrait que j’ouvre physiquement toutes les écoutilles, ce qui m’obligerait à neutraliser des milliers de sécurités électromécaniques. Il aurait probablement du mal à inonder une zone plus vaste que le sas. Mais il trouvera quelque chose, j’en suis sûre.

Soudain, instinctivement, elle s’empara du lance-projectiles et le braqua vers les sombres profondeurs de la coursive inondée qui menait au sas.

— Qu’y a-t-il ?

— Rien, répondit Volyova. J’ai peur, Khouri, c’est tout. Incroyablement peur. Je n’ose espérer que vous ayez une suggestion à faire…

Si, en réalité, elle en avait une :

— Nous ferions mieux de trouver Pascale. Elle ne connaît pas le bâtiment aussi bien que nous. Et si ça tourne mal…

Volyova tira une dernière bouffée de sa cigarette et écrasa le mégot sur le canon de son arme.

— Vous avez raison ; il faut que nous restions groupées. Et c’est ce que nous allons faire. Dès que…

Quelque chose émergea à grand bruit de l’obscurité et s’arrêta à dix mètres d’eux.

Volyova pointa immédiatement son arme dans sa direction, mais ne tira pas. Un instinct lui dit que la chose n’était pas venue les tuer, ou du moins pas encore. C’était l’un des drones asservis que Sylveste avait utilisés lors de l’opération avortée destinée à guérir le capitaine ; un modèle au cerveau rudimentaire, principalement commandé par le vaisseau.

Ses optiques montées sur rotules se rivèrent sur elles.

— Il n’est pas armé, soupira Volyova, en réalisant qu’il était inutile de chuchoter. Je pense qu’il a été simplement envoyé pour voir ce que nous faisions. C’est l’une des parties aveugles du vaisseau ; l’un de ses angles morts.

Les capteurs du drone effectuaient de petits mouvements de rotation d’un côté et de l’autre, comme s’il réalisait la triangulation de leurs positions exactes. Puis il recula et disparut dans l’obscurité.

Khouri tira dessus.

— Pourquoi avez-vous fait ça ? demanda Volyova lorsque les échos assourdissants de la détonation se furent estompés, et qu’elle ne se sentit plus obligée de plisser les yeux, aveuglée par l’explosion de la machine. Quoi qu’il ait vu, il l’avait déjà transmis au bâtiment. Il était inutile de l’éliminer.

— Je n’aimais pas sa façon de me regarder, répondit Khouri. Et puis… ajouta-t-elle en se renfrognant, ça en fera au moins un dont nous n’aurons pas à nous soucier.

— Oui, répondit Volyova. Et compte tenu de l’allure à laquelle le bâtiment peut fabriquer un drone aussi simple, il l’aura remplacé d’ici dix ou vingt secondes.

Khouri la regarda comme si elle venait de raconter une blague dont elle n’avait pas compris la chute. Mais Volyova était sérieuse. Elle venait de remarquer une chose qui l’avait beaucoup plus glacée que l’apparition du drone. Il était logique, après tout, que le vaisseau se rabatte sur des drones pour ses opérations de collecte sensorielle. Logique aussi qu’il expérimente divers moyens de les équiper afin d’éliminer les derniers passagers et membres de l’équipage. Elle aurait fini par s’en douter, tôt ou tard. Mais pas ça. Pas ce qui était fugitivement apparu au-dessus du suintement de mécabave, pendant la fraction de seconde qu’il avait fallu aux yeux rouges d’un rongeur pour la repérer avant de pointer sa queue vers elle et de repartir à la nage dans le noir.

Elle venait de se rappeler que c’était le bâtiment qui contrôlait les rats-droïdes.

Lorsque Sylveste revint à lui – il mit un bref instant à se rappeler quand il avait perdu conscience au juste –, il était entouré par un aréopage d’étoiles brouillées. Elles se livraient à une danse très complexe, et s’il ne s’était déjà senti nauséeux, il était sûr que cette seule vision lui aurait mis le cœur au bord des lèvres. Que faisait-il là ? Et pourquoi se sentait-il tellement bizarre, comme s’il était enroulé dans du coton ? Il était dans un scaphandre, voilà ce qui se passait. Un scaphandre comme celui qui les avait amenés, Pascale et lui, depuis Resurgam. Et ce scaphandre obligeait ses poumons à respirer, au lieu d’air, le fluide dont il était empli.

— Que se passe-t-il ? demanda-t-il en sous-vocalisant.

Il savait que le scaphandre le comprendrait, grâce au simple réseau audio intégré à son casque.

— Je me retourne, l’informa le scaphandre. Inversion au point médian de la trajectoire.

— Mais où on est, putain ! ?

Il avait du mal à faire le tri dans ses souvenirs. Autant chercher le bout d’une corde emmêlée. Il n’avait pas idée de l’endroit par où il devait commencer.

— À plus d’un million de kilomètres du bâtiment ; un peu moins de Cerbère.

— Nous avons fait tout ce chemin comme ça… Non, attendez ! Je n’ai pas idée du temps que ça fait.

— Nous sommes partis il y a soixante-quatorze minutes. (À peine plus d’une heure, se dit Sylveste. Enfin, même si le scaphandre lui avait dit que ça faisait une journée, il l’aurait admis sans discussion.) Notre accélération moyenne était de dix g. Le triumvir Sajaki m’a ordonné de faire très vite.

Oui, il se souvenait, maintenant : l’appel de Sajaki en pleine nuit, la course précipitée vers les scaphandres. Il avait laissé un message à Pascale, mais il en avait oublié les détails. C’avait été sa seule concession, le seul luxe qu’il s’était accordé. De toute façon, même s’il avait eu des jours pour se préparer à l’entrée dans la planète, il n’aurait pas pu faire grand-chose. Il n’avait pas besoin de documentation particulière ou de matériel d’enregistrement, puisqu’il avait accès à la bibliothèque et aux capteurs intégrés au scaphandre. Les scaphandres étaient armés et capables de se défendre de façon autonome, selon ces mêmes modes d’attaque que l’arme de Volyova était en train d’expérimenter. Ils pouvaient aussi fabriquer des instruments scientifiques, ou se munir de compartiments pour le stockage des échantillons. À part ça, ils étaient aussi autonomes qu’un vaisseau spatial. Il réalisa avec un choc qu’il raisonnait mal : les scaphandres étaient des vaisseaux spatiaux à une place, flexibles, capables de se changer en navette atmosphérique et si nécessaire en engin roulant de surface. Raisonnablement, il n’aurait pu rêver mieux pour pénétrer dans Cerbère.

— Je me réjouis d’avoir dormi pendant l’accélération, dit Sylveste.

— Vous n’aviez pas le choix, répondit le scaphandre avec une indifférence manifeste. Votre conscience était annihilée. Maintenant, veuillez vous préparer à la phase de décélération. Vous vous réveillerez lorsque nous serons sur le point d’arriver à destination.