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Mais il y avait quelque chose qui n’allait pas.

Où était Sajaki ?

— Que lui est-il arrivé ? demanda Sylveste en espérant que son scaphandre interpréterait avec succès la question. Où est-il passé ?

— Il s’est heurté à un système de défense autonome, répondit le scaphandre comme s’il commentait le bulletin météo de la matinée.

— Merci. Je m’en étais bien rendu compte, mais où est Sajaki ?

— Son scaphandre a subi des dommages critiques au cours de l’action d’évasion. Les données télémétriques cryptées font état de dégâts extensifs et peut-être irréparables aux unités de poussée primaire et secondaire.

— Je t’ai demandé où il était ?

— Son scaphandre n’a pas réussi à réduire la vitesse de sa chute et à contrer la force de Coriolis qui le poussait vers la paroi. Les données télémétriques partielles indiquent qu’il se trouve à quinze kilomètres vers le bas et continue à tomber, avec une dérivée vers le bleu par rapport à votre position d’un kilomètre virgule un à la seconde, et qui va croissant.

— Il tombe toujours…

— Étant donné que ses unités de propulsion ne fonctionnent plus, et qu’il est dans l’incapacité d’extruder à cette vitesse un monofilament de rappel, il tombera jusqu’à ce qu’il ne puisse aller plus bas, c’est-à-dire lorsqu’il rencontrera le fond du puits.

— Ça veut dire qu’il va mourir ?

— À la vitesse terminale prévue, la survie est exclue selon tous les modèles mathématiques, sinon en tant que limite statistique extrême.

— Une chance sur un million, traduisit Calvin.

Sylveste s’inclina afin de regarder à la verticale dans le puits. Quinze kilomètres de profondeur, plus de sept fois la largeur de ce puits dont les parois étaient tellement éloignées qu’elles n’éveillaient aucun écho. Il regarda, regarda, tout en continuant à tomber lui-même… et crut entrevoir un ou deux éclairs, à la limite extrême de sa visibilité. Il se demanda si ces éclairs étaient des étincelles provoquées par le frottement du scaphandre de Sajaki heurtant la paroi, dans cette chute qu’il ne pouvait stopper. S’il avait bien vu quelque chose, c’était de plus en plus faible à chaque fois, et bientôt il cessa de voir quoi que ce soit en dehors des parois ininterrompues du puits.

36

Orbite de Cerbère-Hadès, 2567

— Vous avez appris quelque chose, avança Pascale. Le Voleur de Soleil vous a dit quelque chose. Et depuis, vous vous efforcez désespérément de l’arrêter.

Elle s’adressait à Volyova, qui avait commencé à se sentir un peu moins vulnérable depuis que la navette avait dépassé le turnover, à mi-chemin de Cerbère et du point où elle avait accru la poussée à quatre g. Maintenant, alors que la flamme de la propulsion pointait en sens inverse du gobe-lumen qui les poursuivait, elles formaient une cible plus discrète. L’inconvénient, bien sûr, c’était que la flamme de la propulsion était maintenant pointée vers Cerbère, ce qui risquait d’être interprété comme un signe d’hostilité par la planète, si elle n’avait pas déjà reçu le message selon lequel ses intérêts étaient le dernier souci de ses visiteurs humains.

Mais elles n’y pouvaient rien. Rien du tout.

Le gobe-lumen croisait maintenant à l’allure confortable de 6 g ; assez pour réduire inexorablement la distance qui le séparait de la navette et se trouver à portée de tir mortel en cinq heures. Le Voleur de Soleil aurait pu pousser encore l’allure, ce qui laissait imaginer qu’il n’avait pas fini d’explorer les limites de la propulsion. Non qu’il se souciât particulièrement de sa propre survie, se disait-elle, mais si le gobe-lumen était détruit, la tête de pont n’y survivrait pas longtemps. Et bien que Sylveste soit maintenant à l’intérieur, peut-être avait-il besoin de savoir que l’objectif avait été atteint, ce qui exigeait probablement que la blessure dans la croûte reste encore un moment ouverte, afin de permettre l’envoi d’un signal dans l’espace extérieur. Elle ne croyait pas un instant que les plans du Voleur de Soleil prévoyaient le retour de Sylveste sain et sauf.

— C’était ce que la Demoiselle m’a montré ? La chose que je n’ai jamais réussi à voir clairement dans ma tête – c’était ça ? demanda Khouri.

Elle supportait l’accélération depuis des heures, maintenant, et elle parlait d’une voix de vieille pocharde.

— Je me demande si nous le saurons jamais avec certitude, répondit Volyova. Tout ce que je sais, c’est ce qu’il m’a montré. Je crois que c’était la vérité, mais je doute que nous le sachions vraiment un jour.

— Vous pourriez commencer par me dire ce que c’était, insista Pascale. Après tout, je suis la seule de nous trois à ne pas le savoir. Ensuite, vous pourrez vous bagarrer entre vous pour les détails.

La console émit un signal, comme elle l’avait fait une ou deux fois au cours des dernières heures, pour annoncer qu’un faisceau radar émis par le gobe-lumen venait de les intercepter par l’avant. Ce n’était pas une information particulièrement intéressante pour le moment, dans la mesure où la lumière mettait encore quelques secondes à parcourir la distance qui séparait le vaisseau et la navette ; il suffirait à cette dernière de deux poussées latérales pour quitter la position à laquelle elle avait été repérée par le radar. Toutefois, c’était agaçant, parce que ça confirmait que le gobe-lumen les poursuivait bel et bien, et qu’il essayait d’obtenir une position assez précise pour ouvrir le feu. Cette occasion ne se présenterait pas avant des heures, mais les intentions du bâtiment étaient d’une évidence sinistre.

— Je vais partir de ce que je sais, répondit Volyova en inspirant profondément. À une époque, la galaxie était beaucoup plus peuplée qu’aujourd’hui. On y trouvait des millions de civilisations, même si une poignée seulement avaient tiré le gros lot. En réalité, elle était exactement aussi peuplée que tous les modèles prospectifs disent qu’elle devrait l’être de nos jours, en fonction du taux d’occurrence des étoiles de type G et des planètes de type terrestre sur l’orbite voulue pour qu’on y trouve de l’eau à l’état liquide. (Elle s’égarait, mais Pascale et Khouri décidèrent de ne pas l’interrompre.) Ça a toujours été un paradoxe majeur : la vie a l’air beaucoup plus répandue sur le papier que dans la réalité. Les théories qui définissent l’échelle de développement de l’intelligence sont beaucoup plus difficiles à quantifier, mais elles souffrent du même problème, ou à peu près : elles prédisent trop de civilisations.

— D’où le paradoxe de Fermi, intervint Pascale.

— Le quoi ? demanda Khouri.

— La vieille dichotomie entre la relative simplicité du vol interstellaire, surtout pour des émissaires robotisés, et l’absence complète d’émissaires issus de civilisations non humaines. La seule conclusion logique est qu’il n’y avait personne pour les envoyer, à aucun endroit de la galaxie.

— Mais la galaxie est un endroit gigantesque, répondit Khouri. Ne se pourrait-il qu’il y ait des civilisations ailleurs, et que nous ne le sachions pas encore, voilà tout ?