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— Ça ne marche pas, répondit Volyova avec emphase, Pascale hochant la tête en signe d’assentiment. La galaxie est vaste, mais pas tant que ça, et elle est aussi très ancienne. Qu’une civilisation décide de lancer des sondes, et tout le monde dans la galaxie aurait été au courant en quelques millions d’années. Or la galaxie est plusieurs milliers de fois plus vieille que ça. D’accord, plusieurs générations d’étoiles auraient vécu et se seraient éteintes avant qu’il y ait assez d’éléments lourds pour favoriser l’émergence de la vie, mais même si des civilisations créatrices de machines n’émergeaient que tous les quelques millions d’années, elles auraient des milliers d’années pour dominer la galaxie entière.

— À quoi il y a toujours eu deux réponses, dit Pascale. D’abord, elles sont là, mais nous ne les avons tout simplement pas remarquées. C’était peut-être concevable il y a quelques centaines d’années, mais personne ne peut plus y croire aujourd’hui, alors qu’on a cartographié chaque centimètre carré de toutes les ceintures d’astéroïdes d’une centaine de systèmes à peu près.

— Alors, c’est peut-être qu’elles n’ont jamais existé ?

Pascale eut un mouvement de tête en direction de Khouri.

— Argument parfaitement défendable jusqu’à ce que nous en sachions plus long sur la galaxie, qui commence à avoir l’air bizarrement douée pour engendrer la vie, au moins dans ses principes de base. C’est ce que Volyova vient de dire : les bons types d’étoiles et de planètes au bon endroit. Et les modèles biologiques plaideraient encore en faveur d’un taux d’occurrence plus élevé, jusqu’aux civilisations intelligentes.

— C’est donc que les modèles ont tout faux, répondit Khouri.

— Eh bien, probablement pas, objecta Volyova. À partir du moment où nous avons conquis l’espace, une fois que nous avons quitté le Premier Système, nous avons commencé à trouver des civilisations disparues un peu partout. Elles s’étaient toutes éteintes il y a au moins un million d’années, et certaines bien avant. Mais tout ça prouvait bien une chose : la galaxie était beaucoup plus féconde autrefois. Alors, pourquoi ne l’est-elle plus ? Pourquoi nous y retrouvons-nous soudain tellement seuls ?

— La guerre, répondit Khouri.

Elles restèrent un moment silencieuses.

Puis Volyova reprit la parole, doucement, avec révérence, comme si elles parlaient de quelque chose de sacré.

— Eh oui, dit-elle. La Guerre de l’Aube. C’est comme ça qu’ils l’ont appelée, n’est-ce pas ?

— Ça, je m’en souviens.

— Quand a-t-elle eu lieu ? demanda Pascale.

Volyova éprouva une brève bouffée de sympathie pour elle, coincée entre deux femmes à qui il avait été accordé d’entrevoir quelque chose d’extraordinaire, et qui étaient moins intéressées par son approche que par l’exploration de leurs lacunes réciproques, par l’envie de mettre le doigt sur les doutes et les idées fausses de l’autre. Et ça, Pascale ne s’en doutait pas ; pas encore.

— C’était il y a un million d’années, répondit Khouri, Volyova la laissant poursuivre : La guerre a absorbé toutes ces civilisations et les a recrachées sous des formes très différentes de celles qu’elles avaient au départ. Je ne pense pas que nous puissions vraiment comprendre de quoi il s’agissait, ni qui, ou ce qui a survécu au juste – si ce n’est que ça ressemblait plus à des machines qu’à des créatures vivantes, mais des machines aussi éloignées de tout ce que nous pouvons imaginer que nos propres machines sont éloignées des outils de l’âge de pierre. Cela dit, elles avaient un nom, ou on leur en avait donné un – je ne me souviens plus très bien des détails. Je me souviens seulement de leur nom.

— Les Inhibiteurs, souffla Volyova.

Khouri hocha la tête.

— Et ce nom, ils ne l’avaient pas volé.

— Pourquoi ?

— À cause de ce qu’ils ont fait après, répondit Khouri. Pas pendant la guerre, mais par la suite. C’était comme s’ils s’étaient investis dans une mission, fixé une règle, une discipline. La Guerre de l’Aube avait été provoquée par la vie intelligente, organique. Or elle était devenue tout autre chose ; une sorte de post-intelligence, je dirais. Quoi qu’il en soit, ça leur facilita beaucoup la tâche.

— Quelle tâche ?

— L’inhibition. Au sens littéral du terme : ils inhibaient l’émergence de civilisations intelligentes dans la galaxie, afin d’empêcher à jamais une nouvelle Guerre de l’Aube.

Volyova prit le relais :

— Ils ne se contentèrent pas d’annihiler toutes les civilisations qui auraient pu survivre à la guerre. Ils intervinrent aussi sur les conditions qui auraient pu favoriser l’émergence d’une nouvelle vie intelligente. Sans aller jusqu’à l’ingénierie stellaire ; je pense que ç’aurait été une interférence trop radicale, une ingérence par trop contraire à leurs propres restrictions mentales. Mettons une inhibition à une échelle moins vaste. Quelque chose de faisable sans intervention sur l’évolution des étoiles, sinon dans des cas extrêmes : par exemple, la modification des orbites cométaires afin que les épisodes de bombardement planétaire durent beaucoup plus longtemps que la norme. La vie aurait probablement trouvé des niches où survivre – dans les profondeurs, ou autour des évents hydrothermaux –, mais elle ne serait jamais devenue très complexe ; en tout cas, il ne risquait pas d’en sortir quoi que ce soit de menaçant aux yeux des Inhibiteurs.

— Vous avez dit que ça s’est passé il y a un milliard d’années, reprit Pascale. Mais pendant ce temps-là, nous avons fait du chemin ; nous avons évolué, depuis les organismes unicellulaires jusqu’à l’homo sapiens. Nous serions donc passés entre les mailles du filet ?

— Absolument, répondit Volyova. Parce que le filet était en train de se désagréger.

Khouri acquiesça.

— Les Inhibiteurs ont parsemé la galaxie de machines conçues pour détecter l’émergence de la vie et l’anéantir. Ça a longtemps marché comme prévu ; c’est pour ça que la galaxie ne grouille pas de vie, bien que toutes les conditions préalables paraissent réunies. Enfin, je parle comme si j’y connaissais quelque chose ! fit-elle en secouant la tête.

— C’est peut-être le cas, répondit Pascale. Quoi qu’il en soit, je veux entendre ce que vous avez à dire. Tout.

— D’accord, d’accord, fit Khouri en se tortillant sur sa couchette, essayant sans doute de faire ce que Volyova faisait depuis une bonne heure au moins : alléger la pression sur les escarres qu’elle avait déjà un peu partout. Leurs machines ont bien travaillé pendant quelques centaines de millions d’années, répéta-t-elle. Et puis ça s’est gâté. Elles ont commencé à se détraquer. Elles ne fonctionnaient pas aussi efficacement que prévu. Des civilisations intelligentes ont commencé à émerger, qui auraient, normalement, été étouffées dans l’œuf.

Un observateur aurait lu sur le visage de Pascale qu’elle venait de faire le lien.

— Comme les Amarantins…

— Exactement, acquiesça Volyova. Ce n’est pas la seule civilisation qui est passée au travers, mais il se trouve que les Amarantins étaient nos voisins, dans la galaxie, et c’est pourquoi leur sort a eu un tel impact sur nous. Il n’y avait peut-être pas de système Inhibiteur pour surveiller Resurgam, soit qu’il n’ait jamais existé, soit qu’il ait cessé de fonctionner depuis longtemps lorsqu’ils accédèrent à l’intelligence. Quoi qu’il en soit, leur civilisation a, plus tard, fait la conquête de l’espace interstellaire sans attirer l’attention des Inhibiteurs.

— Le Voleur de Soleil.

— Oui. Il a emmené les Bannis avec lui dans l’espace et les a changés, biologiquement et mentalement, jusqu’à ce qu’ils n’aient plus grand-chose à voir, en dehors de la lignée et du langage, avec les Amarantins qui étaient restés chez eux. Ensuite, bien sûr, ils ont exploré leur système solaire jusqu’à ses confins, et plus tard, au-delà.