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Volyova revint à elle, réveillée par la sirène d’alarme du radar : le Spleen s’apprêtait à réarmer ses lasers à ondes gravitationnelles. Ce qui ne lui prendrait pas plus de quelques secondes, même en intégrant une manœuvre d’évasion aléatoire. Elle regarda l’indicateur d’intégrité de la coque et constata qu’il ne leur restait plus que quelques millimètres de métal sacrifiable, que les canons à poudrin étaient vides et qu’elles ne pouvaient raisonnablement espérer supporter plus d’une ou deux frappes supplémentaires avec les lasers.

— Nous sommes toujours là ? demanda Khouri, comme si elle n’en revenait pas de pouvoir encore formuler cette question.

Une frappe de plus et la coque commencerait à se dépressuriser par une douzaine d’endroits, sinon à se vaporiser spontanément. Il faisait maintenant une chaleur à crever. Le feu des premiers balayages avait été efficacement dissipé, mais le dernier n’avait pas été aussi facile à parer, et son énergie mortelle s’était insinuée à l’intérieur.

— Dans la chambre-araignée, vite ! s’écria Volyova en réduisant momentanément la poussée pour leur permettre de se déplacer. L’isolation vous permettra de survivre aux prochains tirs !

— Non ! répondit Khouri en hurlant. Impossible ! Au moins, ici, nous avons une chance !

— Elle a raison, approuva Pascale.

— Vous avez encore une chance dans la chambre-araignée, argumenta Volyova. Une meilleure, en fait. D’abord, c’est une cible plus petite. Le bâtiment devrait viser la navette de préférence, et peut-être même ignore-t-il que la chambre-araignée n’est pas un fragment d’épave.

— Et vous ?

— Vous croyez que je suis du genre à me sacrifier héroïquement, Khouri ? répondit-elle, furieuse. J’irai dedans ; avec ou sans vous. Mais je dois d’abord programmer un schéma de vol – à moins que vous ne pensiez pouvoir le faire.

Khouri hésita, comme si l’idée n’était pas complètement absurde. Puis elle déboucla son harnais, pointa le pouce vers Pascale et se mit à courir comme si sa vie en dépendait.

Ce qui était probablement le cas, d’ailleurs.

Volyova fit ce qu’elle avait annoncé : elle chargea le schéma d’évasion le plus ahurissant qu’elle avait pu imaginer, un schéma auquel elle n’était même pas sûre qu’elles survivraient, ses compagnes et elle, avec des pics de poussée excédant 15 g pendant des secondes entières. Mais quelle importance, au point où elles en étaient ? Quelque part, l’idée de mourir sans s’en rendre compte, dans la torpeur chaude, visqueuse, de l’anéantissement induit par l’accélération, était préférable à la perspective de finir brûlée vive par la chaleur invisible des rayons gamma.

Empoignant le casque qu’elle portait quand elle était montée à bord de la navette, elle s’apprêta à rejoindre les autres en égrenant mentalement le compte à rebours qui précédait l’initiation du programme d’évasion.

Khouri était à mi-chemin de la chambre-araignée quand la vague de chaleur la gifla, puis il y eut le bruit horrible de la coque vomissant son dernier fantôme. La lumière de la soute s’éteignit alors que la grille d’énergie de la navette s’effondrait sous la violence de l’attaque. Mais l’intérieur de la chambre-araignée était encore sous tension, et l’on voyait, par les hublots, son invraisemblable décor de peluche rouge.

— Pascale ! Vite ! hurla Khouri pour couvrir les râles d’agonie de la navette.

Il faut croire qu’elle l’entendit, malgré le vacarme assourdissant – on aurait dit un concerto d’instruments de métal déchiqueté –, en tout cas elle réussit à entrer dans la chambre-araignée juste au moment où un choc effroyable ébranlait la coque (ou ce qui en restait). La chambre-araignée avait fait sauter les amarres fixes à l’aide desquelles les cyborgs de Volyova l’avaient bloquée.

Au même instant, dans un autre secteur de la navette, Khouri entendit un terrible hurlement d’air fuyant dans le vide. Elle se sentit happée, incapable d’avancer. La chambre-araignée se mit à tanguer et à virer, ses pattes fouettant l’air, esquissant de grands mouvements désordonnés. Elle voyait Pascale, par la vitre avant, mais celle-ci ne pouvait rien faire pour l’aider ; elle connaissait encore moins que Khouri les commandes de la chambre.

Elle regarda en arrière, priant pour que Volyova les ait suivies et qu’elle sache quoi faire, mais elle ne vit rien, que la coursive d’accès, vide, et cet horrible courant d’air qui fuyait, l’aspirant.

— Ilia…

Cette imbécile avait fait juste ce qu’elles craignaient, et le contraire de ce qu’elle leur avait promis : elle était restée en arrière.

Dans la maigre lumière restante, Khouri vit frémir la coque, et soudain le courant d’air qui l’aspirait hors de la chambre-araignée perdit de sa violence : il était compensé par une décompression tout aussi forte provenant du milieu de la soute. Elle regarda dans cette direction, les yeux déjà voilés par le froid glacial qui la saisissait, et elle tomba dans une faille qui venait de s’ouvrir dans la coque…

— Mais… où…

Pourtant, à la seconde où elle ouvrit la bouche, Khouri sut où elle était : dans la chambre-araignée. Elle ne pouvait s’y tromper ; pas après tout le temps qu’elle y avait passé. L’endroit était confortable ; chaud, sûr, silencieux ; un autre monde par rapport à celui où elle se trouvait, au point qu’elle ne se souvenait de rien d’autre. Elle avait mal – et même très mal – aux mains, mais, à part ça, elle se sentait mieux qu’elle n’aurait dû, son dernier souvenir étant qu’elle tombait dans l’espace vide et nu, depuis le ventre d’un vaisseau agonisant…

— Nous y sommes arrivées, dit Pascale, dont quelque chose dans la voix était pourtant rien moins que triomphant. N’essayez pas de bouger ; pas encore – vous vous êtes gravement brûlé les mains.

— Brûlé… les mains ? coassa Khouri.

Elle était allongée sur l’une des banquettes de velours ménagées le long des deux parois de la chambre, la tête appuyée sur l’accoudoir de cuivre capitonné d’un des deux bouts.

— Que s’est-il passé ?

— Le souffle d’air vous a attirée contre la chambre-araignée et vous vous êtes cognée. Je ne sais pas comment vous avez réussi à ramper sur la paroi jusqu’au sas ; vous êtes restée dans le vide pendant cinq ou six secondes au moins. Le métal s’est refroidi tellement vite que vous vous êtes gelé les mains à l’endroit où vous l’avez touché.

— Je ne me souviens de rien.

Mais ça devait être vrai ; il lui suffisait de regarder ses paumes pour en avoir la preuve.

— Vous vous êtes évanouie en montant à bord. On ne peut pas vous en vouloir, dit Pascale d’un ton sobre et modéré, comme si tout ce que Khouri avait fait était sans importance.

Et Khouri se dit qu’elle avait probablement raison. Ce qui pouvait leur arriver de mieux était de réussir à poser la chambre-araignée sur Cerbère. Elles verraient bien combien de temps elles tiendraient contre les défenses de la croûte. Ce serait intéressant, à défaut d’autre chose. Sinon, elles connaîtraient la lente agonie de l’attente, jusqu’à ce que le gobe-lumen les trouve et les élimine, ou qu’elles meurent de froid ou d’asphyxie, quand leurs réserves seraient épuisées. Elle se creusa la tête et essaya de se souvenir du temps où Volyova avait dit que la chambre-araignée était de taille à survivre…

— Ilia…

— Elle n’a pas réussi à nous rejoindre à temps, répondit Pascale. Elle est morte. J’ai vu quand c’est arrivé. À la seconde où vous êtes montée à bord, la navette a explosé.

— Vous pensez que Volyova a fait ça délibérément, pour que nous, au moins, nous ayons une chance ? Afin qu’on nous prenne pour un fragment d’épave, comme elle a dit ?