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— Que pourriez-vous dire d’autre, hein ?

— Rien. Mais c’est la vérité.

— Et la tête de pont ?

— Le dispositif est toujours opérationnel. Et il le restera jusqu’à ce que vous quittiez Cerbère.

— Comment savoir ? demanda Calvin. Quoi que ce… enfin, quoi qu’il dise, rien ne prouve que ce soit vrai. Il nous abuse et nous manipule depuis le début à seule fin de te faire venir ici. Pourquoi se mettrait-il tout d’un coup à dire la vérité ?

— Parce que ça n’a aucune importance, répondit le Voleur de Soleil. Vous êtes allés trop loin. Vos propres désirs ne jouent plus aucun rôle dans l’affaire.

Sylveste sentit que son scaphandre se ruait vers la gemme, entrait dans l’ouverture, suivait un couloir scintillant, aux multiples facettes miroitantes, éblouissantes, une galerie qui se prolongeait dans la structure.

— Mais qu’est-ce que… ? commença Calvin.

— Je n’y suis pour rien, répondit Sylveste. Ce salaud doit contrôler mon scaphandre !

— Ça se tient. Il contrôlait bien celui de Sajaki. Sans doute préférait-il rester en retrait et te laisser faire tout le boulot. Flemmard, en plus !

— À ce stade, répondit Sylveste, je ne pense pas que ça serve à grand-chose de l’invectiver.

— Tu as une meilleure idée ?

— Eh bien, à vrai dire…

Le corridor qui l’environnait ressemblait à une trachée luisante qui faisait des tours et des détours jusqu’à ce qu’il paraisse rigoureusement impossible qu’il soit encore dans le joyau. Cela dit, ajouta-t-il in petto, il n’était jamais arrivé à une conclusion nette quant à sa vraie taille, qui pouvait faire de quelques centaines de mètres à quelques dizaines de kilomètres. Sa forme fluctuante interdisait toute mesure, et signifiait peut-être que la réponse n’avait pas de sens ; de la même façon qu’on ne pouvait préciser le volume d’un solide fractal.

— Euh… tu disais ?

— Je disais… reprit Sylveste d’une voix traînante. Voleur de Soleil, vous m’écoutez ?

— Comme toujours.

— Je ne comprends pas pourquoi je devais venir ici. Vous avez réussi à animer le scaphandre de Sajaki et vous aviez le contrôle conscient du mien depuis le début, alors pourquoi teniez-vous à ce que je vienne en personne ? Vous n’aviez pas besoin de moi, même s’il y avait quelque chose que vous vouliez rapporter d’ici.

— Le dispositif ne réagit qu’à la vie organique. Un scaphandre vide aurait été interprété comme une intelligence mécanique.

— Cette… chose est un dispositif ? C’est bien ce que vous dites ?

— C’est un dispositif inhibiteur.

L’espace d’un instant, très brièvement, ces mots ne lui dirent rien. Puis ils s’attachèrent brumeusement à certains des souvenirs qu’il conservait de son passage dans la lumière blanche qui était le portail vers la matrice d’Hadès. Ces souvenirs se raccordèrent à d’autres, formant une résille infinie d’associations.

Et c’est alors qu’il parvint à une sorte de compréhension.

Il sut comme il n’avait jamais rien su de sa vie qu’il ne devait pas aller plus loin ; que s’il entrait dans le cœur de la gemme – du dispositif inhibiteur, puisqu’il savait maintenant ce que c’était – ça finirait très, très mal pour lui. En réalité, il avait du mal à imaginer comment les choses pourraient aller plus mal.

— Nous ne pouvons pas aller plus loin, dit Calvin. Je comprends maintenant ce que c’est.

— Moi aussi. Mais c’est trop tard.

Le dispositif avait été laissé ici par les Inhibiteurs. Ils l’avaient placé en orbite autour de Hadès, à côté du portail d’un blanc chatoyant qui était encore plus ancien que les Inhibiteurs. Ils se fichaient de ne pas bien comprendre sa fonction, de ne pas vraiment savoir qui l’avait placé là, à côté de l’étoile neutronique. D’après certaines indications sibyllines, et restées inexplorées, celle-ci n’était pas tout à fait comme elle aurait dû être. Mais, en écartant l’énigme de son origine, elle convenait parfaitement à leurs plans. Leurs systèmes étaient conçus pour attirer les espèces pensantes, et en plaçant l’un d’eux à côté d’une entité encore plus énigmatique, ils étaient sûrs d’avoir des visites. À vrai dire, c’était la stratégie qu’ils avaient suivie dans toute la galaxie : positionner des dispositifs inhibiteurs près d’objets intéressants d’un point de vue astrophysique, de ruines de civilisations disparues, ou dans tout endroit qui avait des chances d’attirer l’attention.

Et les Amarantins étaient venus, et ils l’avaient observé. Se faisant connaître du dispositif. Qui les avait étudiés, avait analysé leurs faiblesses.

Et les avait anéantis – à part une poignée de descendants des Bannis, qui avaient trouvé deux moyens d’échapper au feu barbare des Inhibiteurs. Certains avaient franchi le portail et s’étaient intégrés à la matrice de la croûte, où ils avaient continué à fonctionner sous la forme de simulations, préservées dans l’ambre immuable de la matière nucléaire asservie à des besoins numériques.

Ce n’était pas vraiment vivre, se dit Sylveste. Mais au moins en était-il resté quelque chose ; ils n’avaient pas irrémédiablement disparu.

Et puis il y avait les autres : ceux qui avaient trouvé un moyen d’échapper aux Inhibiteurs. Leur mode de fuite n’était pas moins radical, irréversible…

— Ils sont devenus les Vélaires, c’est ça ? fit Calvin, dans la tête de Sylveste (à moins que ce ne soit Sylveste lui-même qui exprimait sa pensée comme il le faisait parfois, dans le feu de la réflexion ; il avait du mal à faire la différence, et il s’en moquait, au fond). C’était tout à la fin. Resurgam avait déjà disparu, et la plupart de ceux qui étaient partis dans l’espace avaient été repérés et annihilés. Certains étaient entrés dans la matrice de Hadès. D’autres avaient appris à manipuler l’espace-temps, probablement grâce aux transformations qui s’effectuaient à proximité du portail. Et ils avaient trouvé une solution pour échapper aux armes des Inhibiteurs. Ils avaient découvert un moyen de s’enrouler dans l’espace-temps, de le coaguler, de le figer jusqu’à ce qu’il forme une coque invulnérable. Et ils s’étaient réfugiés derrière ces carapaces et les avaient scellées pour l’éternité.

— C’était toujours mieux que de mourir.

L’espace d’un instant, tout lui apparut clairement : comment ceux qui étaient derrière les Voiles avaient attendu, attendu, à peu près coupés de l’univers extérieur, à peine capables de communiquer avec lui, tant les barrières qu’ils avaient érigées autour d’eux étaient sûres.

Longue avait été leur attente.

Ils savaient, alors même qu’ils s’enfermaient dans la réclusion, que les systèmes laissés derrière eux par les Inhibiteurs se détraquaient lentement ; ils perdaient peu à peu leur faculté à supprimer l’intelligence. Pas assez vite, pour eux – mais au bout d’un million d’années passées à l’abri dans leur bulle d’espace-temps, ils commencèrent à se demander si la menace avait maintenant diminué…

Ils ne pouvaient se contenter de démanteler les Voiles et de regarder autour d’eux. C’eût été trop dangereux ; d’autant que, si les machines des Inhibiteurs avaient une caractéristique, c’était la patience. Et s’ils jouaient au chat et à la souris ? Et si leur silence apparent n’était qu’un stratagème pour faire sortir les Amarantins – devenus les Vélaires – de leur coquille, dans l’arène ouverte de l’espace où ils pourraient facilement les détruire, mettant fin à une traque d’un million d’années ?

Et puis, avec le temps, d’autres étaient venus.

N’était-ce qu’une coïncidence, ou bien y avait-il, dans cette région de l’espace, une chose qui favorisait l’évolution de la vie vertébrée ? En tout cas, parmi les nouveaux humanoïdes qui s’étaient lancés à la conquête de l’espace, les Vélaires virent des échos de ce qu’ils étaient jadis. Un peu de la psychose même qui les habitait autrefois : le désir simultané de solitude et de compagnie ; le besoin du réconfort de la société et des steppes infinies de l’espace ; un schisme qui les poussait à la fois vers l’intérieur et vers l’extérieur.