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Il y avait aussi du matériel moderne : des scanners, des outils de découpe évolués, des racks d’eidétiques et de stockage holographique. Un cyborg relativement récent attendait sans bouger dans un coin, la tête légèrement inclinée, comme un serviteur fidèle dormant debout, faisant un somme bien mérité.

Des fenêtres garnies de persiennes donnaient sur un paysage aride de mesas et de formations rocheuses précaires, balayées par les vents, ensanglantées par la lumière rouge du soleil couchant qui disparaissait déjà derrière l’horizon chaotique.

Et là, derrière le bureau… Sylveste se leva en les voyant entrer, comme si elles interrompaient sa réflexion.

Pour la première fois, elle le regarda dans les yeux, ses yeux humains, en chair et en os, si l’on peut dire.

Il parut d’abord ennuyé par leur intrusion, puis son expression s’adoucit et il esquissa un demi-sourire.

— Je suis heureux que vous ayez pris le temps de nous rendre visite, dit-il. Et j’espère que Pascale a répondu à toutes vos questions.

— Presque, répondit Khouri en s’émerveillant de la précision apportée à tous les détails de la reconstitution.

C’était la meilleure des simulations qu’elle ait jamais vues. Et pourtant – idée aussi impressionnante que terrifiante –, tous les objets de cette pièce étaient moulés dans de la matière nucléaire d’une densité telle que, normalement, le moindre presse-papier posé sur son bureau, à l’autre bout de la pièce, aurait exercé sur elle une attraction gravitationnelle fatale.

— Presque, mais pas toutes. Comment êtes-vous arrivé ici ?

— Pascale vous a probablement dit qu’il y a un autre moyen d’entrer dans la matrice. Je l’ai trouvé, c’est tout, répondit-il en levant les mains, les paumes tournées vers elle. Je suis passé par là.

— Et qu’est-il arrivé à votre…

— Mon vrai moi ? fit-il avec un sourire, comme s’il s’amusait d’une plaisanterie qu’il était seul à comprendre. Je doute qu’il ait survécu. Et franchement, je ne me sens pas vraiment concerné. Je suis le vrai moi, maintenant. Je suis tout ce que j’ai jamais été.

— Qu’est-il arrivé dans Cerbère ?

— C’est une très longue histoire, Khouri.

Mais il la lui raconta quand même. Il lui raconta comment il était entré dans la planète, comment le scaphandre de Sajaki s’était révélé n’être qu’une enveloppe vide – découverte qui avait renforcé sa résolution de continuer –, et ce qu’il avait fini par trouver dans la dernière chambre. Après quoi il était entré dans la matrice, et là, ses souvenirs divergeaient de ceux de son autre moi. Il lui affirma que son autre moi était mort, mais il le fit avec une telle conviction que Khouri se demanda s’il n’y avait pas un moyen de s’en assurer ; si un autre lien, moins tangible, ne les avait pas liés, jusqu’à la fin.

Il y avait des choses que Sylveste lui-même ne comprenait pas vraiment ; cela au moins, elle le sentait. Il n’avait pas atteint la divinité – ou alors, un instant à peine, lorsqu’il s’était immergé dans le portail. Elle se demanda si c’était un choix qu’il avait fait par la suite. Si la matrice le simulait ; et si la matrice était, par essence, infinie dans sa capacité computationnelle… quelles limites lui avaient été imposées, autres que celles qu’il avait consciemment choisies ?

Voici ce qu’elle apprit : Karine Lefèvre avait été maintenue en vie par une partie du Voile, mais il n’y avait rien d’accidentel là-dedans.

— C’était comme s’il y avait deux factions, dit Sylveste en jouant avec un microscope de cuivre posé sur son bureau, tournicotant le petit miroir dans tous les sens comme s’il essayait de capter les derniers rayons du soleil couchant. L’une d’elles voulait m’utiliser pour découvrir si les Inhibiteurs étaient toujours dans les parages et constituaient encore une menace pour les Vélaires. L’autre faction se fichait de l’humanité tout autant que la première, à mon avis, mais prenait plus de gants. Elle considérait qu’il devait y avoir un meilleur moyen que de tester le dispositif inhibiteur pour voir s’il déclenchait toujours une réponse.

— Mais ce qui nous arrive, à nous, en ce moment ? Qui a gagné, en fin de compte ? Le Voleur de Soleil ou la Demoiselle ?

— Ni l’un ni l’autre, répondit Sylveste en reposant le microscope, son socle garni de velours heurtant doucement le bureau. Du moins, c’est mon sentiment instinctif. Je pense que nous… pardon, que j’ai bien failli déclencher le dispositif, lui fournir l’impulsion dont il avait besoin pour alerter les systèmes restants et entraîner la guerre contre l’humanité. Enfin, pour que ce soit une guerre, encore faudrait-il qu’il y ait deux camps, reprit-il en riant. Or je ne pense pas que ça se serait passé comme ça. Pas du tout.

— Mais vous ne pensez pas que c’en est arrivé là ?

— Je l’espère, je fais des vœux pour ça, c’est tout, répondit-il en haussant les épaules. Évidemment, il se peut que je me trompe. Moi qui croyais avoir toujours raison, j’ai bien appris la leçon.

— Et les Amarantins, les Vélaires ?

— Ça, c’est le temps qui le dira.

— C’est tout ?

Il parcourut la pièce du regard, s’attarda sur les rayonnages couverts de livres, comme pour se rassurer par leur présence.

— Je n’ai pas toutes les réponses, Khouri. Même pas ici.

— Il est temps d’y aller, dit soudain Pascale.

Elle était apparue au côté de son mari avec un verre de liquide transparent : de la vodka, peut-être. Elle le posa sur le bureau, à côté d’un crâne poli, couleur de vieux parchemin.

— Où ça ? demanda Khouri.

— Dans l’espace, Khouri. C’est ce que vous voulez, non ? Vous n’avez sûrement pas envie de passer le restant de l’éternité ici.

— Il n’y a nulle part où aller, dit Khouri. Vous devriez le savoir, Pascale. Le bâtiment était contre nous ; la chambre-araignée est détruite ; Ilia a été tuée…

— Elle s’en est tirée, Khouri. Elle n’est pas morte dans la destruction de la navette.

Elle avait donc réussi à enfiler un scaphandre – mais à quoi bon ? Khouri s’apprêtait à poser d’autres questions, puis elle réalisa que, quoi que Pascale puisse lui dire, c’était très probablement vrai, si invraisemblable que ça puisse paraître. Et si inutile que soit la vérité ; comme si ça pouvait changer quelque chose…

— Et vous, qu’allez-vous faire ?

Sylveste trempa ses lèvres dans le verre de vodka.

— Vous n’avez pas encore compris ? Cette pièce n’a pas été créée à votre intention. C’est là que nous vivons ; ou plutôt une version simulée, dans la matrice. Et nous n’occupons pas seulement cet endroit mais toute la base, comme nous l’avons toujours connue, sauf que maintenant, elle est entièrement à nous.

— C’est tout ?

— Non… pas tout à fait.

Pascale s’approcha de Sylveste, qui la prit par la taille. Ils se tournèrent d’un même mouvement vers la fenêtre et le coucher de soleil étranger, le paysage rouge et sans vie de Resurgam qui s’étendait à perte de vue.