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— Je cache ma joie.

— Bref, je te donnerai des nouvelles. Des questions, avant que je m’en aille ?

— Oui, une : j’ai cru comprendre que ma biographie serait rédigée par une femme. Je peux te demander de qui il s’agit ?

— Quelqu’un qui va y laisser pas mal d’illusions, j’imagine.

Volyova s’affairait près de la cachette secrète, un jour, en rêvant d’armes, lorsqu’un rat-droïde se laissa doucement tomber sur son épaule et lui parla à l’oreille.

— De la visite, annonça-t-il.

Les rats étaient une particularité originale du Spleen de l’Infini. Peut-être même étaient-ils uniques en leur genre. Ils étaient à peine plus intelligents que leurs ancêtres sauvages, mais ce qui faisait de ces parasites des créatures utiles, c’était leur lien biochimique avec la matrice du capitaine. Ils étaient munis de récepteurs et d’émetteurs de phéromones spécialisés qui leur permettaient de recevoir des ordres et de retransmettre au vaisseau les informations encodées dans les molécules complexes qu’ils excrétaient. Ils se nourrissaient de déchets organiques, avalant absolument n’importe quoi pourvu que ce soit amovible et que ça ne respire plus. Quoi qu’ils aient ingéré, leurs entrailles lui faisaient subir un traitement préalable pendant qu’ils se baladaient dans le vaisseau, et ils excrétaient des granulés dans des systèmes de recyclage plus vastes. Certains de ces rats-droïdes étaient équipés de boîtes vocales et munis d’un petit lexique de phrases utiles, qui étaient vocalisées lorsque les stimuli extérieurs répondaient à des conditions biochimiques programmées.

Volyova les avait configurés pour l’alerter s’ils retraitaient des squames humaines – cellules de peau morte et autres – qui n’étaient pas les siennes. Elle saurait alors, même si elle était dans un secteur très éloigné du vaisseau, que certains membres de l’équipage s’étaient réveillés.

— De la visite ! couina à nouveau le rat.

— Oui, j’ai entendu !

Elle déposa le petit rongeur sur le pont et jura dans toutes les langues de sa connaissance.

La guêpe qui protégeait Pascale se rapprocha de Sylveste. Il comprit qu’elle avait perçu la tension de sa voix.

— Vous voulez des informations sur les Quatre-Vingts ? Je vais vous en donner. Je n’éprouve pas le moindre remords, pour aucun d’entre eux. Ils connaissaient tous les risques. Et il y avait soixante-dix-neuf volontaires, pas quatre-vingts. Les gens oublient un peu facilement que le quatre-vingtième était mon père.

— Vous ne pouvez pas leur en vouloir.

— Si on considère que la connerie est chromosomique, alors non, je ne peux pas leur en vouloir.

Sylveste s’efforça de se détendre, ce qui n’était pas facile. À un moment donné de leur entretien, la milice avait commencé à vaporiser du gaz angoissant dans l’atmosphère du dôme, au-dehors, et la lueur rougissante du soir prenait une teinte sépia, presque noire.

— Écoutez, reprit Sylveste d’un ton égal. Lors de mon arrestation, le gouvernement s’est approprié Calvin. Il est tout à fait capable de défendre ses propres actes.

— Ce n’est pas de ses actes que je veux vous parler, mais de ce qui lui est arrivé après, ou plutôt de sa simulation alpha. Les alphas permettaient de stocker dix puissance dix-huit bits de données environ, dit Pascale en entourant quelque chose sur son compad. Les enregistrements de Yellowstone sont fragmentaires, mais j’ai pu en tirer certaines informations. J’ai appris que soixante-six des alphas étaient conservées dans des réservoirs de données en orbite autour de Yellowstone : des carrousels, des cités candélabres et divers repaires de Pirates et d’Ultras. La plupart étaient écrasées, bien sûr, mais personne ne les aurait effacées. J’en ai retrouvé dix autres dans des archives de surface corrodées, reste quatre. Dont trois étaient membres des soixante-dix-neuf, mais leurs familles étaient soit très pauvres, soit à jamais éteintes. La dernière est la simu alpha de Calvin.

— Il y a une raison à ça ? demanda-t-il en s’efforçant de donner l’impression que le problème ne le concernait pas particulièrement.

— Je ne peux tout simplement pas croire que Calvin soit perdu comme les autres. Ça ne colle pas. La Fondation Sylveste n’avait pas besoin de bienfaiteurs ou de donateurs pour sauvegarder leur héritage. C’était l’une des organisations les plus fortunées de la planète jusqu’à la peste. Alors qu’est-il arrivé à Calvin ?

— Vous pensez que je l’aurais emporté avec moi sur Resurgam ?

— Non. Tout semble indiquer qu’il était déjà perdu depuis longtemps à ce moment-là. En réalité, la dernière fois que sa présence a été signalée dans le système remonte à plus d’un siècle avant le départ de l’expédition pour Resurgam.

— Je crois que vous vous trompez, objecta Sylveste. Vérifiez dans vos dossiers et vous verrez que l’alpha a été envoyée dans une casemate orbitale à la fin du vingt-quatrième siècle. Elle a dû être déplacée trente ans plus tard, lorsque la Fondation a relocalisé les archives. Puis, vers 39 ou 40, la Fondation a été attaquée par House Reivich, et tous les enregistrements ont été effacés.

— Non, reprit Pascale. J’ai exclu cette possibilité. Je suis d’accord : en 2390, dix puissance dix-huit bits de données ont bien été mis sur orbite par la Fondation Sylveste, et le même volume de données a été relocalisé trente-sept ans plus tard. Mais dix puissance dix-huit bits de données, ce n’est pas nécessairement Calvin. Ça pourrait aussi bien être dix puissance dix-huit bits de poésie métaphysique.

— Donc, ça ne prouve rien.

Elle lui passa le compad. Dans le mouvement, ses nuées d’hippocampes et de poissons se dispersèrent comme des lucioles.

— Non, mais c’est vraiment très suspect. Pourquoi les alphas auraient-elles disparu à peu près au moment où vous êtes allé rencontrer les Vélaires ? Il n’y avait aucune raison, à moins que les deux événements ne soient liés.

— Vous voulez dire que j’y serais pour quelque chose ?

— Les mouvements de données subséquents n’ont pu être simulés que par un membre de la Fondation Sylveste. Vous êtes le suspect évident.

— Un mobile ne serait pas superflu.

— Oh, ne vous en faites pas pour ça, dit-elle en récupérant son compad. Je suis sûre que j’en trouverai un.

Trois jours après que le rat-droïde l’eut avertie du réveil de l’équipage, Volyova se sentit prête à rencontrer ses semblables. Elle ne s’en faisait jamais une joie particulière. Elle ne détestait pas vraiment la compagnie, c’est plutôt que la solitude ne lui posait aucun problème. Mais la situation n’était pas brillante. Nagorny était mort, et elle devait mettre les autres au courant.

Les rats mis à part, et sans compter Nagorny, il y avait, à l’heure actuelle, six membres d’équipage à bord du vaisseau. Cinq, si on décidait d’exclure le capitaine. Et à quoi bon l’inclure alors que – pour ce qu’en savaient les autres – il était inconscient et incapable de communiquer ? Ils ne le gardaient à bord que parce qu’ils espéraient le remettre sur pied. À tous les points de vue, le vrai centre de pouvoir, à bord du bâtiment, était incarné par le Triumvirat, c’est-à-dire Yuuji Sajaki, Abdul Hegazi et elle-même, bien sûr. Le Triumvirat avait, depuis peu, sous ses ordres, deux femmes de rang équivalent : Kjarval et Sudjic ; des chimériques. Enfin, le moins gradé était l’artilleur, rôle dévolu à Nagorny. Maintenant qu’il était mort, son poste recelait un certain potentiel, comme un trône vacant.