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Elle porta son bracelet à ses lèvres et dit à voix basse :

— Ouverture du journal à la page du capitaine. Nouvelle entrée.

Le bracelet pépia, signalant qu’il était prêt.

— Troisième inspection du capitaine Brannigan depuis mon réveil. Le rythme de progression de…

Elle hésita, consciente du fait qu’une phrase mal formulée risquait d’irriter Hegazi, l’un des deux autres membres du Triumvirat. D’un autre côté, ça lui était plus ou moins égal. Oserait-elle donner à la chose le nom – Pourriture Fondante – que lui avaient trouvé les habitants de Yellowstone ? peut-être valait-il mieux s’abstenir.

— … du mal paraît inchangé depuis la dernière visite. Pas plus de quelques millimètres d’accroissement. Les fonctions cryogéniques sont toujours miraculeusement actives. Mais je pense qu’il faut nous résigner à ce que le système tombe en panne, inéluctablement, à un moment donné… dit-elle en pensant que, lorsqu’il s’arrêterait, s’ils ne se dépêchaient pas de transférer le capitaine vers un nouveau sarcophage (comment, au juste, la question demeurait sans réponse), ils auraient probablement un problème de moins.

Et ce serait aussi la fin de ses propres problèmes, ce qu’elle espérait sincèrement.

— Fermeture du fichier, poursuivit-elle dans son bracelet, avant d’ajouter, en regrettant amèrement de ne pas avoir mis une cigarette de côté pour ce moment : Réchauffage du tronc cérébral du capitaine de cinquante milli-kelvins.

L’expérience lui avait appris que c’était l’élévation de température minimale en deçà de laquelle son cerveau restait plongé dans une stase glaciaire. Et au-delà, la prolifération reprendrait de plus belle.

— Capitaine ? demanda-t-elle. Vous m’entendez ? C’est Ilia…

Sylveste descendit du crawleur et retourna vers le chantier de fouilles. Pendant qu’il s’entretenait avec Calvin, le vent avait considérablement forci. Sa morsure, sur ses joues, lui faisait penser à la caresse d’une sorcière.

Pascale ôta son masque et dit en hurlant, pour couvrir le bruit du vent :

— J’espère que cette petite conversation vous a été profitable et que vous allez enfin voir la réalité en face.

Elle était au courant, pour Calvin, même si elle ne lui avait jamais parlé de vive voix.

— Allez me chercher Sluka.

Normalement, elle aurait pu décliner un ordre pareil ; mais, compte tenu des circonstances, elle comprenait son humeur et alla vers l’autre crawleur, d’où elle ressortit peu après avec Sluka et une poignée d’ouvriers.

— J’en déduis que vous êtes prêt à nous écouter ?

Sluka était debout devant lui, une main sur la hanche.

Le vent agitait une mèche de cheveux devant ses lunettes. Elle inspirait périodiquement dans son masque qu’elle tenait de sa main libre.

— Dans ce cas, vous constaterez, j’en suis sûre, que nous savons être raisonnables. Nous avons tous une conscience aiguë de votre réputation. Aucun de nous ne parlera de cette affaire une fois rentrés à Mantell. Nous dirons que vous avez donné le signal du départ dès le début de l’alerte. Tout le mérite vous en reviendra.

— Vous pensez que ça aura la moindre importance à long terme ?

— Et cet obélisque, vous croyez qu’il a de l’importance, lui ? rétorqua hargneusement Sluka. C’est comme les Amarantins, d’ailleurs, quelle importance, hein ?

— Vous grattez un petit coin du tableau, mais vous n’en avez jamais eu une vision d’ensemble.

Discrètement – mais ça n’avait pas échappé à Sylveste – Pascale avait commencé à enregistrer l’échange. Elle se tenait un peu en retrait, la caméra amovible de son compad à la main.

— Et s’il n’y avait pas de tableau du tout ? rétorqua Sluka. Bien des gens disent que vous exagérez l’importante des Amarantins rien que pour assurer du travail aux archéologues.

— C’est ce que vous diriez, vous, hein, Sluka ? Enfin, vous n’avez jamais été vraiment des nôtres.

— Ce qui veut dire ?

— Ce qui veut dire que si Girardieau avait voulu semer la zizanie entre nous, vous auriez fait une candidate idéale.

Sluka se tourna vers ce que Sylveste considérait de plus en plus comme sa meute.

— Écoutez-moi ce pauvre minable ! La théorie de la conspiration, maintenant ! Il se dévoile enfin : voilà à quoi le reste de la colonie a eu droit pendant des années. Nous n’avons plus rien à nous dire, ajouta-t-elle en le regardant. Nous partirons sitôt le matériel emballé, et même avant si la tempête devient trop violente. Vous pouvez venir avec nous, ou rester ici et crever ! lança-t-elle après avoir repris une bouffée d’air dans son masque, ce qui lui remit des couleurs aux joues. À vous de décider.

Il regarda le groupe massé derrière elle.

— Eh bien, allez-y, fichez le camp ! Ne vous laissez pas arrêter par une chose aussi triviale que la loyauté. À moins que vous n’ayez les couilles de rester et de finir ce que vous êtes venus faire ici !

Il les parcourut du regard, mais ils baissèrent les yeux l’un après l’autre, gênés. Il ne savait même pas comment ils s’appelaient. C’est à peine s’il les reconnaissait. Une seule chose était sûre : aucun d’eux n’était venu par le vaisseau de Yellowstone. Comme il était certain qu’ils n’avaient jamais rien vu d’autre que Resurgam, avec sa poignée de colonies humaines dispersées telles des pierres précieuses dans une désolation totale. Il devait leur paraître monstrueusement archaïque.

— Monsieur, commença l’un d’eux, peut-être celui qui lui avait annoncé l’arrivée de la tempête. Nous avons le plus grand respect pour vous, n’en doutez pas, mais nous devons aussi penser à nous, vous comprenez ? Ce qui est enfoui ici, quoi que ce soit, ne vaut pas la peine que nous risquions notre vie.

— C’est là que vous vous trompez, et c’est vous qui n’avez rien compris, répliqua Sylveste. Ça a plus de valeur que vous ne pouvez l’imaginer. Les Amarantins n’ont pas subi l’Événement. C’est eux qui l’ont provoqué. Qui l’ont déclenché.

Sluka secoua lentement la tête.

— C’est eux qui auraient embrasé leur soleil ? C’est ce que vous croyez ?

— En un mot, oui.

— Alors vous êtes plus fondu que je ne le craignais, conclut Sluka, qui lui tourna le dos pour s’adresser au groupe : Mettez les crawleurs en route. Nous partons immédiatement.

— Et le matériel ? protesta Sylveste.

— Pour ce que j’en ai à fiche, il peut rester ici à rouiller.

Le groupe commença à se répartir entre les deux énormes engins.

— Attendez ! hurla Sylveste. Écoutez-moi ! Vous pourriez ne prendre qu’un véhicule. Il y aurait assez de place pour tout le monde, si vous laissez le matériel ici.

— Et vous ? demanda Sluka en se retournant vers lui.

— Rien ne m’obligera à partir. Je continuerai le travail tout seul. Avec ceux qui voudront rester.

Elle secoua la tête, arracha son masque et cracha par terre d’un air de dégoût, puis elle rattrapa le gros de la troupe et dirigea tout le monde vers l’un des crawleurs, lui laissant l’autre – celui où se trouvaient ses appartements. Sluka et sa meute s’engouffrèrent dans le véhicule, certains avec de petits appareils, des ossements et divers objets découverts dans les fouilles : l’instinct du chercheur prenait le dessus, même dans la rébellion. Les passerelles se rétractèrent, les portes se refermèrent, puis le crawleur se dressa sur ses pattes, marqua le pas et s’éloigna. Une minute plus tard, il avait disparu et le hurlement du vent avait couvert le bruit des moteurs.