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— Pas d’histoires, hein ?

— Salope !

— Je t’attends à mon bureau.

Elle passa devant moi, me laissant son parfum discret. Mais je ne pensais qu’à Brigitte. Je n’avais devant les yeux que son visage douloureux.

Dans la cuisine, j’ai foncé vers Corcel. Il m’a regardé, lui aussi, avec inquiétude.

— Combien elle te donnait pour que tu me surveilles ? Tu lui avais raconté que je louais la deux-chevaux ? Dès le premier jour ?

Il encaissa mon poing en plein visage, tituba en direction de ses fourneaux. La femme de service poussa un cri et se redressa. Mais j’étais déjà sorti et je fonçai vers le bureau. Elle m’attendait, assise dans son fauteuil.

Elle encaissa les deux gifles avec crânerie. Puis elle sourit.

— Enfin tu as des réactions de mâle.

J’ai commencé par sortir le pistolet d’Henri. Elle a ouvert de grands yeux effrayés.

— Écoute…

— Celui-là, il est chargé.

J’ai jeté le petit 6,35 sur le bureau.

— Mais celui-là était vide. Bien combiné. Tu as mis le paquet. Yeux roucouleurs et bouche en cœur. Tout juste si tu ne m’as pas dit que tu m’aimais.

Elle restait impassible, les joues un peu rouges à cause des gifles.

— Tu savais que je vous suivais à Béziers, à Sète. Corcel t’avait révélé que je lui louais la deux-chevaux. Tu voulais m’exciter, me pousser à bout. De là toutes tes manœuvres ce soir pour m’affoler encore. Tu avais planqué la 403 derrière la villa. Dans l’espoir que je la découvrirais quand même. Ça n’est pas arrivé tout de suite, et alors tu es venue dans ton bureau. Là, nouvelle offensive. Tu me préviens qu’Henri est armé, tu me supplies de ne pas y aller. Venant de toi, ça ne peut que me pousser encore. À bout d’arguments, tu me donnes ton pistolet. Mais le chargeur est vide. Tu sais que l’homme qui est avec Brigitte est un type dangereux et qu’il me tuera s’il me voit une arme à la main.

Elle m’écoutait avec attention, comme pour se persuader que je savais tout.

— Seulement, il n’a pas eu le temps de réagir. Je te jure qu’il a filé comme une lopette. Tu n’as même pas su en faire un assassin convenable.

Ça allait mieux. Je savais que je ne ferais rien contre elle et cette certitude me soulageait.

— Tu misais sur les deux tableaux. Ou il me tuait et alors tu étais débarrassée de moi, et tu pouvais ficher Brigitte à la porte. Elle ne sait rien, elle. Elle ne risquait pas de te faire chanter.

Je m’interrompis le temps d’allumer une cigarette.

— Ou alors je le tuais. Non pas avec un pistolet vide, mais en supposant que je le désarme. C’était bon pour toi si j’étais devenu un assassin. Nous étions à égalité. Tu parles d’une revanche. Tu pouvais m’ordonner de filer. Te débarrasser de moi. Qu’aurais-tu préféré ?

Elle répondit immédiatement.

— Que tu vives !

— Saleté ! C’était mieux ainsi, hein, pour jouir de ton triomphe ?

— Non. Je t’aurais eu à moi.

D’un paquet posé sur le bureau, elle préleva une cigarette et l’alluma.

— Tu n’as rien compris dans mes intentions. Henri n’est pas un tueur. Il a un pistolet sur lui, mais c’est pour se donner de l’importance. Je suis certaine qu’il ne sait comment s’en servir. Tu as raison, c’est une lopette.

— Alors ?

— Je savais que tu le désarmerais. Mais j’avais prévu un autre dénouement.

— Lequel ?

— Brigitte !

Soudain, elle bondit et me prit aux épaules.

— Mais tu ne comprends donc pas ? C’est sa peau à elle que je veux. Toi, je te veux en vie. Mais elle, je veux qu’elle crève. Et toi, pauvre idiot, tu ne penses qu’à la protéger, l’empêcher de faire des bêtises. Que c’est bête, un homme amoureux !

Je comprenais en effet.

— Méfie-toi, Jean-Marc, une femme amoureuse, c’est dangereux. Je te veux. Tu n’y crois pas, hein ? Depuis que tu m’as mis le marché en main en septembre, tu t’imagines que je te hais. Doux crétin ! Tu crois que j’aurais marché dans ton chantage ? Si je n’avais pas été amoureuse de toi, j’aurais préféré que tu me dénonces. Je ne suis pas une femme qui supporte la contrainte. Mais tu n’as rien compris. Rien.

Elle riait avec des larmes dans les yeux.

— Que fallait-il que je fasse ? Te prendre au même piège, t’obliger à être à moi. Brigitte morte, nous aurions fait disparaître son corps. Personne ne se serait douté. Et tu n’as même pas été capable de tuer la femme qui te trompe.

J’avais la nausée. Elle m’écœurait. Dans ma jeunesse, j’avais lu une histoire pornographique dans laquelle une vieille femme usait et abusait de jeunes garçons. Agathe me donnait le même dégoût. Elle était jeune, jolie, mais elle avait une cruauté de vieillard, une obstination sénile. Et devant sa monstruosité, je me faisais l’impression d’être tout petit, tout jeune.

— Jamais, tu entends ? Jamais ! Mets-toi bien ça dans la tête. Il n’y a aucun espoir pour que je devienne ton amant.

D’un geste, elle essaya de me retenir, de me coller à elle.

— Jean-Marc… Tais-toi. C’est impossible.

Elle cherchait mes lèvres de sa bouche entrouverte. Je la repoussai. Elle éclata.

— Pour cette petite putain !… Fous le camp !… Foutez le camp tous les deux !

Était-elle réellement furieuse ? Était-ce une comédie pour masquer sa déception à la suite des événements de la soirée ? J’étais perplexe. Je me suis dirigé vers la porte.

Comme une folle, elle m’a barré le passage.

— Reste. Elle n’a pas besoin de toi. Elle est saoule comme une vieille prostituée. Ne me dis pas que c’est après cette loque que tu cours… Jean-Marc, dans quelques années elle sera horrible. Tu le sais. Rien ne l’empêchera de boire. Ni le bonheur, ni le désespoir.

On me l’avait déjà dit, mais avec plus de ménagement. Je me souvins du directeur d’une tournée que nous faisions dans l’Est. Un soir, Brigitte avait bu et n’avait pu participer au spectacle.

— Si elle continue, m’avait dit l’homme, dans quatre ans elle ne trouvera plus d’engagement.

Agathe continuait.

— Tu ne vois pas qu’elle devient grasse de tout cet alcool qu’elle ingurgite ? Quand nous sortions ensemble, elle buvait trois, quatre fois comme moi. Et c’est ça que tu veux sauver, ça que tu veux défendre ?

J’essayai de l’écarter. Elle se cramponna, cherchant à rapprocher nos corps.

— Jean-Marc, nous pouvons être heureux tous les deux. Ici. Tu seras le maître… Je te le jure. Toute ta vie tu vas traîner ce boulet. Et un jour, elle te quittera pour suivre un type qui ne l’empêchera pas de boire. Tiens, c’est pourquoi elle avait un faible pour Henri. Il ne lésinait pas. Ce soir, elle a peut-être bu deux bouteilles de Champagne à elle seule.

Enfin, j’ai pu dégager la porte et sortir. Mais elle me poursuivit dans le couloir.

— Jean-Marc, écoute-moi encore cinq secondes.

J’y consentis.

— J’ai eu beaucoup d’amants. Je suis une sale bête. Mais tu es le seul homme qui m’ait jamais plu. Le seul avec lequel je puisse imaginer sans frémir de passer toute ma vie entière. Nous pouvons partir d’ici, quitter cet hôtel. Aller au bout du monde si ça te fait plaisir. Réfléchis, Jean-Marc. Je peux attendre encore quelques jours, mais pas davantage. Depuis que tu es venu ici, j’attends. Tu crois que je t’aurais seulement engagé ? Mais la première fois que je t’ai vu, j’ai eu envie de te faire du mal. C’est pourquoi j’étais dure, méchante avec toi, pourquoi je n’étais qu’une patronne sévère et avare. J’ai lutté contre moi-même.