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J’ai haussé les épaules.

— Ça ne prouve rien.

— Mais tu ne l’en crois pas capable ?

— Si.

Je me suis mis à nettoyer le carrelage. Brigitte m’aidait en silence. Quand ce fut terminé, elle alla chercher une serpillière pour laver à grande eau.

— Agathe nous attend pour manger, me dit-elle en remontant.

— Elle ne t’a pas questionnée ?

— Non.

J’étais en train de me laver les mains quand mon amie m’a demandé :

— Jean-Marc, il reste beaucoup d’argent ?

— Oui.

— Où le caches-tu ?

Je l’ai regardée avec méfiance.

— Tu as peur que je te le prenne ?

En silence je suis allé le chercher. Il était tout simplement dans la toile double du paravent qui dissimulait le lavabo.

— Que veux-tu en faire ?

— Jean-Marc, partons d’ici. Pour toujours !

CHAPITRE IX

Nous sommes partis. Que m’importait le triomphe de cette femme. Quand je l’ai quittée, je l’ai même rassurée.

— Imaginez qu’il ne s’est rien passé et que votre mari est mort naturellement.

Elle n’a marqué aucune joie. Au moment de monter dans le taxi, j’ai cru que ses lèvres murmuraient mon nom. Elle était derrière les vitres de la grande salle. Celles-ci déformaient légèrement son visage au point qu’elle semblait pleurer.

Nous avons gagné Cannes et loué un petit garni. Nous possédions suffisamment d’argent pour passer tout l’hiver bien tranquilles jusqu’aux premiers jours du printemps. Pendant deux semaines, Brigitte a été folle de joie. Nous occupions le plus clair de notre temps à nous faire bronzer sur la Croisette et à chercher des petits restaurants où nous mangions pour peu d’argent.

Vers la fin janvier, il faisait tellement chaud qu’on se serait cru au début de l’été. C’est ainsi que le cafard s’est de nouveau emparé de Brigitte.

Un beau jour, timidement, elle m’a demandé quand j’écrirais à Santy.

— Pas question ! ai-je répliqué sèchement. Il ne me répondrait pas. Il doit m’en vouloir depuis la fameuse lettre.

— Comment trouverons-nous du travail ?

— Ça serait bien terrible si nous ne dénichions pas un contrat ici même.

Elle a fait la moue :

— Pour le début de saison peut-être. Mais pas pour le plein été. Ils n’ont pas besoin de cloches comme nous. Est-ce que tu vas m’autoriser à reprendre mes séances de strip-tease, au moins ?

— Jamais de la vie !

Ce jour-là, elle est partie en claquant la porte. C’était la première fois que je la laissais sortir seule, mais j’étais de trop mauvaise humeur pour lui courir après. Résultat, une cuite carabinée, un scandale dans la maison où nous louions notre pièce-cuisine.

Le cycle infernal recommença. Je devais la surveiller de nuit et de jour. Je dis bien de nuit car, une fois, je me retrouvai seul dans le lit. Il était minuit et nous nous étions couchés de bonne heure.

Je me suis habillé et j’ai fait tous les bars de la ville. Je ne l’ai pas trouvée et je suis rentré deux heures plus tard pour buter contre elle, couchée en chien de fusil sur le paillasson.

Elle changeait, devenait mauvaise, n’avait plus de remords une fois à jeun. Au contraire, sa migraine la rendait exigeante et méchante. C’était constamment que j’aurais dû lever la main sur elle. Je ne le faisais pas et elle en profitait. Elle me volait. Notre argent filait à une allure record.

À cette époque-là, j’ai activement cherché un emploi que je n’ai pas trouvé. On me donna l’adresse de plusieurs imprésarios, mais dans cette région ils n’avaient que le choix et n’étaient pas à court d’artistes.

Brigitte aurait trouvé facilement du travail avec son déshabillage, mais je m’y opposais férocement. Surtout parce que je ne trouvais pas de place pour moi.

Je ne pouvais même plus lui confier de l’argent pour faire les commissions. Depuis quelques jours, nous ne mangions plus au restaurant à midi et elle faisait une cuisine simple sans aucun goût. Deux fois, elle me fit le coup et j’allai la récupérer au bar du coin où elle avait déjà bu quatre ou cinq apéritifs. Elle trouvait toujours une fille à qui payer une tournée. Quand j’arrivais, elle arrêtait net ses confidences, poussait un soupir qui faisait rire les clients sous cape et s’approchait de moi.

— Ça va, je te suis !

Il me fallait un certain stoïcisme pour ne pas paraître gêné. Les gens devaient me prendre pour une brute. Certains même pour un souteneur.

C’était moi qui faisais les commissions, mais pendant ce temps elle filait dépenser les quelques sous qu’elle pouvait glaner à droite et à gauche.

Puis un soir qu’elle était ivre-morte, je découvris trente mille francs dans son sac. Je me demandai où elle avait pu trouver cette somme-là. Mon premier réflexe fut de penser qu’elle avait racolé des hommes dans la rue. Pourtant elle n’avait pas eu le temps matériel de gagner autant d’argent.

Au cours d’une séance ignoble, j’entrepris de la dessaouler. J’étais certain d’une chose. Elle ne pouvait m’avoir volé cet argent. Il m’en restait si peu que je m’en serais tout de suite aperçu.

Quand elle fut en état de me répondre, je lui posai des questions.

— Où as-tu pris cet argent ?

— Je… sais pas.

Ce fut long. Pendant un quart d’heure elle me soutint avoir pris un billet de loterie et gagné cinquante mille francs.

— Quelle tranche ?

— Je ne sais plus. Tu crois que je me suis demandé de quelle tranche il s’agissait ?

— Le numéro ? Celui des unités au moins.

— Huit.

Dans le journal, aucun numéro se terminant par un huit n’avait gagné cinquante mille francs.

— J’ai trouvé un portefeuille dans la rue, finit-elle par inventer. Il y avait quarante-sept mille francs et de la monnaie. J’ai pris l’argent et j’ai jeté le reste dans un égout.

— C’est faux !

Elle s’était mise à pleurer.

— J’ai sommeil, laisse-moi dormir. Je t’expliquerai tout demain, mais pas maintenant.

— Tu ne dormiras pas tant que je ne saurai pas.

— Laisse-moi ou je crie.

Une fois encore je l’ai giflée. Chaque fois le dégoût se faisait un peu plus épais, comme une salive de malade. J’avais envie de partir loin, de la laisser aller complètement.

— Alors ?

— Bon, c’est Agathe.

— Comment ?

— Je lui ai écrit et elle m’a envoyé cinquante mille francs en poste restante.

La poste n’était pas très loin de notre garni.

— C’est vrai. Téléphone-lui si tu veux.

— Qu’est-ce que tu lui disais dans cette lettre ?

Elle a éclaté d’un rire mauvais.

— D’envoyer cinquante mille balles en faisant vite. Tu crois que je lui ai fait des discours ? Même pas mes salutations distinguées.

— Tu l’as menacée ?

Son œil s’est fait ironique :

— Je connaissais la leçon.

— Tu as fait ça ?

— Dis donc, ce n’est pas toi qui vas me le reprocher ?

— C’est fini cette histoire. Nous ne devons plus y penser.

— Des clous ! Elle m’a assez fait peur tout le temps où j’ai été chez elle, chacun son tour. Et puis, c’est bien facile. Une petite lettre et ça y est.

— Tu sais ce que tu es ?

— Une sale garce ! Et toi ? Un maître chanteur !

Je n’avais plus assez de volonté.