Il me promit de me faire signe si jamais il entendait parler d’une place, prit même mon adresse. Il ne devina pas que j’étais à bout de ressources.
Je rentrai chez moi. J’avais l’intention d’abandonner le petit garni. Je commençai de mettre de l’ordre pour me concilier le propriétaire. Normalement, je devais lui signifier le congé quinze jours avant. C’était un homme aimable et j’espérais qu’il se contenterait de huit jours de préavis.
C’est en nettoyant la penderie que j’ai trouvé le coupon de chèque. Son intitulé portait :
La date était vieille de dix-huit jours. La somme indiquée était de cinquante mille.
Je froissai le coupon entre mes doigts. Je savais où se trouvait Brigitte. Auprès d’Agathe. Elle avait repris à son compte ce chantage dont j’étais l’instigateur. Je m’étais juré d’oublier cette partie de mon passé.
En me détachant de Brigitte, je m’étais pris à mépriser ce mauvais rôle de maître chanteur que j’avais tenu pendant plusieurs mois.
Une colère froide s’empara de moi. Je ne pouvais la laisser exploiter Agathe. De plus, je me mettais à détester cette nouvelle Brigitte cupide, débauchée. Je lui en voulais de ne plus être faible, désarmée devant la vie. Je redoutais même cette nouvelle femme au cœur de pierre, au calme froid et calculateur qui usait de procédés de truand pour glaner quelque argent.
Le lendemain matin, je prenais le train pour Agde.
CHAPITRE X
La banderole « Fermeture annuelle » s’était quelque peu défraîchie. Elle battait dans le léger vent du nord. Il faisait beau, presque chaud. Le taxi s’arrêta devant la terrasse de l’hôtel.
— C’est fermé ! dit l’homme.
— Je sais, fis-je en le payant.
— Même les fenêtres du haut.
C’était vrai.
— Qu’est-ce que je fais ? Je vous attends ?
— Non, ça ira bien.
J’avais toujours la ressource de prendre le car qui passait à cinq heures. Quand le bruit du moteur se fut fondu au lointain, j’entendis celui de la mer. Rien n’est comparable au bruit des vagues contre cette immense plage de quinze kilomètres. À Cannes on n’a pas cette impression. Ici la mer est absolue, maîtresse, splendide.
Je montai sur la terrasse, essayai d’ouvrir la porte. En vain. Mettant mes mains autour de mon visage, je regardai à l’intérieur. Tout paraissait mort, abandonné.
Lentement, je me suis dirigé vers la villa. Soudain j’ai entendu un cri.
— Jean-Marc !
Elle s’abattit sur mon épaule et se mit à sangloter. Je ne m’attendais pas à un tel accueil.
— Jean-Marc, tu es revenu !
Je me dégageai doucement. La peau de ses bras et de ses épaules était douce et tiède. Bêtement j’effaçai d’un doigt les larmes qui coulaient de ses yeux.
— Jean-Marc. Enfin…
Puis elle me prit le bras.
— Viens.
Sur la petite terrasse baignée de soleil se trouvait une chaise-longue.
— Je me faisais dorer au soleil. Je n’ai pas entendu ton taxi. J’allais rentrer quand je t’ai aperçu.
— Tu as abandonné l’hôtel ?
— C’était trop grand pour moi.
— Tu n’es pas partie comme les autres années ?
— Non… Je t’attendais.
Cet amour qu’elle m’offrait avec la plus grande impudeur et aussi la plus grande ingénuité me touchait, me gênait. Je ne savais comment l’accueillir. Ce tutoiement, au lieu de me rapprocher d’elle, m’en éloignait, me rappelait nos luttes haineuses.
— Tu étais à Cannes ? Tous les jours j’hésitais. Je voulais te rejoindre là-bas. Tu m’aurais accueillie ?
Je ne répondis pas à sa question.
— Comment sais-tu que j’étais à Cannes ?
Sa surprise n’était pas feinte.
— Mais Brigitte m’a écrit.
— À toi ? Pour quel motif ?
Elle hésita, puis dit d’une voix sourde :
— Mais sans motif.
— Agathe ! Tu oublies les cinquante mille francs.
Son sourire se crispa.
— Tu es au courant ?
— Je n’en ai pas profité.
Gravement elle répondit :
— Je te crois.
— Où est Brigitte ?
— Je ne sais pas.
J’ai doucement serré son bras et ce simple geste a fait bouillir mon sang.
— Elle est venue. Je le sais.
— Elle est repartie immédiatement.
— Tu lui as donné de l’argent ?
— Cent mille.
Elle me débarrassait de ma valise, me poussait vers un fauteuil.
— Tu as soif ? Du café ?
— Si tu veux. Pourquoi as-tu cédé ?
Elle s’agenouilla auprès du fauteuil.
— Je n’ai eu qu’un tort. Celui de confirmer ses soupçons.
Son visage n’exprimait qu’une joie vibrante. Elle avait oublié tout.
— Quels soupçons ?
— Ton barman, Paul, lui avait laissé entendre que tu avais assassiné ton mari. Elle m’a interrogé. Elle se doutait que je te tenais sous une menace quelconque. Jamais je n’avais envisagé qu’elle se servirait un jour de mes confidences.
— C’est pour cela que tu es revenu ? Pour te justifier ?
— Oui.
— Merci, Jean-Marc. Je ne l’oublierai jamais.
— Que t’a-t-elle raconté ?
— Qu’elle avait été malade. Qu’elle en avait assez de vivre avec toi. Elle m’a dit que tu la rendais malheureuse, que tu la battais.
— C’est vrai.
— Je m’en fiche !
— Elle buvait. Jusqu’au bout j’ai lutté. Maladroitement. Avec des gifles, des scènes.
— Tant mieux. Le pire, c’est si tu avais lutté avec ton amour. Tu ne l’aimes plus. Tu ne l’aurais jamais traitée de la sorte si tu avais continué de l’aimer.
Tout de suite elle devinait ce que je ressentais. Je n’en montrais aucun dépit.
— Elle est repartie ?
— Mercredi. Elle est arrivée par le car de Sète. Je l’ai raccompagnée au retour.
— Pour quelle direction a-t-elle pris son billet ?
— Je ne sais pas. Je l’ai laissée devant la gare et puis je suis rentrée. Je croyais que tu serais là. C’est à cause d’elle que tu es revenu ?
Longuement j’ai hésité. Puis j’ai répondu :
— Non, je suis las.
— Tu vas rester ?
— Je ne sais pas.
Je songeais à ma détresse quand j’avais trouvé l’hôtel fermé. Oui, j’avais eu peur qu’elle ne soit pas là et pas une seconde je n’avais pensé à Brigitte.
— Je vais chercher ton café. Ce sera vite fait.
Elle enfila une robe grise toute simple qui la rendait encore plus belle. Il me fallait résister pour ne pas la prendre dans mes bras, la renverser sur la banquette. Chaque fois qu’elle s’approchait de moi sa respiration se faisait plus haletante et ses lèvres s’entrouvraient sur ses dents courtes, sur la pulpe de sa bouche.
Lentement j’ai bu mon café. De la terrasse de la maison qui était très surélevée, on voyait la mer et l’horizon. Mais les dunes masquaient la plage et les villas construites tout le long.
— Elle continuera de t’écrire ou bien elle viendra t’importuner ici.
Agathe haussa les épaules.
— Et puis ? Elle n’est pas très exigeante.
— Elle le deviendra, Un jour, elle sera à nouveau malade et piquera une crise de delirium tremens. C’est ce que m’a prédit le médecin de l’hôpital. Dans un moment pareil, elle racontera n’importe quoi.