Выбрать главу

Quel plaisir de m’allonger dans ces draps frais et de sentir le parfum de ce bon vieux pin ! Le vent avait tourné avec la nuit et venait du large. Toute la mer déferlait dans ma chambre.

Pourtant, je n’arrivais pas à dormir et j’imaginais Agathe se tournant elle aussi dans son lit, en rêvant de ce qu’aurait pu être cette nuit-là.

Mais j’avais aussi une autre préoccupation, et toute la journée cette question m’avait brûlé les lèvres. À plusieurs reprises, j’avais failli la poser à Agathe.

Je voulais simplement lui demander si Brigitte était vraiment repartie.

CHAPITRE XI

Dès le lendemain, j’ai cherché des traces de Brigitte. Il me fallait éviter de poser à Agathe des questions trop précises. Elle était trop fine mouche pour ne pas comprendre immédiatement le fond de ma pensée.

Toute la nuit cette idée m’avait empêché de dormir aussi profondément que je l’aurais désiré. Si Brigitte n’était pas repartie, c’est qu’Agathe l’avait tuée. Et son corps devait être caché quelque part. On lit partout qu’il est difficile de faire disparaître un corps. Encore plus pour une femme que pour un homme.

Le remords m’obsédait. Le fait était là. Si un tel drame s’était déroulé avant mon arrivée, j’avais fait de Brigitte une victime et d’Agathe une meurtrière. Je m’étais substitué au destin.

Je me suis levé tôt. Je me suis rasé, j’ai fait ma toilette à l’eau froide. Je n’ai pas toujours été habitué au confort. Pour me montrer qu’elle était réveillée et debout, Agathe avait ouvert les volets de la salle de séjour.

La villa sentait le café et j’aime cette odeur le matin en me levant. Agathe sortit de la cuisine en robe de chambre.

— Bonjour.

Elle me tendit sa joue et je l’embrassai en évitant de la serrer contre moi.

— Tu as faim ?

Quand elle s’assit, la robe de chambre s’ouvrit sur ses longues jambes. Elle était nue dessous. Mais elle se hâta de resserrer les deux pans de son vêtement.

— Bien dormi ?

— Oui. Et toi ?

— Comme toi.

Nous avons ri. Puis elle a été déçue.

— Tu t’es rasé là-bas ? Moi qui espérais t’entendre faire ta toilette dans la salle de bains. Cette maison manque de bruits familiers. Parfois, j’ai l’impression que le silence irradie jusqu’au dehors, et c’est insoutenable.

J’en profitai pour lui demander si elle avait de proches voisins.

— La villa blanche, que tu vois là-bas, est habitée par un vieux couple, et leur bonne aussi vieille qu’eux. Je crois qu’il y a plusieurs personnes au bord de la mer.

— C’est bien désert.

— J’y suis habituée.

— On pourrait crier sans que personne vienne.

C’était encore trop brutal. Pourtant, elle fit un effort pour plaisanter.

— Tu veux crier ?

Mais une sorte d’équivoque était née de mes paroles. J’ai essayé de la dissiper.

— Veux-tu que nous allions nous promener au bord de la mer ?

— Je vais m’habiller.

De grosses vagues roulaient sur le sable. La bande de plage entre la dune et la mer était plus réduite que l’été. Agathe m’expliqua que l’hiver c’était toujours la même chose. Nous avons marché vers le nord, en direction du Canal des Allemands, creusé durant l’occupation mais qui est en partie ensablé.

Nous nous sommes assis dans le creux d’une dune et peu après Agathe a posé sa tête sur mes cuisses. Je me suis penché vers elle. Ses yeux étaient fermés, mais sa respiration se pressait entre ses lèvres humides.

— Sommeil ?

— Je n’ai pas fermé l’œil de toute cette nuit. Plusieurs fois je me suis relevée pour sortir et venir te retrouver. Tu n’aurais pas pu me renvoyer.

Elle ouvrit les yeux. Je vais me répéter, mais ils avaient une fluidité étonnante. Ils étaient mouvants comme l’eau de la mer et leur couleur sombre avait des fonds marins. Aussi surprenant que cela paraisse, ils devenaient tendres.

— Jean-Marc, c’est fini. Tu resteras à la villa ce soir. Tu ne me quitteras plus.

Sa voix était caressante. Ma gorge se nouait et, en même temps, je me demandai si elle avait peur de me laisser seul la nuit entière dans rétablissement. Si Brigitte n’était pas repartie, son corps ne pouvait se trouver ailleurs.

— Embrasse-moi.

J’effleurai ses lèvres de ma bouche, mais elle souleva la tête, noua ses bras autour de mon cou et notre baiser se fit profond, interminable.

Ce fut elle encore qui se renversa dans le sable, m’entraînant sur elle.

— Ici, Jean-Marc, n’attends pas !

Il devait y avoir des gens autour de nous. Des pêcheurs ou des vignerons. Le vent nous apportait des mots rocailleux prononcés par une voix du pays. On nous a peut-être vus en train de faire l’amour. C’est même certain, mais je venais de sombrer dans un vertige irrésistible.

Nous sommes restés dans le sable, à moitié nus, jusqu’à midi, graves, silencieux, peut-être éblouis. Le soleil nous prenait comme dans une nasse de lumière et de tiédeur. Et le vent sifflait dans les tamaris, en haut de la montagne de sable.

Une barque est passée à moins de cent mètres de nous avec sa voile latine gonflée. Il y avait deux hommes à bord et ils ont regardé dans notre direction, en mettant leur main au-dessus de leurs yeux. La chair d’Agathe faisait une tache plus sombre sur le sable d’un gris léger.

L’après-midi, nous sommes allés à Agde faire des achats. Je conduisais et elle se tenait contre moi, les yeux fermés, heureuse. Je ne pouvais atteindre cette sérénité. Il y avait tant de choses qui luttaient encore en moi.

Nous roulions lentement. Il y avait des amandiers et des pêchers en fleurs. Nous étions en février et déjà la région sentait le printemps.

Évidemment, j’ai abandonné la chambre 8 de l’hôtel pour réinstaller à la villa. Je n’avais plus de prétexte pour fouiller les caves de l’établissement. Agathe ferma les portes. Elles ne s’ouvriraient que dans quinze jours.

Le lendemain, Paul le barman est venu. Il parut gêné que nous soyons seuls, Agathe et moi. Je voyais bien qu’il brûlait de me demander des nouvelles de Brigitte mais qu’il n’osait pas. Il avait dû souvent songer à elle au cours de ses deux mois de congé.

— Vous reprenez votre travail le premier mars, lui annonça Agathe.

Cela parut le soulager. Peut-être qu’il avait rencontré Corcel et que ce dernier lui avait fait part de ses craintes.

— Vous viendrez la veille. Tout est en ordre, mais il faut certainement renouveler le stock de quelques marques.

— Corcel revient aussi le même jour ?

— Bien sûr ! dit Agathe en me lançant un clin d’œil amusé.

— Bien, je vais rentrer.

Je l’accompagnai jusqu’à l’hôtel. Il avait laissé sa moto à côté.

— Mlle Brigitte est partie ? finit-il par demander.

— Oui.

— Nous la reverrons cet été ?

— Certainement pas.

Cela lui donna un coup. Il en paraissait vraiment amoureux.

— Écoutez-moi, Paul.

Surpris, il cessa de tripoter ses gants de cuir fourré.

— Oui ?

— Je vais certainement m’associer avec Mme Barnier pour la conduite de cet hôtel. Nous avons des projets. Il faut que tout marche à la perfection si nous voulons les réaliser. Vous me connaissez. Je ne suis pas le mauvais type, mais j’ai horreur des histoires et des racontars. Souvenez-vous de ce qui est arrivé à Paulette.

Il était tellement couard qu’il se mit à la critiquer avec une platitude qui m’écœura vite. Je lui coupai la parole.