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Mais je voulais lutter. Notre amour devait détruire sur place ses origines malsaines. Il fallait anéantir le souvenir de ce que j’avais fait.

Lentement, nous nous enfoncions dans la saison chaude, dans le travail. Nous ne pouvions passer nos soirées auprès du feu et la cheminée était vide, les briques bien nettoyées. J’avais parfois une impression de froid quand je pénétrais dans le living.

Nous ne sortions plus ensemble. Pendant qu’elle faisait les courses avec la fourgonnette, je surveillais le personnel, ou vice-versa.

Je finis par remarquer les longues absences de ma maîtresse. Notamment quand elle se rendait à Béziers. J’ai commencé par m’en inquiéter.

J’ai hésité avant d’emprunter la deux-chevaux de Corcel.

Ce jour-là, un mardi, Agathe avait quitté l’établissement depuis une demi-heure. Il était neuf heures. Sans plus attendre, je me suis rendu à la cuisine. Corcel préparait ses casseroles pour le repas.

— Mme Agathe a oublié une commission et je voudrais bien qu’elle la rapporte. C’est assez urgent. Pouvez-vous me louer votre voiture ?

Le petit air ironique du cuisinier ne m’a pas échappé. Mais j’étais décidé à ne pas m’en préoccuper.

— Toujours au même tarif, ai-je spécifié.

— Oh, patron, payez-moi l’essence simplement et ça ira bien ainsi ! répondit-il goguenard.

Une demi-heure plus tard, j’étais en vue de Béziers, et tout de suite je me suis dirigé vers le Majorque. J’ai laissé ma voiture à quelque distance.

La 403 était invisible. Pris de remords, je me suis rendu chez un grossiste où nous nous approvisionnions.

L’employé m’a reconnu.

— Mme Barnier a oublié quelque chose ?

— Oui, ai-je fait au hasard, des conserves de petits pois.

Il m’a regardé avec stupéfaction.

— Elle en a pris deux caisses.

— Donnez-m’en une de plus. Nous avons plusieurs banquets en prévision.

Ma caisse dans la voiture, je filai ailleurs. Agathe avait fait toutes ses courses. Furieux contre moi-même, je me rendis encore au Majorque. Cette fois, la fourgonnette était bien dans la petite rue. Je suis passé sans m’arrêter et suis allé garer la petite voiture sur une place.

Comme je revenais rapidement vers le bar le long du trottoir, j’ai vu Agathe qui sortait. J’ai hésité et, au moment où elle s’installait au volant de la 403, je me suis penché par la portière.

— Toi ? m’a-t-elle simplement dit.

Mais elle était triste. J’avais envie de la gifler et de lui faire du mal.

— Que faisais-tu là ?

— Veux-tu que nous allions prendre quelque chose sur les Allées ? Je meurs de soif.

— Parce que tu n’as pas consommé à l’intérieur ! ai-je ricané.

— Je t’attends au Glacier.

Quand j’arrivai, elle fumait une cigarette à la terrasse. Je me suis laissé tomber dans le fauteuil voisin avec lassitude.

— Tu m’as suivie ?

— Pourquoi vas-tu au Majorque chaque fois que tu viens à Béziers ?

Le garçon lui a permis de ne pas répondre. Nous sommes restés silencieux jusqu’à ce que nos deux apéritifs soient devant nous.

— Alors ?

— Je viens demander des nouvelles d’Henri.

— Il n’est plus à Béziers ?

— Non. Fred refuse de répondre, mais j’espère le lasser à la longue.

— Que lui veux-tu ?

Elle souriait avec tristesse. J’ai eu l’impression que brusquement nous nous trouvions en automne et que nous allions être séparés. J’ai pris sa main.

— Pardonne-moi.

— Henri a quitté la ville. Je suppose qu’il se trouve à Toulouse ou à Bordeaux.

— Et puis ?

— Elle est peut-être avec lui.

Voilà, c’est elle qu’elle cherchait.

— Tu n’es pas certain qu’elle est en vie. Tu as toujours un doute. J’essaye de le faire disparaître. Je n’aurais pas dû me montrer cachottière, mais j’hésitais à te parler de ces choses que nous avons enterrées si profondément au fond de nous-mêmes. Pourtant, je suis contente que tu sois venu.

— Tu m’en veux ?

— Mais non. Je regrette de ne pas savoir si elle est avec lui.

J’ai vidé mon verre, allumé une cigarette.

— Cette femme qui travaillait pour lui ?

— Disparue elle aussi.

— Je vais allez voir Fred. Il faudra bien qu’il parle.

— Non, La brutalité n’y ferait rien. Il faut que j’y arrive par la persuasion. Fred est un vieil ami.

— Vraiment ?

Mon ton ironique l’a vexée, pour la première fois depuis mon retour.

— Oui, un ami, malgré son métier. Quand il comprendra que c’est mon bonheur qui est en jeu, peut-être se laissera-t-il fléchir à la longue.

— Il te faudra y mettre le prix.

Tranquillement, elle m’a regardé.

— Il a été mon amant. Il sait maintenant que ce genre de paiement n’est plus possible entre nous.

— Et tu joues la carte sentimentale ?

— Peut-être je deviens idiote en étant amoureuse.

J’ai payé le garçon. Nous nous sommes levés et avons fait quelques pas dans les Allées.

— Je ne veux plus que tu reviennes.

— Oui.

Cette soumission m’étonnait encore.

— Je ne veux plus que tu revoies Fred. Je suis persuadé qu’elle est en vie.

— Un jour, elle confiera à Henri ce que tu lui as appris.

J’ai haussé les épaules.

— Et alors ?

— Tu n’as pas peur ?

— Non, je t’ai dit une fois que je pouvais L’empêcher de parler. Tranquillise-toi.

Mais elle marchait, le regard fixe. J’ai failli tout lui expliquer sur-le-champ, au milieu de cette foule qui passait à nos côtés avec nonchalance.

— Il n’est pas besoin de te tracasser. Le jour où elle en aura assez de la vie qu’Henri doit lui faire mener, elle reviendra.

— Il y aura toujours cette menace. Aujourd’hui, je regrette de pas l’avoir fait.

Je ne lui demandai pas quoi. Je comprenais parfaitement. Elle ne pouvait savoir quelle avait été sa chance, notre chance.

— Nous allons rentrer. Il faut que Corcel voie que nous sommes ensemble.

— Bien.

Ensemble nous sommes arrivés et le cuisinier faisait une drôle de tête en nous voyant transporter les achats à la réserve. Il avait dû s’imaginer que nous étions en désaccord.

L’après-midi, profitant d’une heure de répit, nous sommes allés nous baigner. La plage nous appartenait.

— Vendons et partons, me dit encore Agathe.

Cette fois, je ne répondis pas.

CHAPITRE XIII

Le dimanche suivant, nous n’avions encore pris aucune décision. Nous ne pouvions abandonner l’établissement en pleine saison, nous privant ainsi d’une recette intéressante. Nous avons décidé d’attendre le mois de septembre pour envisager la vente de l’hôtel et de la villa. Agathe pensait que l’ensemble pouvait nous rapporter une vingtaine de millions que nous irions investir ailleurs. Personnellement, je savais que je regretterais ce pays.

Il était cinq heures de l’après-midi et nous jouions depuis une heure quand j’ai eu l’impression que quelqu’un m’épiait.

Avec prudence, j’ai cherché dans la salle remplie de danseurs la personne qui ne cessait de me surveiller, et je l’ai enfin découverte.

Tout de suite mon cœur s’est mis à battre follement et la transpiration a envahi mon visage. J’ai dû jouer plus fort, car l’accordéoniste m’a jeté un regard surpris.