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Puis j’ai plaqué mon piano pour foncer vers le petit bonhomme chauve et gros qui buvait une liqueur au bar. J’étais fou de colère. Sans aucun motif.

— Bonjour, Sauvel. Toujours à la même place ?

— Toujours fidèle au triple-sec, Santy ?

C’était son vice. Il a haussé les épaules. Il portait un complet clair avec une cravate tapageuse sur laquelle brillait une épingle énorme.

— Je vous offre quelque chose si vous voulez.

J’ai eu un petit sourire ironique. Il ignorait donc que j’étais le patron.

— D’accord. Paul, une bière.

— Bien, patron !

Santy a sursauté. Puis il a dû penser que c’était une appellation familière.

— Que faites-vous dans le coin ?

— Je cherche quelqu’un.

Les lèvres plongées dans la mousse de ma bière, j’essayais de faire bonne figure, mais Santy a trop l’habitude des hommes et des femmes, du cheptel humain, pour s’en laisser compter. Ses gros yeux vicieux me regardaient avec une lueur méchante.

— Je cherche Brigitte Faure.

— Elle n’est plus ici.

— Où est-elle alors ? C’est l’adresse qu’elle m’a donnée avant de m’emprunter vingt-cinq mille francs.

— Comment ?

Il a piqué un cigarillo dans sa poche et l’a allumé sans se presser. Toujours le même tic. Quand vous veniez lui demander du travail, c’est ainsi qu’il opérait en vous examinant de ses yeux de bouledogue.

— Oui. Je lui ai envoyé vingt-cinq mille francs à l’hôpital de Cannes. Elle m’a dit qu’elle allait se reposer à Marseillan-Plage pendant un mois, et qu’ensuite elle travaillerait à nouveau. Le mois est écoulé. J’ai envoyé une lettre qui m’a été retournée après avoir été décachetée. Très habilement peut-être, mais je suis capable de m’apercevoir d’un truc pareil. Comme j’avais une affaire à régler à Palavas, j’en ai profité pour m’arrêter dans le coin.

Son petit cigare puait. Mais je n’osais ni m’écarter ni le lui faire remarquer. Ce petit homme visqueux me fascinait. J’avais l’impression qu’il faisait sauter mon destin dans sa main potelée.

— Vingt-cinq mille, c’est peu, mais j’ai une reconnaissance de dette. Je suis un malin, Sauvel, vous le savez certainement. Je ne me laisse jamais gruger, même de vingt sous. Si Brigitte ne rend pas cet argent, je porte plainte. Pour vingt-cinq mille francs, la police ne s’agitera pas beaucoup. Mais on viendra quand même vous importuner. Ce serait embêtant.

J’ai fait semblant de prendre la chose à la rigolade.

— Vous êtes vraiment fauché à ce point ?

Agathe est arrivée. Elle s’est approchée de nous et a glissé sa main sur mon bras. Santy n’a rien perdu de tout ça. Il s’est incliné avec une politesse presque injurieuse.

— Mme Barnier, la propriétaire de l’établissement.

L’imprésario m’a regardé, puis a souri.

— Mes hommages.

— M. Santy, imprésario.

— C’est moi qui vous ai envoyé M. Sauvel.

— Je vous en remercie infiniment, a répondu Agathe avec ce ton froid que je ne lui connaissais plus depuis longtemps. Mais je crois que Jean-Marc n’aura plus jamais besoin de vos services.

— Tant pis pour moi, tant mieux pour lui.

Paul écoutait d’une oreille tout en exécutant les commandes des serveuses.

— Nous allons nous marier.

— Félicitations, sincères félicitations !

Le barman en tremblait, lui, en versant ses liquides.

— Nous parlions de Mlle Brigitte Faure.

— Elle n’est plus chez moi, a dit Agathe avec une désinvolture acide.

— C’est ce que je viens d’apprendre. C’est ennuyeux…

À ce moment-là, on est venu appeler Agathe pour une question de menu.

— Venez sur la terrasse, ai-je dit à Santy. Nous serons plus à l’aise pour discuter.

Nous avons trouvé une table isolée.

— Pour les vingt-cinq mille francs, nous pouvons toujours nous entendre, ai-je attaqué. Bien que tout soit fini entre Brigitte et moi, je peux encore prendre cette dette à ma charge.

Santy n’a pas répondu tout de suite et quand il l’a fait, ce fut pour apprécier la beauté d’Agathe.

— Une femme splendide, en effet ! Et quelle situation ! Voilà un établissement qui doit rapporter gros, bien qu’il soit situé sur une plage de seconde catégorie. Dites donc, Sauvel, vous réalisez un splendide mariage.

— Ce n’est pas le moment de discuter de ça ! ai-je fait d’un ton sec.

— Je crois que si.

Un nouveau cigarillo est venu se planter dans les lèvres humides et roses.

— Vous parliez de me rembourser les vingt-cinq mille ? Très bien, j’ai la reconnaissance de dettes sur moi. Mais pour vous, ce sera vingt fois plus.

Abasourdi, je me penchai en avant.

— Comment ?

— Vingt fois plus. Sinon, je porte plainte contre Brigitte. J’ai l’impression que vous n’avez pas envie d’être inquiété.

Je me suis levé.

— Foutez le camp, Santy !

— Pas question, vous le regretteriez trop.

Il m’a attiré par la veste.

— Asseyez-vous et écoutez-moi.

Malgré tout, J’ai obéi.

— Brigitte a disparu. Normalement, elle devait se trouver ici et elle n’y est plus. Je trouve ça bizarre car elle tenait à vous. Elle était folle de vous et vous ne vous en seriez pas débarrassé facilement pour épouser cette femme.

Comment lui expliquer la transformation de Brigitte ? Il ne m’aurait pas cru et, à l’avance, j’éprouvais la nausée à parler de cette lente déchéance que je n’avais su éviter.

— En admettant qu’elle ait quitté ce coin, son premier souci aurait été d’entrer en rapport avec moi. Je la connais bien, vous savez. Or, rien de tout ça. Donc, je présume que vous êtes pour quelque chose dans cette disparition.

À mon tour, j’ai allumé une cigarette. J’étais plus calme de voir la bagarre se déclencher.

— Et vous venez me rançonner ?

— Cinq cent mille, c’est peu. Je vous remets la reconnaissance de dettes et vous n’entendez plus jamais parler de moi.

Je n’étais pas dupe.

— Et par là-même, je signe en quelque sorte l’aveu d’avoir tué mon ancienne maîtresse, et d’en avoir caché le corps. Vous êtes fou, Santy ! Je savais fort bien que votre profession d’imprésario cachait une entreprise de chantage, mais je ne pensais pas que vous étiez capable d’aller aussi loin.

— Vous avez tort, Sauvel. Dès mon retour à Toulouse, je vais porter plainte pour ces vingt-cinq mille francs.

Mais j’avais confiance en Agathe. Elle m’avait juré que Brigitte était repartie de chez elle en vie et je la croyais.

— Fichez le camp, Santy !

— Je spécifierai qu’elle vivait en concubinage avec vous. On viendra vous poser des questions auxquelles vous ne pourrez peut-être pas répondre.

J’avais envie de le prendre par le cou, de lui faire traverser ainsi toute la terrasse. Je me suis retenu.

— Filez et n’y revenez jamais plus !

Avant de reprendre ma place à l’orchestre, j’ai cherché Agathe. Elle fumait une cigarette dans son bureau. Elle paraissait lasse.

— Que voulait-il ?

Je le lui ai expliqué.

— Alors ?

— J’ai refusé de lui donner un sou.

— Pourquoi ?

— Parce que j’ai la certitude que Brigitte est vivante.

Sans un mot, elle est venue me rejoindre et nous nous sommes embrassés silencieusement.

— Merci, Jean-Marc. Chaque jour tu m’apportes une preuve de plus de ta confiance.