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Puis je me mis à rire.

— Quand nous marions-nous ?

— Tu n’es pas d’accord ?

— Si. Mais c’est toi qui m’as fait la surprise. D’ordinaire, c’est le fiancé qui annonce ce genre de choses.

— Nous pourrions le faire à la fin de la saison.

— Comme tu voudras.

Depuis mon piano, j’ai pu voir la tête que faisait Paul le barman. Il avait entendu parler de Brigitte et il devait se poser des tas de questions. Cet imbécile-là en était toujours amoureux, et je crois bien qu’il l’est encore. Dans le pays, il avait une réputation de timide et de refoulé sexuel. On l’accusait de faire le voyeur à l’occasion et de poursuivre les petites filles dans les coins sombres. Il y avait certainement beaucoup d’exagération, mais je comprenais parfaitement qu’un type pareil ait pu avoir le coup de foudre pour une fille comme Brigitte, experte dans l’art d’aguicher les hommes.

Il s’est évidemment empressé de répandre autour de lui la nouvelle de notre prochain mariage. Le complot a pris une autre forme. Il est devenu plus sournois, plus occulte. L’annonce de la future légalité de notre union nous apporta une sorte de soutien. Le personnel, Paul et Corcel surtout, se montra beaucoup plus obséquieux, comme s’il craignait pour sa propre existence. Peut-être se doutait-il obscurément de nos projets de vente.

Le lendemain, nous ne pensions même plus à la visite de Santy. Nous vivions à nouveau dans l’euphorie habituelle, cherchant avidement les rares moments qui nous réunissaient seuls, que ce soit à la villa ou au bord de la mer. Et de plus en plus nous parlions de notre mariage et de la vente des biens d’Agathe.

J’ai autorisé ma maîtresse à téléphoner au bar de Fred pour essayer d’avoir des nouvelles de Brigitte. Mais le patron du Majorque s’est montré aussi discret que les autres fois. On a eu l’impression qu’il avait envie de parler, mais qu’un dernier scrupule le retenait.

Et puis les gendarmes sont venus me voir.

Ils étaient, deux. Un brigadier et un gendarme. L’adjudant, qui nous connaissait bien pourtant, s’était prudemment abstenu.

Nous nous sommes tous les quatre enfermés dans le bureau d’Agathe. Paul ne tenait plus en place. De son bar, il nous a suivis d’un regard excité.

— Nous recherchons une fille, Brigitte Faure, née à Paris le 4 octobre 1933. Elle est poursuivie à la suite d’une plainte déposée à Toulouse par Jérôme Santy, imprésario. Pour non paiement d’une dette de vingt-cinq mille francs.

Le brigadier a souri.

— Ce n’est pas beaucoup, mais nous sommes obligés de faire notre travail. Ce type-là a indiqué que cette fille vivait avec vous en concubinage depuis plus de quatre ans.

— C’est exact, mais il y a deux mois environ que nous sommes séparés.

— Elle n’habite plus ici ?

— Non. La dernière fois que nous nous sommes vus, c’est à l’hôpital de Cannes.

— Vous ne savez pas où elle se trouve en ce moment ?

— Absolument pas.

Le brigadier a refermé son carnet.

— Bien. On transmettra. Pour vingt-cinq mille francs, le type fait bien du bruit. Est-ce qu’il y a des personnes qui pourraient nous renseigner sur elle ?

— Je n’en vois aucune. De vagues camarade de travail, mais ce Santy serait alors plus à même de vous renseigner.

— Parfait !

Nous sommes ensuite allés boire un verre au bar. Paul posait, sur les deux représentants de l’autorité, des regards anxieux de curiosité. Quand ils sont partis, j’ai eu pitié de lui.

— Vous savez ce qu’ils sont venus faire ?

— Non.

— Ils cherchent Brigitte.

Il a avalé sa salive avec difficulté.

— Elle a fait quelque chose de répréhensible ?

— Elle doit vingt-cinq mille francs à quelqu’un.

Du coup, il a osé en demander davantage.

— Au type qui est venu l’autre dimanche ?

— Exactement. Vous en savez autant que moi.

— J’ai entendu une partie de la conversation qu’il a eue avec vous. Ils ne savent pas où elle est ?

— Non.

Soudain, il a pris une tête de chien battu.

— Écoutez, patron… Je sais où elle se trouve.

J’étais trop ahuri pour parler. D’un seul coup, il déballa tout.

— Il y a un peu plus d’un mois elle m’a écrit. Pour que j’aille la retrouver.

— Où ?

— À Béziers. Elle habitait à l’hôtel.

Il rougit violemment.

— Je suis resté trois jours avec elle.

J’ai eu un petit sourire. Brigitte n’avait pas fini de nous étonner sur ses nouvelles dispositions.

— Puis elle a disparu un matin. J’avais pris toutes mes économies. Il restait cent cinquante mille francs, elle est partie avec. Mais j’ai eu de ses nouvelles. Elle se trouve à Toulouse. Attendez.

De son portefeuille, il a sorti une lettre. Elle l’appelait Paul chéri.

— Lisez-la.

Elle lui demandait de lui pardonner pour l’argent qu’elle lui avait volé. « Demande à Agathe qu’elle te les rende en spécifiant bien que c’est moi qui l’exige. Elle ne pourra pas te les refuser. »

— Je n’ai pas osé, vous comprenez. Croyez-vous que…

La petite garce ! Si je continuais à la laisser faire, dans quelque temps, il y aurait vingt personnes à savoir qu’elle avait un moyen de pression sur nous.

Froidement, j’ai fixé Paul bien en face. Il supporte difficilement ce genre d’épreuve.

— Je crois que vous pouvez faire votre deuil de votre argent. Nous refusons de vous le rendre à sa place. Elle a trop abusé de notre indulgence à son égard. Maintenant c’est fini.

Il était devenu pâle. Je savais que son amour pour Brigitte se disputait avec son avarice.

— Qu’est-ce que je fais ?

— Portez plainte. La lettre servira de preuves.

Mais il ne l’a pas fait tout de suite. Il a attendu jusqu’au bout, dans l’espoir que Brigitte reviendrait avec lui. Je n’aurais pas dû lui donner ce conseil-là.

CHAPITRE XIV

Le même jour, après avoir longuement réfléchi, je suis revenu trouver Paul.

— Redonnez-moi cette lettre de Brigitte. De nouveau méfiant, il m’a regardé en coin.

— Pour quoi faire ? Je ne me débarrasse pas d’une telle preuve.

— Je veux son adresse.

Je ne sais pas où il a puisé sa témérité, mais après quelques secondes de silence il a osé me demander :

— Me rendrez-vous les cent cinquante mille francs ?

Stupéfait, je ne réagis pas aussi violemment qu’il l’avait craint.

— Me donnez-vous cette adresse, oui ou non ?

Il a cédé. Il a certainement eu peur que je ne le fiche dehors. Puis il s’est mis à gémir.

— Comment faire pour récupérer cette somme ?

Je recopiai l’adresse sur une feuille de bloc. Je l’ai soigneusement pliée dans mon portefeuille.

— J’ai un conseil à vous donner, Paul, c’est de ne pas parler de toute cette histoire à Mme Barnier. Du moins pour l’instant. Vous m’avez compris ?

— Oui, monsieur.

Pourtant, il me fallait un prétexte pour me rendre à Toulouse, et Agathe ne fut pas dupe longtemps.

— C’est elle que tu vas retrouver ?

En Brigitte, elle ne voyait que cette femme qui avait été ma maîtresse. Sa jalousie réveillait son ancienne agressivité. Pendant quelques minutes, nous nous sommes complus dans le mal que nous nous faisions.

— Il faut que je la voie, que je lui parle.