De près, le Scopuli n’avait pas l’air en si mauvais état. À l’exception du trou béant dans son flanc, il n’avait souffert d’aucun dommage. Il n’avait pas percuté l’astéroïde, c’était évident : on l’avait seulement laissé assez près pour que la microgravité du rocher le maintienne en place. Holden prit des photos avec l’objectif intégré à son casque et les transmit au Canterbury.
Naomi stoppa l’araignée trois mètres au-dessus du trou dans la coque du Scopuli. Amos poussa un sifflement bas qui se diffusa dans leur circuit de communication.
— Ce n’est pas une torpille qui a fait ça, chef. C’est une mine. Vous voyez comment le métal est recourbé sur tout le pourtour de la brèche ? On a collé une mine directement sur la coque.
En plus d’être un mécanicien compétent, Amos se servait d’explosifs pour briser les icebergs flottant autour de Saturne et les transformer en morceaux plus faciles à manier. Une autre bonne raison de l’avoir à bord du Knight.
— Donc nos amis du Scopuli s’arrêtent, laissent quelqu’un grimper sur leur coque et poser une mine, résuma Holden. Résultat : cette brèche, et tout l’air s’échappe du vaisseau. Vous trouvez ça logique, vous ?
— Non, répondit Naomi. Absolument pas. Vous voulez toujours aller à l’intérieur ?
Si vous remarquez quoi que ce soit qui vous semble ne pas coller, ne vous remettez pas à jouer au héros. Vous remballez et vous rentrez au bercail.
Mais à quoi s’était-il attendu ? Bien sûr que le Scopuli n’était pas en état de marche. Bien sûr que quelque chose n’allait pas du tout avec ce vaisseau. Le plus étonnant aurait été de ne rien voir d’étrange.
— Amos, dit-il, gardez votre arme à la main, juste au cas où. Naomi, vous pouvez élargir la brèche ? Et allez-y avec prudence. Si vous remarquez quoi que ce soit qui cloche, tout le monde fait marche arrière.
Naomi approcha son appareil par petites poussées de nitrogène semblables à une respiration humaine dans une nuit froide. Le chalumeau de l’araignée s’alluma, et sa flamme passa du rouge au blanc, puis au bleu. En silence, les bras articulés se déplièrent dans un mouvement d’insecte, et Naomi commença à découper. Holden et Amos se laissèrent tomber à la surface du vaisseau grâce à leurs semelles magnétiques. Holden sentit la vibration dans ses pieds quand Naomi détacha un morceau de coque. Un moment plus tard le chalumeau s’éteignit et Naomi arrosa les bords de la brèche avec un jet refroidissant. Holden fit signe à Amos que tout allait bien, avant de se laisser glisser très lentement à l’intérieur du Scopuli.
La charge explosive avait été placée presque exactement au milieu du vaisseau et avait créé une brèche dans la coquerie. Quand les bottes d’Holden se collèrent à la cloison, il sentit des morceaux de nourriture gelés crisser sous ses semelles. Il n’y avait aucun corps en vue.
— Vous pouvez venir, Amos. Pas de membre d’équipage visible, dit-il dans sa radio.
Il se déplaça de côté et un instant plus tard le mécanicien le rejoignait, son arme dans la main droite, une torche électrique puissante dans la gauche. Le faisceau blanc balaya les murs de la coquerie.
— On commence par quel côté ?
Holden se tapota la cuisse d’une main, tout en réfléchissant.
— La mécanique d’abord. Je veux savoir pourquoi le réacteur est déconnecté.
Ils empruntèrent une échelle en direction de l’arrière du vaisseau. Toutes les portes pressurisées étaient ouvertes, ce qui était mauvais signe. Elles auraient dû être fermées, surtout si l’alarme de perte d’atmosphère s’était déclenchée. Pas un seul pont avec une atmosphère. Donc pas de survivants. Ce n’était pas une surprise, mais la constatation entraînait quand même une sensation d’échec. Ils traversèrent le petit vaisseau rapidement, et firent halte dans la réserve attenante à la salle des machines. Les éléments moteurs coûteux et les outils étaient à leur place.
— À mon avis, ce n’était pas un vol, dit Amos.
Holden ne répondit pas Alors c’était quoi ? mais la question resta en suspens entre eux.
La salle des machines était impeccable, froide et morte. Holden patienta pendant qu’Amos l’examinait. Le mécanicien consacra dix minutes à flotter autour du réacteur.
— Quelqu’un a effectué les procédures de mise à l’arrêt, dit-il enfin. Le réacteur ne s’est pas coupé à cause de l’explosion, on l’a éteint après. Pas de dommages apparents. Tout ça n’a aucun sens. Si tout l’équipage a péri durant l’attaque, qui a éteint le réacteur ? Et si c’est l’œuvre de pirates, pourquoi n’ont-ils pas emporté le vaisseau ? Il est toujours en état de marche.
— Et avant d’éteindre, ils ont pris la peine d’ouvrir toutes les portes pressurisées du vaisseau, dit Holden. Pour évacuer tout l’air. J’imagine que c’était au cas où quelqu’un de l’équipage se serait caché dans un coin. C’est bon, remontons aux ops et voyons si nous parvenons à pirater l’ordinateur de bord. Il nous apprendra peut-être ce qui s’est passé.
En flottant, ils retournèrent vers l’avant le long de l’échelle, puis arrivèrent au pont des ops. Là aussi, l’endroit était désert et n’avait subi aucun dommage. Le manque de cadavres commençait à déranger Holden plus que leur présence ne l’aurait fait. Il arriva au poste informatique principal et pianota sur quelques touches pour voir si le système fonctionnait encore sur son circuit de sauvegarde. Ce n’était pas le cas.
— Amos, commencez à extraire l’unité centrale. Nous allons l’emmener avec nous. Je vais vérifier les communications, pour voir si je peux trouver cette balise de détresse.
Le mécano s’approcha de la console et sortit des outils pour s’attaquer au panneau devant lui. Tout en travaillant, il se mit à marmonner un chapelet sans fin d’insanités. Comme l’ensemble n’était pas aussi plaisant que Naomi quand elle fredonnait, Holden coupa la liaison comm et se dirigea vers la console des communications. Elle était hors service, comme le reste des équipements du vaisseau. Mais il trouva la balise.
Personne ne l’avait activée. Quelque chose d’autre les avait attirés ici. Perplexe, Holden recula.
Il survola la salle du regard, pour repérer quelque chose qui n’aurait pas été à sa place. Là, sur le pont, sous la console de l’opérateur des communications : un petit boîtier noir qui n’était relié à rien.
Son cœur s’arrêta de battre pendant ce qui lui sembla être un long moment. Il héla Amos :
— Ça ressemble à une bombe, d’après vous ?
Le mécano ne réagit pas. Holden rétablit la transmission avec lui.
— Amos, est-ce que ça ressemble à une bombe pour vous ? fit-il en désignant le boîtier suspect.
Le mécanicien cessa de travailler sur le terminal et se laissa dériver jusqu’à l’objet en question. D’un geste qui serra la gorge d’Holden, il saisit le boîtier et le souleva.
— Non. C’est un émetteur. Vous voyez ? dit-il, et il brandit l’appareil devant le casque d’Holden. Il y a simplement une batterie qui y est reliée. Qu’est-ce que ça fout ici ?
— C’est la balise de détresse que nous avons tracée. Merde. Celle du vaisseau ne s’est jamais déclenchée. Quelqu’un a utilisé cet émetteur pour en faire une fausse, qu’il a reliée à la batterie.