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Le brouillard rouge qui noyait sa vision était maintenant parcouru de pulsations suivant un rythme singulier. Il lui fallut un moment pour se rendre compte qu’un voyant rouge clignotait sur sa console, l’avertissant d’un appel en provenance du Ravi. Il prit appui sur un siège anti-crash proche et se propulsa vers son poste pour ouvrir la ligne.

— Ici le Rossinante, allez-y, Ravi.

— Holden, pourquoi nous sommes-nous arrêtés ? demanda McBride.

— Parce que nous ne pouvions pas suivre, de toute façon, et que le danger de pertes parmi l’équipage devenait trop grand, répondit-il.

L’explication paraissait faible, même à ses propres oreilles. Une forme de lâcheté. McBride ne sembla pas le remarquer.

— Bien reçu. Je vais demander de nouveaux ordres. Je vous ferai savoir s’il y a du changement.

Holden mit fin à la connexion et posa un regard absent sur la console. Le système de traçage visuel faisait de son mieux pour ne pas perdre Éros. Le Rossi était un bon vaisseau. Ce qu’on pouvait trouver de mieux dans sa catégorie. Et comme Alex avait classé l’astéroïde dans les menaces, l’ordinateur de bord ferait tout ce qui était en son pouvoir pour le suivre à la trace. Mais Éros était un objet se déplaçant très rapidement, réfléchissant peu les radiations, et invisible pour les radars. Il pouvait adopter des changements de trajectoire imprévisibles en maintenant une vélocité très élevée. Ce n’était qu’une question de temps avant qu’ils perdent sa trace, en particulier s’il voulait que cela arrive.

À côté de l’affichage des informations relatives au traçage, une petite fenêtre de données s’ouvrit pour l’informer que le Ravi avait activé son transpondeur. C’était la procédure standard même pour les unités militaires, quand il n’y avait pas de menace apparente ou de nécessité de discrétion. Le radio de la corvette onusienne l’avait rallumé par habitude.

Et maintenant le Rossi l’enregistrait comme appareil connu, ainsi que le prouvait la mention de son nom et le point lumineux vert clignotant à côté de sa localisation. Holden le fixa du regard un long moment, et il sentit qu’il écarquillait les yeux sous le coup de la surprise.

— Merde…

Il ouvrit le circuit comm interne.

— Naomi, j’ai besoin de toi aux ops.

— Je pense que je ferais mieux de rester encore un peu en bas, répliqua-t-elle.

Il écrasa le bouton d’alerte du poste de combat sur sa console. L’éclairage vira au rouge et une alarme retentit par trois fois.

— Officier en second Nagata, aux ops, ordonna-t-il.

Elle lui passerait un savon plus tard, et il ne l’aurait pas volé. Mais pour l’instant il n’y avait pas de temps à perdre.

Elle arriva en moins d’une minute. Il était déjà retourné se harnacher dans son siège anti-crash, et il activait le registre comm. Naomi s’installa dans son siège et se sangla elle aussi. Elle lui lança un regard interrogateur – On va donc y passer, finalement ? – mais ne dit rien. Il éprouvait pour elle autant d’admiration que d’irritation. Il trouva ce qu’il cherchait dans le registre.

— Bon, nous avons eu un contact radio avec Miller après qu’Éros a disparu des écrans radar. Exact ?

— Oui, dit-elle. Mais le système comm de sa combinaison n’est pas assez puissant pour émettre très loin à travers l’enveloppe d’Éros, donc un des vaisseaux restés sur la station relaie et amplifie le signal pour lui.

— On peut donc en déduire une chose : quoi qu’Éros fasse pour neutraliser la localisation radar, ça ne neutralise pas toutes les transmissions radio venues de l’extérieur.

— C’est ce qu’il semble, en effet, approuva Naomi, sa curiosité éveillée.

— Et tu as toujours les codes de contrôle pour les cinq transports de l’APE à la surface de l’astéroïde, exact ?

— Oui, monsieur, dit-elle. Oh, merde…

Holden fit pivoter son siège vers elle et lui adressa un sourire.

— Très bien. Pourquoi le Rossi et chaque autre vaisseau d’une flotte ou d’une autre ont-ils un interrupteur pour couper leur transpondeur ?

— Pour que l’ennemi ne puisse pas caler un missile sur le signal du transpondeur et les détruire, dit-elle, et elle sourit à son tour.

Il remit son siège face à la console et entreprit d’ouvrir un canal comm avec la station Tycho.

— Officier en second, auriez-vous l’obligeance d’utiliser les codes de contrôle que Miller vous a transmis pour réactiver les transpondeurs de ces cinq transports de l’APE ? À moins que notre visiteur sur Éros soit capable d’aller plus vite que les ondes radio, je pense que nous avons contourné notre problème d’accélération.

— Reçu cinq sur cinq, capitaine, répondit la jeune femme.

Sans même la regarder, Holden entendit le sourire dans sa voix, et cela fit fondre ce qui restait de glace dans sa gorge. Ils avaient un plan. Un plan qui allait faire la différence.

— Appel entrant du Ravi, annonça Naomi. Tu veux le prendre avant que je m’occupe des transpondeurs ?

— Oh oui…

Avec un petit déclic, la ligne fut établie.

— Capitaine Holden. Nous avons reçu de nouveaux ordres. Il semble que nous allons continuer à poursuivre cette chose encore un peu.

Au ton employé par McBride, rien ne laissait penser qu’elle avait failli être envoyée à la mort. Stoïque.

— Peut-être voudrez-vous attendre encore quelques minutes, dit Holden. Nous avons une autre solution.

Pendant que Naomi activait les transpondeurs des cinq transports de l’APE accrochés à la surface d’Éros sous la supervision de Miller, Holden expliqua son plan à McBride puis, sur une autre ligne, à Fred Johnson. Quand le colonel lui eut donné son approbation enthousiaste du plan commun entre le Terrien et le commandement de la Flotte onusienne, les cinq transports émettaient déjà, révélant leur position au système solaire tout entier. Une heure plus tard, la plus importante salve d’armes nucléaires interplanétaires de l’histoire de l’humanité avait été tirée et se dirigeait vers Éros.

Nous allons gagner, songea Holden en observant la nuée de petits points rouges apparus sur son écran de menaces. Nous allons vaincre cette chose. Mieux encore, son équipage allait voir la fin de cette aventure. Personne n’avait plus à mourir.

Sauf…

— Un appel de Miller, annonça Naomi. Il a sans doute remarqué que nous avions réactivé les transpondeurs.

Holden sentit son ventre se nouer. Miller serait là-bas, sur Éros, quand les missiles arriveraient. Tout le monde ne pourrait pas fêter la victoire annoncée.

— Salut, Miller. Comment va ? dit-il sans parvenir à supprimer toute note lugubre dans sa voix.

Celle de l’ex-inspecteur était un peu agitée, à moitié couverte par le déluge crépitant des parasites, mais pas inaudible au point que le Terrien ne puisse en saisir la tonalité et comprendre instantanément qu’il allait gâcher la fête.

— Holden, nous avons un problème.

52

Miller

Un. Deux. Trois.

Miller appuya sur le terminal pour réenclencher la commande. Autrefois, les doubles portes devant lui avaient été un de ces milliers de mécanismes automatisés ordinaires. Elles avaient fonctionné de façon fiable sur leurs rails magnétiques discrets, pendant des années peut-être. À présent quelque chose de noir ayant la texture de l’écorce d’arbre s’était déployé comme une plante grimpante sur leurs bords et avait gauchi le métal. Au-delà de cet obstacle s’étendaient le tunnel d’accès au spatioport, les entrepôts, les casinos. Tout ce qui avait constitué la station Éros et était maintenant l’avant-garde d’une intelligence extraterrestre envahissante. Mais pour l’atteindre, Miller devait forcer une porte coincée. En moins de cinq secondes. Alors qu’il était engoncé dans une combinaison pressurisée.