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Il se tut, et la radio siffla et émit un bruit sec aux oreilles d’Holden. Quand Miller reprit la parole après quelques secondes, sa voix était passée à un registre différent. Pas celui du plaidoyer, mais ce n’en était pas très éloigné, et le capitaine remua sur son siège, soudain mal à l’aise.

— Elle est vivante.

Dans l’univers de Miller, il n’y avait qu’une seule elle. Julie Mao.

— Euh… Bon, d’accord. Je ne sais pas trop comment répondre à ça.

— Il va falloir me croire sur parole, je ne suis pas sujet à une dépression nerveuse ou à un épisode psychotique, ni rien de tel. Mais Julie est ici, à l’intérieur de la station. C’est elle qui dirige Éros.

Holden consulta les données médicales à nouveau, mais elles étaient toujours normales, avec tous les voyants largement dans le vert, à l’exception du niveau d’irradiation. Les paramètres chimiques de son sang ne semblaient même pas révéler qu’il était particulièrement stressé, surtout pour quelqu’un qui apportait une bombe nucléaire à ses propres funérailles.

— Miller, Julie est morte. Nous avons vu son corps tous les deux. Nous avons vu ce que la protomolécule… lui a fait.

— Nous avons vu son corps, bien sûr. Simplement, nous l’avons supposée morte à cause des dommages…

— Son cœur ne battait plus, insista Holden. Elle n’avait plus d’activité cérébrale, ni de métabolisme. Tout ça ressemble beaucoup à la définition de la mort.

— Comment savons-nous à quoi ressemble un mort pour la protomolécule ?

— Nous… Nous ne le savons pas, j’imagine. Mais pas de battement de cœur, c’est quand même un signe révélateur.

Miller eut un petit rire bas.

— Nous avons vu ces choses, Holden. Ces cages thoraciques qui se traînaient au sol par un seul bras, vous croyez qu’elles ont un cœur qui bat ? Depuis le début, cette saloperie ne joue pas selon nos règles, et vous vous attendez à ce qu’elle s’y mette maintenant ?

Holden ne put s’empêcher de sourire. Miller n’avait pas tort.

— Admettons. Qu’est-ce qui vous donne à penser que Julie est autre chose qu’une cage thoracique et une collection de tentacules ?

— C’est peut-être ce qu’elle est, mais je ne vous parle pas de son corps, dit Miller. Elle est là. Son esprit. C’est comme si elle pilotait sa vieille chaloupe de course. Le Razorback. Dans son délire, elle en parle sur la radio depuis des heures, maintenant, et je n’avais pas fait le rapprochement. Mais maintenant que j’ai pigé, tout devient foutrement clair.

— Et pourquoi se dirige-t-elle vers la Terre ?

— Je n’en sais rien, avoua Miller.

Il paraissait excité, passionné par son sujet. Plus vivant qu’Holden ne l’avait jamais connu.

— Peut-être que la protomolécule veut se rendre là et que ça l’ennuie. Julie n’a pas été la première personne infectée, mais c’est la première qui a survécu assez longtemps pour se rendre quelque part. Peut-être qu’elle est le germe cristallin à partir duquel la protomolécule évolue. Je n’en suis pas sûr, mais je peux le découvrir. Il faut seulement que je la trouve. Que je lui parle.

— Il faut que vous ameniez cette bombe-là où se trouvent les commandes de la station, et que vous déclenchiez sa mise à feu.

— Je ne peux pas faire ça, dit Miller.

Parce que, bien évidemment, il ne le pouvait pas.

C’est sans importance, pensa Holden. Dans moins de trente heures, vous ne serez plus que de la poussière radioactive, tous les deux.

Il demanda aux systèmes du Rossi de recalculer le moment d’impact des missiles déjà lancés.

— D’accord, dit-il. Est-ce que vous pouvez trouver votre fille dans moins de vingt-sept heures ?

— Pourquoi ? Il se passera quoi, dans vingt-sept heures ?

— La Terre a tiré tout son arsenal nucléaire interplanétaire sur Éros il y a de ça quelques heures. Nous venons d’activer les transpondeurs des cinq transports que vous avez arrimés à la surface. Les missiles les ont pour cibles. L’ordinateur de bord du Rossi situe l’impact dans vingt-sept heures, en se basant sur la courbe d’accélération actuelle. Les Martiens et la Flotte des Nations unies sont déjà en route pour stériliser la zone après l’explosion. Histoire de s’assurer que rien ne survive ou ne passe à travers les mailles du filet.

— Seigneur…

— Ouais, dit Holden, le cœur lourd. Désolé de ne pas vous avoir prévenu plus tôt. J’ai eu un tas de trucs à faire, et ça m’est un peu sorti de la tête.

Il y eut un long moment de silence.

— Vous pouvez les arrêter, dit enfin Miller. En éteignant les transpondeurs.

Le Terrien fit pivoter son siège pour interroger Naomi du regard. Elle avait cette même expression signifiant Qu’est-ce que je disais ? qu’il savait arborer lui aussi. Elle fit basculer sur son poste les données médicales transmises par la combinaison de Miller, puis sollicita le programme d’expertise médicale du Rossi et lança un diagnostic approfondi. Ce qu’impliquait son attitude était transparent. Elle pensait que quelque chose n’allait pas chez Miller, et que cela n’apparaissait pas directement sur les données reçues de lui. Si la protomolécule avait infecté l’ex-inspecteur, et s’en servait comme ultime recours pour les égarer…

— Aucune chance, Miller. C’est notre dernier espoir. S’il rate, Éros pourra se mettre en orbite autour de la Terre et l’asperger de sa boue brune. Pas question que nous prenions ce risque.

— Écoutez, dit Miller d’un ton oscillant maintenant entre l’argumentation conciliante et l’expression d’une frustration de plus en plus perceptible, Julie est ici, dans la station. Si je réussis à la trouver et à la raisonner, je peux tout arrêter sans avoir besoin d’un bombardement nucléaire.

— Quoi ? Vous allez prier la protomolécule d’être assez gentille pour renoncer à infecter la Terre, alors qu’elle a été créée dans ce but ? Vous allez faire appel à ce qu’il y a de meilleur en elle ?

Un instant s’écoula avant la réponse :

— Écoutez, Holden, je pense savoir ce qui se passe ici. Cette chose a été conçue pour infecter des organismes unicellulaires. Les formes de vie les plus basiques qui soient, nous sommes d’accord ?

Holden eut une moue de doute, puis il se souvint qu’il n’y avait pas de liaison vidéo et dit :

— D’accord.

— Ça n’a pas marché, mais c’est un salopard très malin, qui sait s’adapter. Cette chose a investi un hôte humain, c’est-à-dire un organisme multicellulaire complexe. Aérobie. Avec un cerveau énorme. Rien à voir avec ce qu’elle a été conçue pour viser. Depuis, elle improvise. Ces horreurs à bord du vaisseau furtif ? C’était sa première tentative. Nous avons vu ce qu’elle a fait subir à Julie dans cette salle de bains, sur Éros. Elle apprenait comment travailler sur nous.

— Où voulez-vous en venir ?

Le temps ne pressait pas encore, puisque les missiles avaient encore une pleine journée de vol avant d’atteindre leur objectif, mais il n’arrivait pas à supprimer toute trace d’impatience dans sa voix.

— Tout ce que je dis, c’est que l’Éros actuel ne correspond pas à ce que les concepteurs de la protomolécule avaient prévu. C’est leur plan d’origine confronté à des milliards d’années de notre évolution. Et quand vous improvisez, vous vous servez de ce dont vous disposez. Vous utilisez ce qui fonctionne. Julie est le modèle. Son cerveau, ses émotions ont infesté cette chose. Elle voit cette attaque dirigée contre la Terre comme une course, et elle se vante de la gagner. Elle se moque de vous parce que vous ne tenez pas la cadence.