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— Attendez…

— Elle n’attaque pas la Terre, elle rentre à la maison. Pour ce que nous en savons, la Terre n’est peut-être pas son objectif. Et si c’était Luna, par exemple ? C’est là qu’elle a grandi. La protomolécule s’est approprié sa structure, son cerveau. Du coup, elle a été infectée par Julie autant qu’elle l’a infectée. Si je réussis à lui faire comprendre ce qui se passe réellement, nous pourrions négocier.

— D’où vous vient cette certitude ?

— Disons que c’est une intuition. J’ai souvent de bonnes intuitions.

Holden laissa échapper un léger sifflement. Toute la situation venait de basculer, et la nouvelle perspective lui donnait le vertige.

— Mais la protomolécule veut toujours obéir à son programme, fit-il remarquer. Et nous n’avons aucune idée de sa nature.

— Je peux vous affirmer que ce n’est pas l’éradication des humains. Les créatures qui ont envoyé Phœbé vers nous il y a deux milliards d’années ne savaient même pas ce qu’étaient des humains. Quoi qu’elle veuille faire, elle a besoin de biomasse pour y parvenir, et elle l’a, à présent.

Holden ne put s’empêcher de se récrier.

— Et alors ? Il ne nous veut aucun mal ? Sérieusement ? Vous pensez que si nous préférions qu’il ne se pose pas sur la Terre il acceptera gentiment d’aller ailleurs ?

— Pas “il”, “elle”, rectifia Miller.

Naomi regarda Holden et fit non de la tête. Elle non plus ne décelait rien d’anormal chez Miller, sur le plan organique.

— Je travaille sur cette affaire depuis, quoi, presque un an, poursuivit Miller. Je me suis immiscé dans sa vie, j’ai lu ses mails, rencontré ses amis. Je la connais. Elle est aussi indépendante qu’il est possible de l’être, et elle nous aime.

— Nous ?

— Les gens. Elle aime les êtres humains. Elle a cessé de jouer à la petite fille riche et a rejoint l’APE. Elle a soutenu la Ceinture parce que c’était la chose à faire. Impossible qu’elle nous tue si elle apprend ce qui se passe. J’ai juste besoin de trouver un moyen de lui expliquer la situation. Je peux y arriver. Donnez-moi une chance.

Holden se passa la main dans les cheveux et grimaça en les sentant aussi gras sous ses doigts. Un jour ou deux passés à plusieurs g n’étaient pas favorables à des douches régulières.

— Je ne peux pas, répondit-il. Les enjeux sont trop élevés. Nous continuons selon notre plan. Je suis désolé.

— Elle vous battra, dit Miller.

— Quoi ?

— D’accord, peut-être que non. Vous avez une putain de puissance de feu. Mais la protomolécule a trouvé comment contourner le problème de l’inertie. Et Julie ? C’est une battante, Holden. Si vous avez affaire à elle, je mise sur elle.

Le capitaine avait vu la vidéo de Julie repoussant ses attaquants à bord du vaisseau furtif. Elle s’était montrée méthodique et sans pitié dans sa façon de se défendre. Elle avait combattu sans faire de quartier. Il avait décelé de la sauvagerie dans ses yeux quand elle s’était sentie prise au piège et réellement menacée. Seules les tenues de combat de ses adversaires l’avait empêchée de faire plus de dégâts avant qu’ils la submergent par le nombre.

Il sentit les poils de sa nuque s’électriser en pensant à ce que pourrait être Éros au combat. Jusqu’à maintenant la chose s’était contentée de fuir leurs attaques malhabiles. Que se passerait-il quand elle se déciderait à faire la guerre ?

— Vous pourriez la retrouver, dit-il, et vous servir de la bombe.

— Si je n’arrive pas à la raisonner, dit Miller. C’est la condition que je pose. Je la trouve. Je parle avec elle. Si je n’arrive pas à la convaincre, je l’abattrai, et vous pourrez réduire Éros en cendres. Ça ne me posera pas de problème. Mais vous devez m’accorder le temps d’essayer à ma façon d’abord.

Holden interrogea Naomi du regard. Le visage de la jeune femme était pâle. Il chercha à décrypter son avis dans son expression, pour savoir ce que d’après elle il devrait faire. Il ne discerna aucune réponse. C’était à lui de décider.

— Est-ce que vous aurez besoin de plus de vingt-sept heures ? demanda-t-il finalement.

Il entendit Miller souffler bruyamment. Sa réponse fut empreinte d’une gratitude qui, à sa façon, était pire que le ton implorant employé plus tôt :

— Je ne sais pas. Il y a peut-être deux mille kilomètres de tunnels et de couloirs ici, et aucun des systèmes de transport ne fonctionne. Je dois aller partout en traînant ce putain de chariot. Sans parler du fait que je ne sais pas vraiment ce que je recherche. Mais laissez-moi un peu de temps, et je le découvrirai.

— Et vous savez que, si ça ne marche pas, vous devrez la tuer. Julie, et vous aussi ?

— Je sais.

Holden fit calculer par le système du Rossi le temps que mettrait Éros pour atteindre la Terre, en prenant pour base son taux actuel d’accélération. Les missiles terriens couvraient la distance beaucoup plus vite que l’astéroïde. C’étaient simplement des propulseurs Epstein munis d’une ogive nucléaire. Les limites de leur accélération étaient les limites fonctionnelles du propulseur Epstein lui-même. S’ils n’arrivaient pas à destination, il faudrait encore près d’une semaine à Éros pour atteindre la Terre, même avec ce taux constant d’accélération.

Il y avait là matière à une certaine souplesse.

— Attendez, je veux voir quelque chose, dit Holden à Miller avant de couper la connexion. Naomi, les missiles foncent en ligne droite sur Éros, et d’après les calculs du Rossi ils l’intercepteront dans environ vingt-sept heures. Combien de temps gagnerions-nous si nous transformions cette trajectoire directe en une trajectoire courbe ? Et quelle courbe pouvons-nous appliquer à cette trajectoire pour que les missiles aient toujours une chance d’atteindre Éros avant qu’il soit trop proche ?

Naomi inclina la tête de côté et lui lança un regard soupçonneux.

— Qu’est-ce que tu t’apprêtes à faire ? dit-elle.

— Peut-être bien lui donner une chance d’éviter la première guerre interespèces.

— Tu fais confiance à Miller ? s’écria-t-elle avec une véhémence surprenante. Tu penses qu’il est fou. Tu l’as balancé hors du vaisseau parce que tu le prenais pour un tueur et un psychopathe, et maintenant tu es d’accord pour le laisser parler au nom de l’humanité à cette chose extraterrestre qui veut nous tailler en pièces ?

Holden dut réprimer un sourire. Quand on disait à une femme combien la colère augmentait son charme, cela la rendait très vite beaucoup moins charmante. Par ailleurs, il voulait qu’elle comprenne sa démarche. C’était ainsi qu’il saurait s’il avait raison.

— Tu m’as déjà dit qu’il voyait juste, alors que je pensais le contraire.

— Ce n’était pas un jugement général, répliqua-t-elle en détachant les syllabes de chaque mot comme si elle s’adressait à un enfant peu éveillé. J’ai dit qu’il avait eu raison d’abattre Dresden. Ce qui ne signifie pas que Miller est équilibré. Il est parti pour se suicider, Jim. Il fait une fixation sur cette fille morte. Je ne peux même pas imaginer ce qui lui passe par la tête en ce moment.

— D’accord avec toi sur ce point. Mais il est là-bas, sur les lieux, il a un don d’observation certain, et il saisit vite les situations. Ce type nous a suivis jusqu’à Éros rien qu’en se fondant sur le nom que nous avons choisi pour le vaisseau. C’est sacrément impressionnant. Il ne m’avait encore jamais rencontré, et pourtant il me connaissait déjà assez bien grâce à ses recherches pour savoir que je serais du genre à baptiser mon vaisseau d’après le nom du cheval de Don Quichotte.